Nous sommes tous en liberté provisoire

Un grand merci à Artus Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Nous sommes tous en liberté provisoire » de Damiano Damiani.

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« Tout le monde se retrouve ici par erreur : soit celle du tribunal, soit la sienne ! »

Un architecte est arrêté pour homicide involontaire : après la mort d'un piéton, il aurait pris la fuite au volant de sa voiture. Vanzi, l'accusé, clame son innocence. Mais la machine judiciaire se met en marche. Durant l'instruction, Vanzi est incarcéré. Ses compagnons de cellule lui paraissent abominables par leur vulgarité et leur violence. L'un d'eux, un étrangleur condamné à vie, le terrorise complètement...

« Je serai différent des autres quand je serai dehors. Mais tant que je suis ici je suis comme eux ! »

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Diplômé des Beaux-arts, l’italien Damiano Damiani aurait pu se destiner à une carrière dans la peinture. Mais il n’en sera finalement rien. S’il débute sa carrière comme dessinateur de bandes-dessinées, il voit rapidement dans le cinéma un autre moyen de raconter des histoires. Après avoir été scénariste (principalement pour Victor Tourjanski pour qui il écrit notamment le scénario des « Bateliers de la Volga ») puis assistant réalisateur, il réalise ses premiers films à la fin des années 50. Cherchant sa voix dans des registres dramatiques d’inspiration plus ou moins naturaliste (« L’île des amours interdites », « Les femmes des autres »), il connait finalement le succès avec « El Chuncho » (1966), un western dans lequel le héros préfèrera finalement l’anarchie et la révolution que la promesse de fortune et de conformisme qui s’offre à lui, laissant ainsi déjà entrevoir son appétence pour les sujets politiques et ses sympathies libertaires. Sans jamais verser pleinement dans la démagogie du poliziottesco, Damiani va néanmoins se faire progressivement le spécialiste des thrillers policiers dénonçant de façon générale la corruption qui gangrène le cœur (politique, économique et judiciaire) d’une société italienne gangrénée par la mafia, donnant ainsi lieu à une série de films coups de poing, comme les excellents « La mafia fait la loi » (1967), « Seule contre la mafia » (1970) ou encore « Confession d’un commissaire de police au procureur de la République » (1971).

« Les choses risquent de mal se finir pour vous : on n’affronte pas les géants, mieux vaut s’entendre avec eux. »

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En 1971, il signe ainsi un formidable thriller carcéral au titre magistral, « Nous sommes tous en liberté provisoire », librement inspiré par un roman de Leros Pittoni. Ou comment Vanzi, un bourgeois a priori sans histoire, soupçonné à tort (du moins le clame-t-il) d’avoir causé un accident de la route mortel, se retrouve incarcéré de façon préventive le temps de l’instruction de l’affaire. Une procédure judiciaire qui va faire basculer peu à peu son existence dans un cauchemar éveillé. Et pour cause, au-delà même de la privation de sa liberté, Vanzi va perdre rapidement ses repères (ceux du monde civilisé et d’une existence qu’on imagine avoir été jusqu’alors plutôt douce) et s’adapter à un univers basé sur l’individualisme et le rapport de force permanent. Et pour cause, puisque les simples prévenus comme lui se retrouvent immédiatement mélangés avec les criminels de la pire espèce. Le tout avec la complicité d’une administration pénitentiaire dépassée, composée de gardiens le plus souvent compromis et corrompus, ayant vendu leur âme et leur intégrité à la mafia, finalement plus rémunératrice que l’État italien. Véritable brûlot contre les institutions, le film de Damiani dénonce la dangerosité d’un système judiciaire archaïque et sans nuances, qui mélange de façon arbitraire les simples prévenus et les criminels de sang. Un système qui, plus encore, place un témoin sensible à la merci des mafieux contre lesquels il veut témoigner. Le tout sous le regard cynique d’une administration complice, au mieux par sa passivité, quand ce ne sont pas les mâtons eux-mêmes qui viennent se défouler sur un détenu. Un monde évoluant finalement en marge de toute morale et de toute loi (le souvenir du fascisme n'est pas loin), si ce n’est celle du plus fort, où tout (ou presque) s’achète. Y compris des « vacances » à l’infirmerie où le médecin peut, moyennant finances, procurer à ses protégés les services sexuelles de détenues de la prison pour femmes. En témoin impuissant de cette déliquescence du monde et de ses valeurs, poussé dans ses retranchements les plus extrêmes, Franco Nero livre là une prestation d’une justesse impeccable, laissait apparaitre une part de vulnérabilité qu’on ne lui connaissait pas. En dénonçant les prisons comme machine à broyer et déshumaniser (le héros doit renoncer à ses valeurs morales, et donc s’abaisser au niveau de ses codétenus, dans le seul but de survivre), Damiani signe pour sa part un film constamment oppressant et totalement terrifiant, ponctué de moments de bravoure ahurissants (la scène de l’exécution dans la cellule). Sans doute l’un des plus grands films sur le milieu carcéral. A voir absolument.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master restauré 2k et proposé en version originale italienne. Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné des modules « Le Fantôme de la liberté » : présentation par Curd Ridel (23 min.) et « Derrière les barreaux » : entretiens avec Enrique Bergier, Corrado Solari et Antonio Siciliano (22 min.), ainsi que d’un Diaporama d’affiches et photos et d’une Bande-annonce.

Edité par Artus Films, « Nous sommes tous en liberté provisoire » est disponible depuis le 2 mai 2023 au sein du formidable coffret blu-ray + DVD « Justice. Politique. Corruption - la trilogie de Damiano Damiani : Nous sommes tous en liberté provisoire + Comment tuer un juge + Goodbye & Amen », qui contient également un passionnant livret Damiano Damiani, un cinéaste se rebelle rédigé par Emmanuel Le Gagne (98 pages).

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