Jeux Interdits (1952) de René Clément

Après avoir été assistant sur "La Belle et la Bête" (1946) de Jean Cocteau, et après plusieurs films remarqués comme les sublimes "La Bataille du Rail" (1946) et "Les Maudits" (1947) qui ont pour contexte la Seconde Guerre Mondiale le réalisateur René Clément retrouve cette période en adaptant le roman "Les Jeux Inconnus" (1947) de François Boyer. A l'origine, le producteur Robert Dorfman, futur producteur majeur de "Garou-Garou" (1951) de Jean Boyer à "Papillon" (1973) de Franklin J. Schaffner en passant par "La Grande Vadrouille" (1966) de Gérard Oury et "Le Cercle Rouge" (1970) de Jean-Pierre Melville, propose au cinéaste un film de commande comportant trois segments dont une partie adaptée du roman titré initialement "Croix de Bois, Croix de Fer". Mais un certain Jacques Tati, ravi du résultat, conseille à René Clément d'en faire un long métrage. Le film sera tourné finalement tourné en deux fois à plusieurs mois d'intervalles ce qui ne sera pas sans soucis, les deux enfants ayant un peu changés. René Clément co-signe le scénario avec le duo Jean Aurenche-Pierre Bost, sans doute parmi les plus fameux scénaristes de leur époque auxquels on doit déjà "La Symphonie Pastorale" (1946) de Jean Delannoy, "Le Diable au Corps" (1947) et "L'Auberge Rouge" (1951) tous deux de Claude Autant-Lara, et qui retrouveront le réalisateur pour "Gervaise" (1956)... Alors que la famille fuit sur les routes de l'exode lors de la déroute de Juin 1940, les parents de la petite Paulette sont tués. La fillette de 5 ans se retrouve seule et fait la rencontre de Michel 11 ans qui s'attache à elle et la ramène à la ferme de ses parents qui la recueillent bon an mal an. Après avoir enterré le chien de Paulette, les enfants commencent à mettre en place un cimetière pour animaux. Le soucis est qu'il faut trouver des croix pour orner les petites tombes ce qui a aussi pour conséquences d'envenimer les relations déjà tendues entre la famille de Michel et leur voisin...

Jeux Interdits (1952) de René Clément

La fillette est incarnée par une toute jeune Brigitte Fossey qui deviendra plus tard une grande actrice vue dans "Les Valseuses" (1973) de Bertrand Blier, "L'Homme qui aimait les Femmes" (1976) de François Truffaut ou encore "Un Mauvais Fils" (1980) de Claude Sautet. Le jeune Michel est interprété par Georges Poujouly vu plus tard dans plusieurs grands films avec "Les Diaboliques" (1955) de Henri-Georges Clouzot, "Et Dieu créa la Femme..." (1956) de Roger Vadim, "Ascenseur pour l'Echafaud" (1957) de Louis Malle avant de retrouver Clément pour "Paris Brûle-t-il ?" (1966). Les deux jeunes acteurs se retrouveront adultes dans le téléfilm "Esprits de Famille" (1975) de Marc Pavaux. Le jeune acteur retrouvera plusieurs partenaires dans "Nous Sommes Tous des Assassins" (1952) de André Cayatte, soit Jacques Marin grand second couteau du cinéma français, puis Denise Perronne qui retrouvera Clément pour "Gervaise" (1956) où on reverra également André Wasley. Citons les parents de Michel joués par Lucien Hubert qui sera aussi dans "Gervaise", et dont on peut citer également "Thérèse Raquin" (1951) de Marcel Carné et "Les Yeux sans Visage" (1959) de Georges Franju, puis Laurence Badie vue dans "La Vie Passionnée de Vincent Van Gogh" (1956) de Vincente Minnelli et "La Peau Douce" (1963) de François Truffaut. Citons Amédée, second rôle aperçu dans "Le Plaisir" (1951) de Max Ophüls et également présent dans "Gervaise", puis ensuite citons Madeleine Barbulée souvent vue en gouvernante ou infirmière comme dans "Caroline Chérie" (1951) de Richard Pottier et "Knock" (1951) de Guy Lefranc... Pour l'anecdote, le jeune Brigitte Fossey de 5 ans et demi lors du tournage savait parfaitement lire et a lu le scénario toute seule et que ses parents ont eux-mêmes assumé leur propre statut dans le film, choix du réalisateur pour mettre en confiance la jeune actrice et lui montrer que la mort de se parents n'est que du cinéma.

Jeux Interdits (1952) de René Clément

Le film offre aussitôt une musique entêtante, signée de Narciso Yepes, qui est depuis resté dans la mémoire collective et demeure un morceau souvent repris et à jamais unie à la magie du film. Bien qu'ancré dans la dure réalité d'une Guerre Mondiale l'innocence des enfants place aussi le film dans une fable naturaliste entre sourire et émotion qu'on pourrait mettre dans une collection entre "Les 400 Coups" (1959) de François Truffaut et "la Guerre des Boutons" (1962) de Yves Robert. Outre le fait qu'une fillette innocente et mignonne comme un coeur nous émeut forcément, l'histoire est aussi particulièrement bien écrite où le "jeu" des enfants paraît bien anodin aujourd'hui mais elle fait écho au contexte historique, tandis qu'on peut y voir une morale en filigrane face à la bêtise du conflit de voisinage entre les fermiers. C'est là toute l'intelligence d'écriture du duo Jean Aurenche-Pierre Bost et qui offre ce sublime récit qui rappelle avant tout que le drame vient toujours des adultes. La réflexion sur le deuil est tout aussi remarquable car replacer à hauteur d'enfant. Forcément, le film est en 1952 une vraie cure de liberté et de bonheur à une période où on est encore très marqué par l'époque 39-45. Le film est un succès public et critique mérité avec une razzia de Prix prestigieux dont l'Oscar 1953 du meilleur film étranger, le BAFTA 1954 du meilleur film, le Grand Prix 1952 au Festival de Cannes, un Lion d'Or 1952 au Festival de Venise et un Prix d'Interprétation pour Brigitte Fossey a seulement 5 ans ! Le fillette sera même présentée à la Reine Elizabeth II en février 1953 ce qui démontre la portée du film à sa sortie. Un chef d'oeuvre de justesse, d'intelligence, de magie et un bel hommage aux enfants, à tous les enfants à voir, revoir et surtout à conseiller...

Note : Jeux Interdits (1952) René ClémentJeux Interdits (1952) René ClémentJeux Interdits (1952) René ClémentJeux Interdits (1952) René Clément