SPARROWS : Rencontre avec Rúnar Rúnarsson

Après Volcano, présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, Rúnar Rúnarsson signe avec Sparrows (lire notre critique ici) un film touchant et juste sur l’adolescence. Pour l’occasion, nous avons pu nous entretenir avec cet homme aussi sensible que ses personnages.

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Comment est venue l’idée du film ?

Rúnar Rúnarsson : Tout d’abord, je voulais travailler avec mes collaborateurs habituels sur quelque chose de différent. Le point de départ a été d’intégrer la musique dans la narration. Sparrows est mon deuxième long-métrage et j’ai fait auparavant plusieurs courts-métrages, et ils ont tous en commun de parler soit de l’ancienne génération ou de la nouvelle. Volcano était sur l’ancienne génération. Sparrows est sur la nouvelle. En général, je travaille sur des personnages qui atteignent un moment charnière de leur vie. Être un adulte ou un enfant, les interrogations que cela suscite m’ont toujours intéressées, tout comme le fait d’avoir à prendre une décision.

Sparrows est fondé sur les notions de voyage initiatique et de passage à l’âge adulte. En quoi sont-elles traitées différemment dans ce film ?

R.R. : Chaque film que je fais doit avoir une relation avec mon cœur. Je catégorise moi-même les films en deux sections : ceux que n’importe qui aurait pu faire, et les plus auteuristes, ceux que seuls un artiste ou un groupe d’artistes auraient pu réaliser. Avec mon équipe créative, nous cherchons juste à raconter des histoires à notre façon. J’écris mes propres scripts et je les base sur mes propres expériences et celles que tout le monde peut vivre. J’aime tous mes personnages. Ils ne sont ni méchants ni gentils. Ils ont juste un cœur humain. On a tous des hauts et des bas, mais c’est la zone entre les deux qui m’intéresse.

L’un des points importants du film est l’environnement, ces décors d’Islande auxquels vous donnez un aspect à la fois majestueux et oppressant. Comment vous ont-ils inspirés ?

R.R. : Je vais dans cette région des fjords depuis vingt ans. J’ai de bons amis là-bas et j’aime y écrire mes scripts. Pour moi, tout ce qui est dans le cadre doit être utile, et ne doit pas servir comme simple décoration. Tout doit aider à faire avancer l’histoire, notamment sur le plan métaphorique. Nous avons utilisé la nature pour qu’elle ait du sens. Par exemple, il y a de grandes montagnes qui entourent le village où il vit. C’est un mur qui emprisonne Ari, une barrière physique rappelant qu’il est là contre son gré. La montagne en elle-même possède un joli contraste. Elle est noire à cause de la roche dure, mais aussi verte grâce à la verdure plus douce. Elle reflète les contrastes de la vie. Mais nous n’avons pas utilisé la nature que dans ce but. Nous voulions aussi montrer la petitesse du personnage principal, comme une sorte de cathédrale. Le plus important est de réfléchir à la présence du décor à chaque plan, de se demander pourquoi il est là. Cela ne doit pas simplement donner un beau tableau sur un mur.

En parlant de barrières physiques, j’ai été marqué par votre emploi du surcadrage, très présent et millimétré, notamment avec les portes ou les fenêtres.

R.R. : Oui, son emploi est variable selon les scènes. Parfois, il sert à créer une pression, à isoler un personnage. Le spectateur ne voit pas nécessairement tous les outils cinématographiques, mais ils ont malgré tout un impact. Ces éléments nous ont permis de mieux cerner la vie intime du protagoniste, afin de mieux transcrire ses sentiments.

J’ai beaucoup aimé votre façon de vous attarder sur des moments du quotidien, des moments de spontanéité. Je pense notamment à une scène où Gunnar mange avec sa mère devant la télévision et celle-ci lui reproche d’allumer une cigarette. Vous allez laissé place à l’improvisation ?

R.R. : Dans le cas de cette scène, elle a été écrite. Je trouve assez amusant les moments où les gens ne contrôlent pas leur pensée, où les subtilités de tonalité donnent un sens particulier à une phrase. Mais en général, je travaille avec des acteurs de façon à revoir le script avant d’aller sur le plateau, afin qu’ils réécrivent avec leurs propres mots les lignes de dialogue. Je suis ouvert à la spontanéité. Je me prépare des mois à l’avance sur la construction du film pour être ensuite capable d’improviser. Sur un plateau, on passe beaucoup de temps à attendre que quelque chose doive arriver ou pour changer de décor, et j’essaie d’utiliser ce temps pour tourner. Par exemple, l’une de mes scènes préférées est une scène improvisée. C’est une scène dans la cuisine, le matin. Le père est assoupi sur la table, tandis que le fils est en train de manger un yaourt, et une très belle lumière entre dans la pièce. C’est une scène très simple mais nous avions une demi-heure pour la boucler. Je tourne beaucoup de scènes en plus si j’en ai la possibilité. Cela reste simple parce qu’on n’a pas le temps d’installer une grue ou du gros matériel, mais parfois, la simplicité apporte une approche émotionnelle plus immersive.

Le casting a-t-il donc été difficile, surtout pour ce qui est des acteurs adolescents ?

