[ENTRETIEN] : Entretien avec Emmanuelle Nicot (Dalva)

[ENTRETIEN] : Entretien avec Emmanuelle Nicot (Dalva)

Copyright Caroline Guimbal/Helicotronc/Tripode Productions

Dalva est sans aucun doute une des plus belles découvertes de cinéma francophone de ce début d'année. À l'occasion de sa sortie en salles le 22 mars en France et en Belgique, nous avons pu rencontrer sa metteuse en scène Emmanuelle Nicot au détour d'une avant-première au cinéma Quai 10 de Charleroi.

Ce film, c'est un travail que j'ai commencé il y a 6 ans. Il y a eu 4 ans et demi d'écriture de scénario et puis un an et demi entre le casting, les repérages, le tournage, toute la post-prod, et c'est un film qui s'est un peu imposé à moi.

Qu'est-ce qui vous a amenée à tourner Dalva ?

Emmanuelle Nicot : Ce film, c'est un travail que j'ai commencé il y a 6 ans. Il y a eu 4 ans et demi d'écriture de scénario et puis un an et demi entre le casting, les repérages, le tournage, toute la post-prod, et c'est un film qui s'est un peu imposé à moi. Enfin, je ne m'attendais pas à écrire un film avec cette histoire au moment où j'ai commencé à écrire il y a 6 ans. Il y avait déjà la thématique de l'emprise qui était une thématique qui m'était assez personnelle et que j'avais déjà explorée dans mes précédents courts-métrages. Là, j'avais vraiment envie de l'explorer dans la relation parent-enfant. Et puis, il y a eu une immersion qui a été fondatrice, que j'ai faite dans un centre d'accueil d'urgence dans le nord-est de la France à Forbach. Là-bas, j'ai rencontré des enfants qui avaient tous pour point commun d'être encore sous l'emprise de leurs parents alors qu'ils avaient été justement retirés de leurs familles pour cause de maltraitance avérée. J'ai découvert en fait des enfants qui étaient dans un déni mais d'une puissance inimaginable. Je me suis dit qu'il y avait un film à faire à ce moment-là au tout début du placement. Et puis, j'ai commencé à recueillir pas mal de témoignages de gens qui travaillaient dans le secteur de l'aide sociale à l'enfance et, à un moment donné, est arrivé à mes oreilles l'histoire d'un éducateur qui travaillait avec la police. Son boulot, c'était de venir chercher les enfants à leur domicile quand il y avait des suspicions de maltraitance. Un jour, on l'a contacté pour aller chercher une petite fille de 6 ans qui habitait seule avec son père. En fait, il s'est retrouvé, quand il est allé la chercher, face à une enfant extrêmement sensuelle, extrêmement sexuée, qui était dans une relation de séduction avec lui. Moi, je n'ai su que ça de cette histoire et j'ai eu envie d'imaginer l'histoire de cette petite fille à l'âge de 12 ans, à l'âge de la puberté, des premiers émois, et c'est comme ça que Dalva est née.

Justement, le sujet est extrêmement sensible et le film est d'une justesse totale à ce niveau. Quelle a été l'approche à l'écriture, et par la suite sur le plateau ?

Je pense que, à la base de mon travail, il y a une approche très très documentaire. Bien sûr, il y a cette immersion dans ce foyer, où j'ai côtoyé ces enfants placés pendant plusieurs semaines, et j'ai continué à garder contact avec eux pendant 6 ans. Ça continue encore aujourd'hui, je suis toujours en lien avec Samia, qui m'a très fortement inspiré le personnage de Samia incarné par Fanta Guirassy, et le personnage de Dimi, qui est le petit garçon bouclé dans mon film. Il y a eu également beaucoup de recherches. J'ai fait aussi une immersion dans une école, dans le milieu de la police, j'ai également assisté à beaucoup de procès et puis j'ai rencontré beaucoup de psychologues, de juges des enfants, d'éducateurs, ... Je pense que la justesse de mon film vient de tout ce temps que j'ai mis à l'écrire. Je suis tombée dans mes premières versions de scénario dans tous les écueils dans lesquels je pouvais tomber. En fait, quand on passe 4 ans et demi à écrire, je pense qu'au fur et à mesure, on épure, on épure, et à un moment donné, on arrive à aller chercher derrière les portes... Non, ce n'est pas bien exprimé ce que je dis mais je pense que c'est tout ce travail documentaire et tout ce temps d'écriture qui font la justesse de cette histoire, j'ai le sentiment.

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Copyright Caroline Guimbal/Helicotronc/Tripode Productions

Vous parliez de votre expérience dans les courts-métrages. Quelles ont été vos inquiétudes ou les choses qui vous ont rassurée avec ce passage au format long ?

