Le Dictateur (1940) de Charles Chaplin

Après avoir abordé difficilement le virage du cinéma parlant en osant juste le sonore avec "Les Lumières de la Ville" (1931) et "Les Temps Modernes" (1936) Charles Chaplin décide d'assumer enfin (pourrait-on dire) le cinéma parlant avec ce qui est et reste à ce jour son film le plus ambitieux et, dans un sens, le plus visionnaire. En effet, il écrit son histoire alors que le nazisme de Adolf Hitler est au pouvoir depuis des années en Allemagne et commence le tournage juste quelques jours après que la Grande-Bretagne et la France ait déclaré la guerre à l'Allemagne ne septembre 1939. Producteur-réalisateur-scénariste-compositeur-acteur Charles Chaplin co-signe son scénario avec Robert Meltzer, un collaborateur qui sera aussi proche de Orson Welles pour qui il jouera dans "Voyage au Pays de la Peur" (1943), mais qui sera, ironie du sort, débarqué en Normandie en juin 1944 avant de mourir à la bataille de Brest à seulement 30 ans. Evidemment Chaplin s'inspire de Hitler et de son régime pour le parodier à outrance afin de le dénoncer ce qui fait de le premier artiste à le dénoncer. Le film sera le plus grand succès commercial de Chaplin mais l'accueil critique sera un peu mitigé, dont plusieurs nominations aux Oscars sans obtenir de statuettes, ce qui s'explique par le contexte géo-politique ; en effet, en 1939 les Etats-Unis sont un pays neutre, et beaucoup pense que le film de Chaplin met de l'huile sur le feu, d'ailleurs le gouvernement allemand protesta officiellement contre ce projet créant des tensions diplomatiques mais Chaplin tenu bon devant les pressions. Finalement l'Histoire donnera raison à Chaplin, d'abord parce que les Etats-Unis entrerons finalement en guerre, et obligerons d'ailleurs l'Allemagne à sortir le film en salles dès 1945. Le film sera logiquement plus ou moins snobé, et ressortira en 1958. La postérité rendra honneurs et hommages à ce film grandiose. Notons d'ailleurs ce clin d'oeil de Roberto Begnini, reprenant comme matricule de prisonnier le numéro de l'uniforme du dictateur de Chaplin pour son film "La Vie est Belle" (1997)... Blessé pendant 14-18, un amnésique est admis pour un séjour en hôpital psychiatrique. Pouvant enfin sortir il retrouve sa boutique de barbier dans un ghetto juif, son pays étant désormais dirigé par un dictateur qui lui ressemble étrangement. Les persécutions étant de plus en plus fortes le petit barbier va devenir héros malgré lui de la lutte contre l'oppresseur...

