Le Bon, la Brute et le Truand (1966) de Sergio Leone

Après les succès de "Pour une Poignée de Dollars" (1964) et "Et Pour Quelques Dollars de Plus" (1965) la United Artists proposa un pont d'or (on parle d'assez d'argent à l'époque pour devenir financièrement indépendant !) pour que Sergio Leone poursuivent avec un troisième film. C'est l'un des co-scénariste de "Et Pour Quelques Dollars de Plus", Luciano Vincenzoni qui eût le premier l'idée originale. En effet ni le producteur Alberto Grimaldi ni Sergio Leone n'avaient pensé à une trilogie. En plus de cela, le studio United Artists accepta un budget qui allait monter jusqu'à 1,3 millions de dollars (après "seulement 200000 et 600000 des deux premiers films !), un chiffre alors astronomique pour un western. Le projet débuta avec une approche de Vincenzoni : "trois canailles à la recherche de trésors durant la guerre de Sécession." Après un premier titre qui devait être "Les Deux Magnifiques Bons-à-Rien", très vite le scénario évolua et, c'est encore Vincenzoni qui trouva le titre final. Pour finaliser l'histoire, on fit appel au duo Ingenore Incrocci et Furio Scarpelli qui était deux des scénaristes les plus prolifiques et réputés de la comédie italienne comme (1958) de Mario Monicelli, "Divorce à l'Italienne" (1961) de Pietro Germi ou "Les Monstres" (1963) de Dino Risi. Mais s'ils sont crédités leur travail ne sera en grande majorité pas retenu, en effet leur goût prononcé pour la comédie n'était pas du tout du goût de Sergio Leone qui repris le scénario avec Vincenzoni et surtout avec Sergio Donati qui était déjà sur les deux opus précédents (qui ne sera pas crédité). Sergio Leone insiste sur le fait qu'il veut "combiner tragique et comique sur un fond pessimiste", et il s'inspire pour ses trois personnages principaux de lui-même : "Dans mon monde, les personnages les plus intéressants sont les anarchistes. Je les comprends mieux parce que mes idées sont plus près des leurs. Je suis fait un peu comme des trois hommes. Sentenza n'a pas d'âme, il est un professionnel dans le sens le plus banal du terme. Comme un robot. Ce n'est pas le cas des deux autres personnages. Considérant le côté méthodique et prudent de ma personnalité, je ressemble aussi à Blondin. Mais ma plus profonde sympathie sera toujours pour Tuco... Il sait être touchant avec toute cette tendresse et cette humanité blessée. Mais Tuco est aussi une créature toute instinctive, un bâtard, un vagabond."

Le Bon, la Brute et le Truand (1966) de Sergio Leone

Le triumvirat du spaghetti ultime est donc basé sur trois angles : un arlequin, une fripouille et un méchant... En pleine guerre de Sécession, alors que deux pistoleros, Blondin et Tuco, s'associent un temps pour empocher la prime sur la tête de Tuco, un troisième pistolero, Sentenza recherche un certain Bill Carson qui aurait caché un trésor. Alors que Sentenza cherche, le destin va amener les deux autres à s'y intéresser également... Blondin, ou l'homme sans nom, est le personnage qui relie les trois films et est donc logiquement toujours incarné par Clint Eastwood qui a depuis terminé avec sa série TV "Rawhide" (1959-1965) et a pu également tourné en Italie dans le film à sketch "Les Sorcières" (1966) dans le segment réalisé par Vittorio De Sica. Il retrouve son partenaire du précédent, Lee Van Cleef qui est désormais en tête d'affiche et s'abonne au genre western spaghetti en jouant la même année dans "Colorado" (1966) de Sergio Sollima. Et en troisième larron, on leur accole la trogne savoureuse du génial Eli Wallach qui retrouve le far-west après avoir déjà été un mexicain dans le nom moins mythique "Les 7 Mercenaires" (1960) de John Sturges et qui, lui aussi, resignera pour un spaghetti avec le futur "Les Quatre de l'Ave Maria" (1968) de Giuseppe Colizzi. Et enfin citons une nouvelle fois les acteurs d'arrière plan, mais toujours omniprésent depuis le début de la trilogie et qui seront encore bien présent dans les westerns spaghettis suivants : Mario Brega, Benito Stefanelli, Aldo Sambrell, Lorenzo Robledo, Antonio Molino Rojo, Luigi Pistilli... Comme la plupart des spaghettis, le tournage a lieu sur le secteur de Almeria, en pleine Espagne franquiste mais sans qu'il y ait de conséquences car comme le dit Eastwood dans un interview de 1973 "le film ne concernait ni l'Espagne ni les espagnols, ceux-ci ne se souciaient pas de ce que faisait l'équipe." De surcroît le tournage a même reçu l'assistance de l'armée espagnole notamment avec le prêt de 1500 soldats dans les figurants et un prêt de 250 soldats pour créer un cimetière de 10000 tombes ! Avec peu de contrainte budgétaire comme il avait connu auparavant, Sergio Leone donne libre court à toutes ses envies, aussi bien sur le fond que dans la forme. Ainsi il se sert du contexte de la guerre de Sécession pour faire passer des messages politiques, et il pousse encore plus loin sa mise en scène qu'il avait déjà expérimenté sur ses deux précédents opus tout en restant sur une ligne directrice qui mène indubitablement à une métamorphose de la mythologie du far-west. Le récit passe constamment du tragique (violence omniprésente, meurtre de sang froid, conséquences collatérales de la guerre...) au comique, reposant essentiellement sur le personnage de Tuco, scélérat assurément mais aussi celui qui nous touche le plus.