Je pense que le fait que j'ai passé beaucoup de temps à écrire ce film vient entre autres du fait que je n'avais aucune méthodologie pour écrire un long-métrage. Je suis sortie de l'école, de l'IAD, l'Institut des Arts de Diffusion à Louvain-La-Neuve, où on nous apprend à écrire des courts-métrages, mais on ne nous a jamais appris à écrire des longs-métrages. En fait, j'avais beaucoup de mal à trouver comment procéder pour ça. À la fois, j'avais envie de raconter énormément de choses et en même temps, je me rendais compte au fur et à mesure que je n'avais qu'une heure et demie pour raconter ce que je souhaitais raconter. J'ai mis beaucoup de temps à trouver exactement l'os que je souhaitais ronger et être vraiment focus là-dessus. Toute la difficulté est qu'un long-métrage est à la fois très long et très court (rires).

Pour revenir à la justesse du film, comment avez-vous travaillé avec les jeunes acteurs et particulièrement Zelda Samson, que je trouve exceptionnelle dans le rôle, et comment l'avez-vous découverte ?

Alors, je vais commencer par la seconde question. J'ai lancé un très très grand casting pour trouver le personnage de Dalva. Il faut savoir que je suis aussi directrice de casting en parallèle de mon travail en tant que réalisatrice et je fais beaucoup de castings sauvages. C'est un bagage qui m'a beaucoup aidée pour ce film-là car je pense que je savais exactement ce que je voulais déjà pour le personnage de Dalva et où je pouvais potentiellement la trouver. Mon cahier des charges, c'est que je cherchais une jeune fille qui soit issue d'un milieu social moyen, voire aisé, qui ait une certaine maîtrise du langage et aussi qui ait un port de tête de danseuse. Je cherchais aussi une jeune fille à qui on ne pouvait pas donner d'âge. Donc du coup, j'ai déposé des annonces dans des centres équestres, dans des écoles de danse classique, des écoles de gymnastique, des écoles de musique et en fait, je me suis retrouvée en tout après ce casting en Belgique et en France avec 5000 candidatures pour le rôle de Dalva. J'ai sélectionné 300 jeunes filles sur base de photos et je leur ai demandé à chacune de me faire une petite vidéo de présentation où elles se filmaient seules dans leur chambre. Je suis tombée sur la vidéo de Zelda qui avait 11 ans à l'époque et qui s'exprimait avec un vocabulaire d'une immense richesse, avec beaucoup d'aplomb. Elle m'expliquait qu'elle voulait devenir astrophysicienne spécialisée dans la matière noire, qu'elle se voyait prix Nobel, ... Elle était très critique par rapport aux garçons de sa classe et elle se disait féministe. Du coup, j'ai souhaité la rencontrer et en fait, très très rapidement, j'ai compris qu'elle était magnétique à la caméra et qu'elle était comme Romy Schneider. Je tournais autour d'elle et elle changeait de visage en fonction de l'angulation avec laquelle je la filmais. Elle avait 10 ans quand je la filmais de face, 20 quand je la filmais de profil, et elle avait ce pouvoir de changer de visage qui me fascinait, et surtout, elle n'avait pas d'âge. Après, ce qui était compliqué, c'est que Zelda n'avait pas la grâce que je lui avais imaginée. Elle était assez voûtée, elle regardait un peu au sol et elle était assez masculine dans sa façon de s'habiller, de se tenir. Du coup, on a dû faire un gros travail en amont du tournage où pendant trois mois, elle a dû travailler avec une ancienne danseuse qui lui avait vraiment appris à se mouvoir comme Dalva. Et moi par ailleurs, j'ai travaillé aussi dans la direction d'acteurs pendant trois mois avec Zelda. On a lu le scénario, je lui ai beaucoup expliqué ce qu'avait vécu Dalva avant que le film ne commence pour qu'elle puisse s'enraciner dans son personnage, je lui ai expliqué aussi tous les tenants et aboutissants émotionnels et psychologiques de ce que traversait Dalva durant tout le film. Ce qui est très bien, c'est que Zelda est extrêmement mature donc elle comprenait vraiment beaucoup de choses. Et puis, on a répété toutes les scènes avec Fanta Guirassy qui joue le rôle de Samia, et puis on est arrivés le jour du tournage. Ce qui était bien, c'est qu'on avait défraîchi tout mais il y avait tout à faire, comme la rencontre avec chaque comédien adulte qui allait se faire sur le tournage, qu'on n'avait pas du tout travaillé avant. Ça, c'était une vraie belle découverte et cela a beaucoup apporté à Zelda car il y a certains adultes qu'elle a rencontrés qui lui ont permis d'éclore en tant qu'actrice par la connexion qu'elle a pu avoir avec ces gens-là. Je pense à Alexis Manenti et Jean-Louis Coulloc'h, sans dévoiler qui sont ces gens dans le film. Il faut savoir aussi que, compte tenu de la thématique du film, Zelda a également été suivie psychologiquement durant tout le tournage. Elle a vu une psy plusieurs fois durant les 2 mois et demi de tournage et elle avait la possibilité aussi de voir plus de fois cette psychologue mais elle ne l'a jamais demandé car je pense que la magie du premier tournage l'a emporté pour tout.


