« Massacre à la tronçonneuse » de David Blue Garcia

Afficher l’image sourceComment fait-on pour produire un film d’horreur populaire sans avoir une once d’imagination ? Eh bien, on ressort du placard un monstre sacré du genre et au choix, on donne une suite à sa saga cinématographique ou on en signe un reboot.
Ici, Chris Thomas Devlin, Rodo Sayagues et Fede Alvarez, déjà auteur d’un remake sans âme d’Evil dead, ont décidé de faire reprendre du service à ce bon vieux Leatherface, le colossal tueur de Massacre à la tronçonneuse, et choisi la première option, celle d’une suite. Mais une suite à quoi, exactement ? Car bien d’autres ont eu cette idée avant eux, générant déjà une suite officielle au film de 1974, puis deux autres plus ou moins reliées, Massacre à la tronçonneuse 3 et Massacre à la tronçonneuse : la nouvelle génération, puis un remake signé Marcus Nispel, la préquelle du remake, puis une version 3D abracadabrantesque accompagnée d’une nouvelle préquelle, signée Alexandre Bustillo et Julien Maury et sortie en 2017. Une saga découpée à la scie électrique en somme…

Bonne idée, les auteurs ont pris le parti d’oublier tout ce bazar, sauf le film original, et choisi de réutiliser les deux personnages-clé, Leatherface et Sally Hardesty, seule rescapée du massacre.
Moins bonne idée, l’opposition entre le tueur et son ancienne victime ne se situe pas dans la temporalité directe du chef d’oeuvre de Tobe Hooper, mais dans un contexte complètement contemporain, en s’inspirant de l’exemple de David Gordon Green et sa nouvelle trilogie Halloween. 
La même recette induit les mêmes défauts, à commencer par un postulat de départ manquant totalement de crédibilité. C’est mathématique. 2021 moins 1973, cela fait quarante-huit ans de différence.
Donc la victime, qui avait une vingtaine d’années au moment du premier film, a donc aujourd’hui pas loin de soixante-dix ans. Idem, sinon plus, pour le tueur… Car si on fait la moyenne des années de naissance de Leatherface, fluctuantes d’un film à l’autre, on devrait atteindre un âge du capitaine autour de 75 à 80 printemps. Logiquement, il ne devrait pas y avoir de film, car, sans vouloir manquer de respect à nos lecteurs seniors,  à ces âges respectables, Sally devrait profiter de sa retraite et se promener avec ses petits enfants et Leatherface devrait user son fauteuil en cuir devant la télévision en soignant son arthrose. En tout cas, même en l’imaginant encore actif, on peine à lui attribuer l’endurance, la souplesse et la force physique de sa jeunesse…  Eh bien, pas au Texas, apparemment, car le bonhomme peut toujours porter à bout de bras sa tronçonneuse tout en piquant des sprints, briser des os juste avec sa poigne ou casser un mur entier à coups de masse. Papy fait de la résistance, on dirait… Mamie aussi, puisqu’elle est prête à en découdre avec lui à coups de fusil à pompe, en bonne partisane de la NRA…

Bon, admettons… Il est vrai que Leatherface a de qui tenir, puisqu’on se rappelle que son grand-père centenaire maniait encore très bien le marteau dans le film original – une vraie famille de bricoleurs! – et Sally, probablement devenue complètement siphonnée à l’issue de son passage chez les cannibales texans, a passé sa vie à ruminer sa vengeance. Au moins, ils sont à armes égales, aussi âgé l’un que l’autre… Parfait…
Ah non, pardon, leur affrontement n’est même pas le coeur du récit. Les auteurs ont préféré choisir pour personnages principaux quatre jeunes startuppeurs illuminés qui ont des idées encore plus stupides que les leurs. Le petit groupe, composé de Dante (Jacob Latimore), sa fiancée (Nell Hudson), son associée Melody (Sarah Yarkin) et Lila (Elsie Fisher), la soeur de cette dernière, est en effet de transformer Harlow,  ville-fantôme du Texas, en boutiques BCBG et restaurants étoilés. Pas de bol pour eux – et pour nous – c’est là, dans l’orphelinat local, que Leatherface coule des jours paisibles auprès de sa maman de substitution. Quand les jeunes crétins essaient de les faire expulser de chez eux, il s’agace un peu, forcément… A moins que sa tronçonneuse ait juste une dent contre la chanteuse Barbara Pravi, dont Melody est le sosie officiel (si, si…)
Bref, cette banale querelle de voisinage devient le prétexte à un nouveau jeu de massacre et les protagonistes, certes totalement insignifiants, ne deviennent plus que de la chair à canon, ou plus exactement, de la chair à scie électrique…

