Le quarante et unième

Un grand merci à Potemkine Films ainsi qu’à Arcadès pour m’avoir permis de découvrir le blu-ray du film « Le quarante et unième » de Grigouri Tchoukhraï.

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« Je ne suis pas une bête sauvage pour laisser mourir un homme. Pas même un officier ennemi ! »

La guerre civile en Russie. Un détachement de l'Armée Rouge en mission de reconnaissance dans les sables désertiques d'Asie centrale. Marioutka est l'unique femme au milieu de ces rudes soldats. Elle en est aussi le premier tireur d'élite et a déjà inscrit quarante tués dans les rangs adverses à son tableau de chasse. Au cours de l'opération, les rouges s'emparent d'un lieutenant de la Garde Blanche. Le prisonnier sera la quarante-et-unième victime de Marioutka. En attendant, les voici seuls face à l'immensité des sables, du ciel et de la mer, en proie à des sentiments aussi violents que contradictoires...

« Tes yeux sont dangereux pour les femmes. Ils te plongent dans l’âme et te troublent ! »

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Vétéran de la Seconde guerre mondiale durant laquelle il s’est illustré (notamment sur le Front de Stalingrad) et dont il est revenu largement médaillé, Grigouri Tchoukhraï entreprend des études de cinéma au prestigieux Institut national de la cinématographie Guerassimov de Moscou. D’abord assistant réalisateur au sein du Studio cinématographique Alexandre Dovjenko de Kiev, il intègre finalement la prestigieuse société moscovite Mosfilm au milieu des années 50 où il obtient de pouvoir réaliser ses premiers films en propre. Pour son premier long-métrage, il fait ainsi le choix de porter à l’écran « Le quarante et unième », adaptation d’une nouvelle de Boris Lavrenev – célèbre dramaturge totalement acquis à la Révolution communiste qui n’aura de cesse dans ses écrits d’exalter la grandeur soviétique – en l’occurrence « Le quarante et unième ». Une nouvelle qui avait déjà donné lieu à une première adaptation cinématographique muette en 1927 signée par Yakov Protazonov. Présenté au Festival de Cannes, le film sera récompensé d’un Prix spécial du jury. Avec plus de vingt-cinq millions de spectateurs en URSS et un million de spectateurs dans les salles françaises, il sera également un important succès public.

« J’en ai marre de ces années de guerre. Je ne veux pas la vérité, je veux la paix ! »

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« Le quarante et unième » nous plonge ainsi dans les affres de la guerre civile qui résulta de la Révolution d’octobre 1917 et qui déchira in finela Russieen opposantles« rouges » (partisans de la révolution) aux « blancs » (partisans de l’ancien régime tzariste). Partant de ce contexte, le récit nous emmène aux confins désertiques du Kazakhstan, où une escouade de l’armée rouge capture un jeune officier de l’armée blanche. Mais traqués par les tzaristes et décimés par la rudesse des conditions climatiques, le prisonnier finit par échouer seul sur une île avec sa jeune gardienne, une redoutable tireuse d’élite comptabilisant déjà pas moins de quarante cibles éliminées à son tableau de chasse. Là, coupés du reste du monde, les deux personnages n’auront alors d’autre choix que de collaborer pour espérer survivre. Et contre toute attente, ce moment suspendu et hors du temps (et donc de la réalité de la guerre), rendra très vite aux deux personnages leur humanité. Tombant uniformes et fusils, ils redeviennent ainsi – du moins brièvement – un homme et une femme ordinaires et, au fond, pas si différents l’un de l’autre. Avec leurs passions, leurs rêves (de littérature et de poésie) et leurs désirs. Comme si au fond la guerre ne faisait que diviser et déshumaniser les hommes. Mais, d’une certaine manière, Grigori Tchoukraï va plus loin puisqu’il ne traite pas ici de n’importe quelle guerre (et notamment pas de la Seconde guerre mondiale) mais de la guerre civile russe. Faisant preuve d’une grande subtilité et, avouons-le, d’une audace certaine, il n’hésite d’ailleurs pas à mettre sur un pied d’égalité la soldate rouge et le soldat blanc, conférant même à ce dernier un côté attachant, qui fait parfois un peu défaut au personnage de Marioutka, obéissante jusqu’au bout (et pour son plus grand malheur) à l’ordre soviétique. Communiste convaincu, Tchoukraï ne signe bien évidemment pas là un brûlot contre le système soviétique. Mais contre toute attente – et il y a peut-être là au fond quelque chose de transgressif pour l’époque – une belle fresque humaniste refusant la guerre et les idéologies. Un film au lyrisme remarquable et profondément émouvant.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master restauré HD et proposé en version originale russe (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné de deux présentations par Joël Chapron, spécialiste du cinéma russe, relatives au film (9 min.) et au réalisateur Grigori Tchoukhraï (11 min.). Sont également proposés un entretien avec Grigori Tchoukhraï (14 min.) et « La Représentation de la guerre et sa mémoire en URSS et en Russie » : entretien avec François Xavier Nérard, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (2022, 26 min.). Mais le supplément le plus important reste sans doute la présence du film « Le Quarante et unième » de Yakov Protazanov (1926, muet, 51 min.).

Édité par Potemkine Films, « Le quarante et unième » est disponible en blu-ray depuis le 21 février 2023.

Le site Internet de Potemkine Films est ici. Sa page Facebook est ici.

Le site Internet d'Arcadès est ici. Sa page Facebook est ici.