Queen & Slim (2020) de Melina Matsoukas

Premier long métrage d'une cinéaste de clips musicaux, notamment et surtout pour Beyoncé, Lady Gaga et Rihanna. Melina Matsoukas se lance en tant que producteur-réalisateur donc dans un film qui ne manque ni d'audace ni d'ambition avec une histoire signée de deux auteurs, Lena Waithe scénariste de séries TV comme "Bones" (2014-2015) et "Boomerang" (2020), puis productrice de "Dear White People" (2014) de Justin Simien et actrice dans "Ready Player One" (2017) de Steven Spielberg, associée au romancier James Frey qui s'est déjà essayé à scénariste en adaptant son propre roman avec "Numéro Quatre" (2011) de D.J. Caruso... Alors qu'ils viennent de faire connaissance, deux afro-américains tuent un policier suite à un contrôle abusif. Ils se retrouvent alors en cavale, devenant à l'insu de leur plein gré un symbole anti-bavure...

Queen & Slim (2020) de Melina Matsoukas

Le couple est incarné par Daniel Kaluuya révélé dans "Sicario" (2015) de Denis Villeneuve et (2017) de Jordan Peele, puis Jodie Turner-Smith (épouse de Joshua jackson) aperçue d'abord dans "The Neon Demon" (2016) de Nicolas Winding Refn. Ils vont rencontrer entre autre Bokeem Woodbine, vu récemment dans (2018) de Julius Avery et Chloé Sevigny vue dans "The Dead Don't Die" (2019) de Jim Jarmush... Vu l'histoire on pense forcément à des prédecesseurs qui ont marqué les mémoires cinéphiles comme "Bonnie and Clyde" (1967) de Arthur Penn ou "Thelma et Louise" (1990) de Ridley Scott. Mais si il y a le coté road movie le film aborde différents genres allant du thriller au pamphlet politico-social en passant par le road-movie le tout saupoudré d'une grosse dose de "Black Panther" ou, plutôt, aujourd'hui ce film se glisse dans la mouvance #BlackLivesMatter ("les vies des noirs comptent"), qui à l'instar des #MeToo lutte pour une cause, en l'occurence celle-ci a été initié suite à de trop nombreuses violences policières racistes aux Etats-Unis. Initié à l'époque de "Fruitvale Station" (2014) de Ryan Coogler on peut aussi citer le récent "The Hate U Give" (2019) de George Tillman Jr dans le genre. Mais cette étiquette de film #BlackLivesMatter se ressent tellement que le film tombe dans un manichéïsme facile et dans une vision des choses très unilatérale. C'est à la fois sa force et son défaut. Sa force car le film parlera forcément aux afro-américains, qu'il est dans l'air du temps et renvoie forcément à l'actualité brûlante... Mais le film est si extrémiste dans son propos qu'on a aussi l'impression que le film est anachronique, si l'histoire avait été située dans les années 50 ou 60 on serait dans le pur chef d'oeuvre et on pourrait s'y immerger sans difficulté. D'abord on reste un peu dubitatif lors du contrôle de police dont l'excès repose effectivement sur pas grand chose et on se demande pourquoi le policier pète un câble ?! En effet au moins dans la plupart des films sur ce thème place un évènement et/ou un grain de sable qui explique (sans l'excuser pour autant !) le passage à la bavure comme par exemple un joint, une parole de trop, un geste inapproprié... etc... Ici rien de rien. La profession de Queen, avocate, laisse tout aussi perpexe. Outre le fait que ce métier ne sert strictement à rien dans la narration elle ne réagit jamais comme une juriste pro à l'exception du contrôle. Et enfin, le plus étonnant, la vidéo policière existe et montre plutôt une vidéo à charge pour le policier alors que le film la montre comme à charge pour Queen and Slim sans qu'il n'y ait jamais de remise en question de qui que ce soit ?! Ces points arrivent successivement dans la première demi-heure et plombent donc un peu notre opinion sur le film.

Queen & Slim (2020) de Melina Matsoukas

Mais d'emblée par contre on aime l'atmosphère très seventies, la B.O. inspirée, la photographie léchée et surtout un couple de cinéma qui s'impose aussi naturellement qu'icôniquement avec la révélation définitive de la sublime et puissante Jodie Turner-Smith. Queen se révèle après sa coupe de cheveux, et devient une rebelle à la Grace Jones qui ne courre plus que pour sa liberté et le droit à l'amour. Pour Slim on sourit à sa coupe dont on ne voit pas bien la raison tant la différence est négligeable. Plus anecdotique on aperçoit de temps à autre quelques incohérences et/ou faux raccords comme le joint qui se rallonge la seconde d'après ou la cachette express. Le récit s'éloigne très vite du thriller pour aller vers un road-movie où les deux héros vont apprendre à se connaître, mis main dans la main par un destin qu'ils n'avaient pas imaginé. On s'attache à eux et si on se demande s'ils vont s'en sortir on a de toute façon la réponse en nous. La chasse à l'homme engagé par les autorités n'amène pas à un film d'action avec gun fight et Cie mais vers un film d'amour qui ne manque ni de réalisme ni de poésie ni de sensualité. Le fait de pousser la dénonciation des bavures racistes dans une histoire contemporaine semble toujours poussif mais cette sensation anachronique fait aussi force de persuasion en démontrant qu'il faut éviter à tout prix un retour en arrière. Enfin, on apprécie le décalage voix/image de certaines séquences qui crée une sorte d'intermède surréaliste, appuyant le fait que Queen and Slim sont dans une réalité qu'ils voudraient forcément fuir. En conclusion, un départ dont le peu de crédibilité tient de la démonstration voir de la propagande, mais il faut rappeler que cela a existé bien des fois et que le parallèle ségrégation du passé/bavures d'aujourd'hui donne une force évidente au message voulu. Malgré ses maladresses et/ou raccourcis Melina Matsoukas signe un film magnifiquement mis en scène et d'une vraie puissance émotionnelle qui préfère laisser la place à l'amour plutôt qu'à la haine. A voir.

Note :

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