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Pour resituer le contexte, cette partie de l'interview avait lieu juste avant la présentation du film. Après une courte interruption, l'entretien a donc repris dans la brasserie du Quai 10.

Justement, comment avez-vous essayé de conserver ce regard d'enfant dans la mise en scène, notamment cette caméra à l'épaule ?

Je pense que ce regard d'enfant était une volonté dès le début de l'écriture. J'avais envie qu'on entre dans l'histoire dans le chaos, dans l'incompréhension totale, exactement comme Dalva voit débarquer ces policiers chez elle, et qu'elle ne comprend absolument rien. En fait, j'ai décidé que le parti pris de tout mon film en effet est d'être à hauteur d'enfant. Au niveau de la mise en scène, à l'image, on a beaucoup réfléchi avec ma chef op à où mettre la caméra pour être le plus proche possible de Dalva et de ses émotions. Pendant toute la première partie du film, on a travaillé le hors champ, sur le fait que tous ces enfants du foyer qu'elle va rencontrer n'existent pas à l'image. Il n'y a jamais de plans réels sur eux, ils sont tous très flous à part Samia, la coloc de chambre. Pareil pour les éducateurs : on les voit toujours de loin, de profil, ... Ils n'appartiennent pas à ce monde. Ça a été « Comment mettre en scène le déni ? » et le déni qui va progressivement vers cette prise de conscience. Dans la seconde partie du film, bien qu'on n'ait pas élargi le quatre tiers comme Xavier Dolan le fait dans Mommy, malgré tout, on a fait des plans beaucoup plus larges, tous les enfants du foyer se mettent à avoir des visages et, au fur et à mesure, tout ce décor dans lequel elle se trouve se met à exister et à devenir aussi cet endroit refuge où elle est en train tout doucement de reconstruire sa vie.

Quelle serait la scène que vous avez envie de mettre le plus en avant durant l'élaboration du film ?

Je peux parler de la scène d'ouverture qui a été la toute dernière scène qu'on a tournée. On a tourné dans un ordre très achronologique en fait parce qu'il y avait des histoires de cheveux, de repousses de cheveux, et autres qui nous ont rendus... C'était un tournage qui a dû se faire en fonction de ces cheveux. Du coup, par exemple cette première scène d'ouverture, c'est la toute dernière scène qu'on a tournée, et pour le mieux, car Zelda, qui est quelqu'un d'extrêmement cérébral, et très dans le contrôle aussi, je pense que ça aurait été très très compliqué pour elle le premier jour de tournage d'autant crier et se débattre, d'être dans quelque chose d’aussi extrêmement physique comme ça. C'est vrai que j'ai vu Zelda éclore au fur et à mesure du tournage et il y a des scènes fondatrices qui n'ont pas été tournées au tout début et j'en suis très heureuse.

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Le film a d'excellents retours, la salle ici est pleine, vous êtes passés dans plein de festivals avec que des louanges,... Qu'est-ce que cela vous procure comme sentiment ?

Ah ben beaucoup de joie ! J'ai du mal à en parler car j'ai peu de comparatif car c'est mon tout premier film. Oui, c'est un conte de fées car ce premier film s'est retrouvé à Cannes alors que je ne m'y attendais absolument pas. S'il y a six ans, quand j'ai commencé à l'écrire, on m'avait dit ça, je pense que je n'y aurais jamais cru. Je n'ai jamais vraiment suivi l'actualité de Cannes, je ne m'y suis jamais vraiment intéressé, mais en y allant, je me suis rendu compte à quel point cela allait déterminer en grande partie la carrière de mon film au niveau visibilité. Tous ces programmateurs de festivals qui étaient dans la salle au moment de la projection, tous ces exploitants aussi, notamment français et belges, qui étaient à cet endroit-là. Je pense que mon film n'aurait pas du tout eu cette même vie s'il n'était pas passé à Cannes. Oui, cela me donne beaucoup d'espoir mais aussi beaucoup de légitimité à continuer cette carrière dans le cinéma même si je ne sais absolument pas ce qu'il adviendra si je fais un deuxième film, si ça marchera ou pas, je n'en sais rien. En tout cas, pour le moment, il y a beaucoup de joie.

Propos recueillis par Liam DebruelMerci à Barbara Van Lombeek pour cet entretien.