R.R. : Je fais mes castings moi-même. C’est important pour moi, pour être sûr qu’il y a une alchimie avec les acteurs. C’est juste du travail. J’ai toujours travaillé avec de bons enfants, cela prend juste du temps de les trouver. Des fois, je suis chanceux, je trouve la bonne personnage instantanément, mais il faut être capable de retourner chaque pierre, et continuer de chercher jusqu’à trouver la perle rare.

A mes yeux, Sparrows est avant tout un film sur la façon dont la société et ses règles peuvent empêcher de vrais relations. Par exemple, vous utilisez la télévision comme une sorte d’intermédiaire inutile entre deux personnes.

R.R. : Oui, d’une certaine façon, c’est vrai. Tous ces outils technologiques, je déteste les avoir dans mes films, mais on est toujours obligé de montrer un téléphone ou une télévision, surtout quand on dépeint notre époque. Mais j’aime aussi m’attarder sur l’autre côté des choses. Quand on filme une télévision, on montre souvent ce qu’elle diffuse. Je trouve cela plus intéressant de filmer ceux qui la regardent, s’ils sont concentrés, s’ils mangent, afin de les voir éteints. Il y a peu d’interaction avec un écran. Par exemple, je vais souvent au cinéma seul. Si je veux parler de quelque chose après, je m’adresse à quelqu’un dans la rue, quitte à ce qu’on me prenne pour un fou ! Les gens aiment aller au cinéma ensemble, et ne pas forcément en parler après, pareil pour la télévision. C’est une drôle de façon de passer du temps ensemble.

Il y a une scène que j’aime bien où Ari et Gunnar sont devant la télé, et ils critiquent l’émission de danse qu’ils regardent. A ce moment-là, on a l’impression qu’ils communiquent vraiment.

R.R. : Ah, c’est aussi l’une de mes scènes préférées ! Au départ, j’ai pensé à ne pas la mettre, mais je suis heureux de l’avoir gardée. D’habitude, quand je commence à tourner, j’enlève tout l’humour de mes scripts, parce que je ne trouve plus cela drôle. J’ai pu écrire une scène un ou deux ans auparavant, et c’est dur pour moi de préserver cet aspect comique. Mais en fait, le film a quelques passages plus légers, et j’en suis heureux.

Pourquoi centrer l’intrigue sur la voix de Ari, ce jeune garçon, et quelle est l’importance de la religion (il chante pour une église, ndlr) ?

R.R. : J’ai toujours été fasciné par les belles voix et par la musique, et il y a déjà quelque chose de religieux là-dedans. Ne serait-ce que le titre du film, Sparrows (« moineaux » en anglais, ndlr), est une métaphore dans de nombreuses religions, pas que dans le christianisme. Cela se rapporte toujours à l’innocence et la fragilité, à une création de Dieu. La pureté de la voix d’Ari est donc en lien avec le passage à l’âge adulte, ainsi qu’avec les autres thèmes du film que nous avons essayé de mêler, comme les relations père-fils, l’intégration, le pardon ou encore la masculinité. La spiritualité englobe tout cela. L’Islande est censé être un pays majoritairement chrétien, mais il est surtout spiritualiste. Il croit en la nature. La révolution industrielle est venue tard, et la nature est ancrée dans le mode de vie.

Le film est assez sombre sur sa vision de l’adolescence, mais sans vouloir spoiler, la fin est particulièrement rude.

R.R. : J’essaie toujours que mes films se terminent dans une zone grise. Selon les clichés, les films hollywoodiens sont censés avoir des fins heureuses, et les films européens des fins tristes. Mais la vie n’est ni l’un ni l’autre. Elle est au milieu. Elle continue. On sera heureux et tristes à nouveau. Après, je suis conscient que ce film est plutôt dans la zone sombre du gris, mais il faut néanmoins y ressentir une part d’espoir pour le personnage principal.

C’est un joli travail de hors-champ. Quand le générique débute, l’unique question que l’on se pose est : comment va-t-il vivre maintenant ?

R.R. : Nous parlions de religion juste avant. Voilà la question que l’on peut se poser : comment vit-on avec nos péchés ? Il y a dans le film le sens du sacrifice inhérent à la religion, la question de la préservation de l’innocence. Il est obligé d’agir, il choisit juste une solution que tout le monde n’aurait pas accepter. La vraie fin est de le voir renoncer à être un enfant. Il vit un processus qui prend logiquement plus de temps, mais il le représente, il fonde en partie sa personnalité et ce qu’il sera dans le futur.

Le film a donc une vraie part autobiographique.

R.R. : En effet, je m’inspire de mes expériences et des gens que j’aime, mais je ne révèle jamais ce qui est fictionnel ou non. Je ne veux pas exposer mes proches.

La fiction serait-elle une façon d’améliorer le réel ?

R.R. : Je ne pense pas que la fiction améliore le réel, mais elle peut mieux le transcrire. C’est étrange de regarder un documentaire parce qu’on pense qu’il s’agit de la réalité alors que quelqu’un a choisi les images et les a montées ensemble. C’est réalisé, et je ne connais aucune personne ayant été sujet dans un documentaire qui approuve la façon dont il ou elle est présenté. On se voit d’une manière différente. Donc, peut-être que la vision de quelqu’un prenant une part de réalité dans la fiction pour y insuffler du réalisme est parfois plus vrai qu’un documentaire.

Propos recueillis par le Cinéphile Cinévore.