Le Dictateur (1940) de Charles Chaplin

Pour ce film, Chaplin délaisse pour la première fois son personnage Charlot et incarne cette fois un double rôle étant le petit barbier et le dictateur Hynkel. Il retrouve après "Les Temps Modernes" sa troisième épouse Paulette Goddard avant de divorcer en 1942, vue justement avant dans "Femmes" (1939) de George Cukor et qui va se faire un nom d'abord chez Cecil B. De Mille et dans "Le Journal d'une Femme de Chambre" (1946) de Jean Renoir. Le dictateur voisin, alter ego d'un certain Mussolini est incarné par Jack Oakie vu dans "Alice au Pays des Merveilles" (1933) de Norman Z. McLeod et "La Femme en Cage" (1937) de Raoul Walsh, tandis que le commandant Schultz est interprété par Reginald Gardiner révélé dans "The Lodger" (1927) de Alfred Hitchcock et vu plus tard dans "La Folle Ingénue" (1946) de Ernst Lubitsch ou "Okinawa" (1950) de Lewis Milestone. Citons Henry Daniell surtout vu chez George Cukor dans "Le Roman de Marguerite Gautier" (1936), "Indiscrétions" (1940) et "My Fair Lady" (1964), Billy Gilbert vu dans "Les Mains d'Orlac" (1935) de Karl Freund et "Les Poupées du Diable" (1936) de Tod Browning, Grace Hayle vue dans "Sérénade à Trois" (1933) de Ernst Lubitsch et "Une Etoile est Née" (1937) de George Cukor, Maurice Moscovitch vu dans "Elle et Lui" (1939) de Leo McCarey et "L'Autre" (1939) de John Cromwell, Emma Dunn vue dans "Les Croisades" (1935) de Cecil B. De Mille et "L'Extravagant Mr. Deeds" (1936) de Frank Capra, Bernard Gorcey vu plus tard dans le sublime "Le Portrait de Dorian Gray" (1945) de Albert Lewin ou "Nous avons Gagné ce Soir" (1949) de Robert Wise, Paul Weigel vu dans "La Huitième Femme de Barbe-Bleue" (1923) de Sam Wood et "Ninotchka" (1939) de George Cukor, Robert O. Davis qui sera dans l'autre grande comédie anti-nazi de l'époque "Jeux Dangereux" (1942) de Ernst Lubitsch, Wheeler Dryden demi-frère de Charles Chaplin, qui réalisa le film "Le Mari Déchaîné" (1928) avec son autre demi-frère Sydney Chaplin, et qui retrouvera son célèbre frère dans "Monsieur Verdoux" (1947) et "Les Feux de la Rampe" (1952), puis enfin n'oublions pas deux fidèles, Chester Conklin acteur aux plus de 300 rôles dont plusieurs Chaplin de "Charlot et le Parapluie" (1914) jusqu'à "Les Temps Modernes" (1936), retrouvant aussi et surtout Hank Man, vu dans plus de 460 films depuis ses débuts au sein des Keystone Cops (1912-1917) dont une vingtaine de Chaplin depuis "Charlot fait son cinéma" (1914)... Chaplin débute son film d'emblée avec un parallèle savoureux, un soldat qui renvoie forcément au passé de Hitler, "petit caporal" durant la Première Guerre Mondiale mais dans le film le destin sera légèrement différent. On apprécie la séquence aérienne dont l'humour empreinte à l'humour so british. Le scénario est construit en mettant en parallèle deux destins, celui d'un barbier juif et d'un dictateur antisémite, le coup de génie (le premier d'une longue liste !) est que ces deux êtres que tout oppose sont sosies ! Par là même, le film assène la bêtise la plus bête (insistons !) qu'il est drôle qu'un dictateur qui porte aux nues les critères de l'aryen grand blond aux yeux bleus soit un petit brun rondouillard aux yeux marrons.

Le Dictateur (1940) de Charles Chaplin

Tandis que le petit barbier reprend le boulot et trouve l'amour malgré les brimades des soldats, le dictateur cherche à annexer un autre territoire convoité par à un autre dictateur ersatz non dissimulé de Mussolini appelé ici Napaloni. Nouveau coup de génie, où comment Chaplin se moque de la relation amour-haine opportuniste entre Hitler-Mussolini alias Hynkel-Napaloni. Dans les coulisses du pouvoir on rit des personnages plus vrais que nature, on reconnaît ainsi Göring un des plus proches généraux de Hitler, ici Herring dont est moqué son placard de médailles, on peut deviner peut-être Himmler alias Garbisch dans le film mais le plus hilarant reste forcément Hynkel, dictateur hystérique, maniaque, lunatique, colérique et même maladroit, et encore peureux ("Je me fais peur à moi même !") mais qui est aussi poétique en témoigne la mythique séquence magique de la danse avec le globe terrestre ; assurément l'un des scènes les plus cultes du Septième Art ! Alors que le dictateur entre dans le vif du sujet avec son homologue Napaloni le petit barbier travaille, et lui aussi offre une séquence très "professionnelle" où Chaplin en profite pour faire du Charlot pur et on se rappelle soudain l'importance de la moustache... Le film ne passe pas 5mn de trouvailles et d'idées géniales, si on a l'habitude chez Chaplin on constate pourtant que le film se fait pourtant moins hilarant moins onirique moins touchant, d'abord parce qu'il y la portée politique qui n'aura jamais été aussi importante, jamais aussi puissante dans un de ses films, ensuite parce que les gags sont essentiellement des moqueries et la satire vis à vis de Hitler comme ce running gag sur le salut entre les deux dictateurs  jusqu'à ce grand final dont le sérieux replace le film sur un piédestal unique et inédit dans la filmographie de Chaplin comme dans le cinéma mondial. Le génie de Chaplin n'aura jamais été plus probant ni plus évident, néanmoins, la dose de sérieux aussi nécessaire que logique vu le sujet et le message laisse un (tout) petit goût amer. Ca reste un chef d'oeuvre de par son audace et ses coups de génie dans l'écriture. A voir, à revoir et à conseiller.

Note :  

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19/20