Bon, Brute Truand (1966) Sergio Leone

Outre le jeu du chat et de la souris entre les trois pistoleros et leur rivalité il y a deux passages essentiels qui font que ce western est plus qu'un western : le passage au monastère qui permet de percevoir une once d'humanité chez Tuco et même Blondin et la guerre de Sécession, surtout la séquence de la bataille du pont où Leone en profite pour y aller franco (sans F majuscule !) des répliques sans concession ("Je n'avais encore jamais vu crever autant de monde", "une crotte de mouche sur une carte"...) et une tirade sur l'alcool qui sera censuré en Italie ! Cette partie sur la guerre de Sécession aura marqué sans aucun doute Eastwood et s'en rappellera lorsqu'il signera un de ses chefs d'oeuvres avec "Josey Wales Hors-la-Loi" (1976). Leone accentue encore les gros plans, les travellings, va encore plus loin dans la mise en scène et étire encore plus le temps, au point qu' on pourrait parlé de séquence contemplative mais pourtant il se passe toujours quelque chose, aussi infime soit-il. C'est d'ailleurs là que toute la musique sublimissime et envoûtante de Ennio Morricone prend toute son ampleur et tout son lyrisme. Et que dire du final ! Un duel, ou plutôt un truel (oui oui ! vu aussi dans "A l'Ombre des Potences en 1955 de Nicholas Ray, puis plus récemment que Johnnie To et Tarantino) entré dans la légende. De l'entrée de Tuco au cimetière à la pendaison, ce dernier acte est sans conteste une des fins de films les plus mythiques et inoubliables du Septième Art. On remarquera que la dimension funèbre du film est encore plus présente et ne fera que augmenter dans le cinéma de Sergio Leone. Mais surtout, pour terminer, on va rappeler que ce film clôt une trilogie thématique mais que s'il fallait y déceler une chronologie l'ordre des films serait d'abord "Le Bon, la Brute et le Truand", suivi de "Pour une Poignée de Dollars et enfin "Et pour Quelques Dollars de Plus"... En effet, guerre de Sécession (1861-1865), et c'est dans ce film-ci que Blondin troque un cache-poussière pour un poncho qu'on verra dans le premier opus, et qui sera logiquement troué à la poitrine dans le second. C'est selon Leone lui-même ce qui crée l'"aspect cyclique de la trilogie". Le film est un succès colossal, amassant 25 millions de dollars rien qu'aux Etats-Unis (un record pour un western), et en France plus de 6,3 millions d'entrées. Un certain Quentin Tarantino estime que c'est "le film le mieux réalisé de tous les temps". En tous les cas, un grand western, la quintessence du spaghetti, un chef d'oeuvre tout simplement du Septième Art à voir, à revoir et à conseiller.

Bon, Brute Truand (1966) Sergio LeoneBon, Brute Truand (1966) Sergio LeoneBon, Brute Truand (1966) Sergio LeoneBon, Brute Truand (1966) Sergio Leone