SPARROWS : Le film dont il est le héros ★★★★☆

Un joli film sur l’adolescence et ses troubles, porté par sa délicatesse.

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Le postulat de base est ultra-simple : Ari, seize ans, se voit contraint de retrouver son père Gunnar dans la région des fjords islandais. Quitter la ville pour un paysage isolé en pleine adolescence, essayer de réparer une relation familiale bien amochée, bref, se découvrir à un moment charnière de l’existence : à première vue, Sparrows ne serait qu’un énième film sur le passage à l’âge adulte et la perte de l’innocence, mais il est heureusement bien plus. A l’instar de ses sublimes décors, où la brume dissipe les formes, le long-métrage jouit d’une épure qui confère à sa subtilité. Son générique, mettant en scène de jeunes chanteurs catholiques dans une église immaculée, annonce par contraste la fin imminente d’une pureté, sans que le cinéaste Rúnar Rúnarsson n’ait à se complaire dans des visions d’horreur. Son rythme volontairement en dents de scie s’accommode à cette existence en pleine mutation, dominée par une errance que la caméra capte avec tendresse, et non du voyeurisme. Le réalisateur s’est ainsi posé les bonnes questions, et tout particulièrement sur la gestion de la distance. Oscillant entre de très gros plans et des échelles plus larges quand son protagoniste semble avoir besoin d’intimité, il exploite son environnement oppressant à grands coups de surcadrage, révélant une difficulté d’interaction avec ce(ux) qui l’entoure(nt).

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Sparrows possède ainsi une structure narrative très solide, mais qui parvient à s’extraire de toute mécanique par des élans de spontanéité. D’une simple réflexion entre deux personnages à un silence gênant, la simple présence des corps dans certaines scènes en dit parfois plus que des moments clés du récit. Il faut voir comment le réalisateur s’attarde sur des détails de notre quotidien, notamment son usage de la télévision comme intermédiaire dans des conversations factices. Dès lors, même si le film s’illustre par quelques idées de scénario un peu trop évidentes (le père est alcoolique et souhaite voir son fils gagner en virilité), il s’interroge sur les règles tacites de notre société et sur leurs dysfonctionnements (les relations père-fils, la masculinité, la responsabilité), menant Ari à la solitude et à l’introspection. Rúnarsson s’éloigne donc de la masse par le simple amour qu’il porte envers ses personnages, au point de ne jamais les juger dans leurs décisions, même mauvaises, à l’opposé de la dimension souvent moralisatrice du drame français. Son rapport à la religion catholique n’est que porté par ses symboles les plus universels, à commencer par le renoncement et le sacrifice. Son montage et l’enchaînement de ses séquences retranscrivent ainsi à merveille les doutes et le trouble de son héros, sans qu’il n’ait besoin d’appuyer la noirceur de son histoire.

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Sparrows ne garde pas constamment la tête de son personnage sous l’eau, mais lui fait tout simplement vivre sa vie. Comme un shaker, Rúnar Rúnarsson mêle avec énergie des émotions complexes et variées, jouant avec des ruptures de tons parfois casse-gueules. Toute la délicatesse de son approche n’en est que renforcée, notamment lorsqu’il s’attaque aux thèmes de la mort ou de la sexualité. La pureté n’est jamais absente, elle est même l’enjeu du récit, tandis que sa disparition progressive est traitée sur le ton de l’inévitable. En cela, Sparrows n’est pas sans rappeler le concept enfantin des Livres dont vous êtes le héros, nous faisant choisir un destin en acceptant qu’un retour en arrière est impossible. Telle est la quête d’Ari : faire un choix irréversible, comme une mise à l’épreuve illustré par un dernier acte glaçant, qui traite avec maturité de la question de la préservation de l’innocence, même quand elle signifie le sacrifice d’une autre. Le générique nous met ainsi en évidence le brillant travail de hors-champ de son cinéaste. Nous nous demandons la vie que ce garçon aura suite à ce que nous avons vu, et nous comprenons alors que nous avons assisté à une parcelle à la fois fragile et primordiale de son existence.

Réalisé par Rúnar Rúnarsson, avec Atli Oskar Fjalarsson, Ingvar Eggert Sigurðsson

Sortie le 13 juillet 2016.