La ballade du soldat

Un grand merci à Potemkine Films ainsi qu’à Arcadès pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « La balade du soldat » de Grigori Tchoukhraï.

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« Plutôt qu’une décoration, est-ce que je pourrais aller voir ma mère ? Quand je suis parti à la guerre, je n’ai pas pu lui dire au revoir… »

Après un exploit militaire, le jeune soldat Aliocha demande une permission pour aller embrasser sa mère, qui habite aux confins du pays, très loin de la ligne de front. Lors d’un voyage épique dans le chaos de la guerre, il fait connaissance de plusieurs personnes, dont Choura, son premier amour.

« Sans l’amitié, on serait fichu dans cette fichue guerre ! »

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La mort du tout-puissant Staline en 1953 marque un tournant pour la société soviétique. Après une longue guerre de succession, le nouveau leader Nikita Khrouchtchev enclenche une politique de déstalinisation qui aboutit à une éphémère (et illusoire) période d’accalmie et d’ouverture. Dans le monde des arts, cela se traduit par une plus grande liberté de ton accordée aux artistes et l’abandon d’un réalisme doctrinaire qui n’est alors plus en phase avec la réalité soviétique. En littérature, Alexandre Soljenitsyne peut ainsi publier « Une journée d’Ivan Denissovitch », critique ouverte du goulag et de la politique répressive stalinienne, tandis que le roman « Le Docteur Jivago »de Boris Pasternak, bien que censuré au départ par les autorités, connait un succès international qui vaut à son auteur un Prix Nobel (qu’il refusera néanmoins sous la pression des autorités). Au cinéma, une nouvelle génération de réalisateurs au style résolument moderne émerge, portée notamment par Sergei Bondartchouk (« Le destin d’un homme », « Guerre et paix »), Andrei Tarkovski (« L’enfance d’Ivan ») et Grigori Tchoukhraï qui signe une trilogie sur les guerres patriotiques soviétiques filmée sous un angle inhabituellement humaniste : « Le quarante-et-unième » (1956, qui lui vaut un Prix spécial du jury au Festival de Cannes), « La ballade du soldat » (1959, qui nous intéresse ici) et « Ciel pur » (1961), charge non-voilée contre la répression stalinienne.

« Tu sais, j’endurerais tout, je supporterais tout en t’attendant. Ton père n’est pas rentré. Mais toi, tu dois revenir. »

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Au sortir de la « grande guerre patriotique » (selon l’expression voulue par ses dirigeants), l’URSS cherche à capitaliser sur sa victoire pour laquelle elle a payé un très lourd tribut de sang. La propagande finance alors des films de guerres patriotiques cherchant à exalter l’héroïsme et le sens du sacrifice des soldats soviétiques et de la puissante armée rouge. Avec « La ballade du soldat », Grigori Tchoukhraï propose d’aborder la guerre sous un angle différent. Ainsi, le destin funeste qui attend son jeune héros, Aliocha, est connu dès la séquence d’ouverture du film. Le spectateur est prévenu : il ne reviendra pas du front, comme tant d’autres de ses camarades. Mais un acte de bravoure (la destruction de deux tanks allemands, seule véritable scène de guerre à proprement parler du film) lui vaudra une permission de huit jours pour aller voir (une dernière fois) sa mère qui se trouve à plusieurs milliers de kilomètres de là. C’est ainsi par le biais des huit derniers jours de « liberté » de ce jeune soldat, loin de l’horreur du front, que le réalisateur nous raconte cette guerre. Son long voyage sera ainsi ponctué de difficultés et, surtout, de rencontres diverses montrant combien la guerre agit comme un révélateur sur la vraie nature des gens (un soldat estropié qui ne veut pas rentrer chez lui de peur d’être un fardeau pour son épouse, un garde qui tente de profiter de sa position pour chaparder les rations du héros, la femme d’un de ses camarades de régiment qui tue le temps dans les bras d’autres hommes…) et qui permettent à Aliocha de grandir moralement en se mettant toujours au service des autres. Et puis, surtout, il fera la rencontre d’une douce jeune fille aussi perdue que lui dans ce monde brutal, et qui s’apparentera à la promesse d’un bonheur conjugal qui, on le sait, ne pourra pas voir le jour. Pour, au final, ne pouvoir embrasser sa mère qu’un court instant avant de devoir repartir vers une mort assurée. Et l’impression au final de l’urgence pour le héros de devoir vivre toute une vie en l’espace de huit petits jours. Avec une pudeur contenue et sans jamais se montrer trop démonstratif, Tchoukhraï trouve le ton juste pour signer un film profondément humain et bouleversant, mêlant à la fois l’insouciance juvénile et le drame terrible de la guerre qui se joue en toile de fond. Un vrai petit miracle cinématographique de délicatesse.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master restauré Haute-Définition et proposé en version originale russe (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné par deux présentations signées Joël Chapron, spécialiste du cinéma russe relative au film (9 min.) et au réalisateur Grigori Tchoukhraï (11 min.), un entretien avec Grigori Tchoukhraï (35 min.) et par « La Représentation de la guerre et sa mémoire en URSS et en Russie » : entretien avec François Xavier Nérard, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (2022, 26 min.).

Édité par Potemkine Films, « La ballade du soldat » est disponible en blu-ray depuis le 21 février 2023.

Le site Internet de Potemkine Films est ici. Sa page Facebook est ici.

Le site Internet d’Arcadès est ici. Sa page Facebook est ici.