Le malin

Un grand merci à Carlotta Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Le Malin » de John Huston.

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« Il n’y a personne de parfait sur cette terre. Pas plus les pasteurs que les autres. On explique mieux le péché quand on y a goûté soi-même »

De retour de l’armée, Hazel Motes revient dans la maison abandonnée de sa famille, bien décidé à revendiquer la place qui lui revient dans la bonne société. Après avoir rencontré Asa Hawks, un aveugle qui essaie de convertir ses contemporains à ses convictions, il est hanté par son étrange comportement. Hazel décide de contre-attaquer en se mettant lui aussi à prêcher en fondant une secte nouvelle : l’église sans Christ…

« Je crois à un nouveau Jésus qui ne donne pas son sang pour la rédemption des hommes. Parce que pour moi ce nouveau Jésus est un homme qui n’a rien de divin en lui »

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Le cinéma, John Huston y baigna dès son plus jeune âge. C’est que son papa, le célèbre comédien Walter Huston, est depuis les années 20 un habité des plateaux, et notamment ceux de Victor Flemming, William A. Wellman ou encore William Wyler. C’est donc naturellement qu’après une courte et infructueuse carrière dans la boxe, il intègre l’industrie cinématographique hollywoodienne, d’abord en qualité de scénariste puis comme réalisateur. Particulièrement prolifique, son œuvre sera marquée par son goût pour la littérature (il adaptera entre autres Herman Melville, James Joyce, Romain Gary, Dashiell Hammett ou encore Rudyard Kipling) et pour les récits d’aventure (« L’odyssée de l’African Queen », « Dieu seul le sait » ou encore « Le trésor de la Sierra Madre »). Mais en creux, John Huston fut également l’un des rares cinéastes de l’âge d’or hollywoodien qui réussira à s’adapter et à survivre au déclin des grands studios et aux modes. Ainsi, quatre ans après son chef d’œuvre « L’homme qui voulut être roi » (1975), il nous revient aux commandes du film « Le malin », production aux moyens beaucoup plus modestes.

« La vérité ne s’achète pas »

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« Le malin » s’ouvre ainsi par la séquence éloquente au cours de laquelle un vétéran de l’armée se retrouve déboussolé par son retour au pays dont il ne reconnait plus rien. C’est que beaucoup de choses se sont produites durant sa longue absence : famille décimée, maison abandonnée et pillée, village déserté. Seule une route en bitume, financée par l’État, est venue moderniser un tant soit peu ce paysage désolé. En quelques images, le cinéaste pose ainsi un cadre qui illustre à la perfection l’interrogation au cœur du roman de Flannery O’Connor, à savoir comment garder ses convictions intactes dans un monde en perpétuel changement ? Ce qui servira de point de départ au voyage intérieur du héros, en quête d’une nouvelle forme de spiritualité à laquelle se raccrocher. Pour John Huston, l’adaptation de ce best-seller est aussi l’occasion de se frotter à la question - fondamentale aux États-Unis - du mysticisme et de ce qu’il représente encore dans cette vieille Amérique puritaine et conservatrice. Avec une formidable acuité, il dénonce ainsi le charlatanisme des prêcheurs de rue et le business des religions, qui savent parfaitement prospérer en exploitant les faiblesses humaines. D'une manière encore plus subtile, il s’amuse au travers de son personnage principal à déconstruire les fondements même de la religion chrétienne en remettant notamment en question le concept de l’homme sacrificiel qui se place au dessus du commun des mortels. Le tout ponctué de symboles plus ou moins blasphématoires (notamment l’attitude virginale de la jeune amante du héros qui porte en guise de Christ un singe momifié). Provocateur dans l’âme, Huston achève sa démonstration par le constat terrible selon lequel, au fond, la religion divise plus qu’elle ne fédère. Si le propos est mordant, tout juste pourra-t-on reprocher au film certains partis pris formels qui rendent son développement parfois un peu abscons, comme le choix de ne s'appuyer que sur des personnages décalés jusqu'à la caricature, donnant à l'ensemble une dimension grotesque. Sans véritable star à l'affiche, il s'appuie néanmoins sur quelques secondes couteaux de qualité, tels l'excellent Brad Dourif et le génial Harry Dean Staunton. Sans être un sommet dans sa filmographie, ce « Malin » s'impose dans doute comme l'un des films les plus intelligents et les plus rebelles du cinéaste. 

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un nouveau Master restauré en Haute-Définition et est proposé en version originale américaine (1.0) ainsi qu’en version française (1.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une préface de Patrick Brion, de « Hazel, le révolté » : Christian Viviani, coordinateur et rédacteur de la revue Positif et professeur à l’université de Caen-Normandie, rappelle le goût de John Huston pour les personnages obstinés et hors normes dont fait partie Hazel Motes (19 min.) ainsi que d’une Bande-annonce originale.

Édité par Carlotta Films, « Le malin » est disponible en blu-ray depuis le 7 avril 2021.

Le site Internet de Carlotta Films est ici. Sa page Facebook est ici.