Lettre à Franco (2020) de Alejandro Amenabar

Réalisateur hispano-chilien, Alejandro Amenabar revient après son échec "Regression" (2015) en espérant sans doute revenir au plus haut après quatre films réussis avec "Ouvre les Yeux" (1997), "Les Autres" (2001), "Mar Adentro" (2OO4) et "Agora" (2009). Avec ce nouveau projet le cinéaste accumule les postes producteur-réalisateur-scénariste-compositeur et s'intéresse cette fois à la figure de Miguel De Unamuno (Tout savoir ICI !), sans doute le plus célèbre écrivain philosophe de son temps et qui a eu une position changeante et/ou ambigüe vis à vis de l'insurrection de 1936 qui amènera Franco au pouvoir après la Guerre d'Espagne (Tout savoir ICI !). Amenabar co-signe le scénario avec Alejandro Hernandez "Shiver" (2013) de Isidro Ortiz et "Amours Cannibales" (2014) de Manuel Martin Cuenca.

Lettre à Franco (2020) de Alejandro Amenabar

Les deux auteurs ont reçu le soutien de la famille Unamuno comme le réalisateur l'explique : "Ils ont lu le scénario et se sont montrés respectueux, malgré la controverse générée. Il y a des points sur lesquels tout le monde ne s'accordent pas : notamment l'épisode du don de 5000 pesetas à l'insurrection. Pour ces questions les plus sensibles liées à la guerre, mon but était de rechercher autant d'informations que possible avant de prendre la décision finale pour le scénario. Je crois sincèrement que le film est un portrait fidèle de ce qu'Unamuno a dû ressentir pendant ces mois, coincé à Salamanque, dans sa maison, rejeté par de vieux amis et adoré par de futurs ennemis. On suit un personnage à la croisée des chemins, qui change, grandit et finalement se rebelle."... Outre la famille, Amenabar a eu recours à deux spécialistes, un consultant historique et un conseiller historien militaire, sur lesquels le réalisateur précise qu'ils se disputaient parfois sur certains points mais que ça a justement nourri le scénario... Eté 1936, le célèbre philosophe Miguel de Unamuno est recteur de l'Université de Salamanque. Ayant d'abord soutenu l'insurrection l'écrivain commence à douter puis à se rendre compte sans doute un peu tard que les Nationalistes de Franco construisent la route vers une autre forme de fascisme... Miguel De Unamuno est incarné par l'acteur Karra Elejalde vu entre autre dans "Biutiful" (2010) de Alejandro Gonzales Inarritu et "Même la Pluie" (2010) de Iciar Bollain. Les deux autres personnages importants sont évidemment Franco incarné par Santi Prego ayant fait l'essentiel de sa carrière à la télévision espagnole, puis le général Milian Astray joué par Eduard Fernandez vu dans les très bons "L'Homme aux Mille Visages" (2016) de Alberto Rodriguez et "Everybody Knows" (2018) de Asghar Farhadi et qui retrouve Karra Elejalde après "Biutiful". Le film débute le 17 juillet 1936, début "officielle" de la Guerre civile d'Espagne, et alors que l'état-major des nationalistes s'installent à Salamanque, le philosophe Miguel De Unamuno ne croit pas à l'enlisement de la situation et ne croit surtout pas à l'émergence d'un fascisme espagnol. Mais très vite il ne peut que constater la disparition de ses amis et les témoignages rapportés ne font que le pousser à se remettre en cause. Et alors qu'il a eu le courage de se manifester dans le passé il semble cette fois dépasser jusqu'à un dernier sursaut pour tenter de réveiller les consciences.

Lettre à Franco (2020) de Alejandro Amenabar

La force du film réside justement dans cette évolution de pensée où un intellectuel renommé est dépassé par l'Histoire, où un philosophe s'aperçoit qu'il a manqué de lucidité au crépuscule de sa vie. On s'aperçoit donc aussi que les intellectuels ne peuvent pas grand chose devant la force des masses. Le parallèle avoué et annoncé par Amenabar entre la situation de 1936 et aujourd'hui fait forcément écho. Ainsi le titre en V.O. "Mientras dure la guerra" (littéralement "Tant que la guerre durera") annonce un état de siège terreau du fascime que Amenabar replace dans le contexte d'aujourd'hui : "Aujourd'hui, on assiste à une résurgence des mouvements fascistes, notamment en Europe. dans ce sens, le film parle autant du présent que passé."... Les avertissements du passé s'oublient effectivement bien vite. La reconstitution est parfaite, sans esbroufe, et se focalise surtout sur le philosophe entre son quotidien routinier et ses rencontre avec Franco et ses officiers. Si les acteurs sont en général très bons on mettra un gros bémol pour Franco alias Santi Prego qui manque cruellement de charisme et d'impression alors même qu'il était un général que certains craignaient depuis longtemps et qu'il s'impose à l'Histoire. Les yeux de poisson frit et son visage si inexpressif en font un benêt auquel on ne peut croire à un général aux ambitions certaines. La mise en scène de Amenabar se fait discrète mais offre quelques séquences marquantes (le discours final évidemment) mais le tout semble si écrit parfois que l'émotion est arasée alors que les scènes déchirantes sont pourtant là. Amenabar signe un film ludique et diablement intéressant auquel il manque un peu de souffle et de passion, trop "littéraire" et trop sage. Un film à conseiller toutefois même si le contexte géo-politique risque de laisser sur le côté les néophytes.

Note :

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