C’est là le seul plaisir (coupable) offert par le film. La découpe systématique de ces citadins décérébrés découvrant l’art de vie à la texane, a quelque chose d’assez réjouissant, notamment lors du morceau de bravoure gore du film, quand Leatherface s’invite, avec son fameux engin, dans un bus transformé en discothèque, où s’éclatent un groupe d’influenceurs venus soutenir les jeunes entrepreneurs. Que ceux qui sont dans la vibe, lèvent le bras. Ah ben non, trop tard, ça a coupé… Mais ça vous fera un beau film sur Tok Tok…
D’une certaine façon, ce Massacre à la tronçonneuse cuvée 2022 s’inscrit dans une certaine tradition du film d’horreur à vocation sociale, portant un regard assez radical sur le phénomène de “gentrification” des zones rurales. D’une certaine façon, hein…

Pour le reste, c’est du grand n’importe quoi. Une fois admis qu’un septuagénaire rivalise physiquement avec une cohorte de jeunes gens en pleines possessions de leurs moyens (physiques, hein, car pour le reste, on peut avoir quelques doutes…), il faut aussi accepter de voir des personnages salement amochés continuer de bouger et de combattre, comme si de rien n’était. Certaines victimes continuent de bouger après avoir reçu une balle dans le crâne, une partie de visage arraché ou le ventre éparpillé façon puzzle. Normalement, on appelle ça des zombies. On est dans Walking dead ou quoi ?
Leatherface lui-même se montre particulièrement increvable, résistant aux balles, aux coups de couteau ou à la noyade. Mais que lui donnent-ils à manger? Hum… Ca râle! Car normalement, il faudrait être un boogeyman, une totale incarnation du Mal, pour résister à tout cela. On est dans Halloween ou quoi ?

On pourrait continuer à énumérer longtemps les aberrations du film, la psychologie de bazar des personnages, le montage à la hache (la nuit tombe très vite, au Texas : un plan, on est en plein jour et deux plans plus tard, on est au milieu de la nuit…) ou la mise en scène paresseuse, mais arrêtons le massacre! (Et que les producteurs arrêtent aussi, de leur côté).
Vous l’aurez compris, ce Massacre à la tronçonneuse 2022 n’est qu’un film d’exploitation de plus, un film d’horreur assez bancal et cheap. Ce n’est certes pas le plus mauvais film de la saga (Texas Chainsaw 3D était bien pire, à dire vrai), et il fera peut-être plaisir à quelques amateurs de cinéma horrifique peu exigeants ou aux inconditionnels du tueur à la tronçonneuse. Mais les cinéphiles qui s’attendaient à être aussi perturbés que lors de leur première confrontation avec l’œuvre de Tobe Hooper seront, eux, probablement très déçus de ne pas retrouver cette atmosphère poisseuse et malsaine qui irriguait le récit initial.
Il serait peut-être temps de remiser les tronçonneuses et réfléchir à d’autres sujets de scénarios. Vu les faits divers qui émaillent chaque jour les actualités, les sources d’inspiration ne devraient pas manquer…


Massacre à la tronçonneuse
Texas Chainsaw massacre

Réalisateur : David Blue Garcia
Avec : Mark Burnham, Sarah Yarkin, Elsie Fisher, Olwen Fouéré, Jacob Latimore, Nell Hudson, Alice Krige
Origine : Etats-Unis
Genre : Suite grabataire de film d’horreur mythique
Durée : 1h21
Date de sortie France : 18/02/2022 (Netflix)

Contrepoints critiques :

“Cet énième Massacre à la tronçonneuse souhaite suivre les traces de son glorieux ainé sans rien comprendre aux forces du film originel. Une suite opportuniste et stupide qui a au moins la délicatesse de ne durer qu’un peu plus d’une heure, c’est déjà ça…”
(Mathieu Grumiaux – Clubic)

”Cette suite du slasher culte est certes moins révolutionnaire dans sa mise en scène de l’angoisse mais se fait plus ludique dans celle de l’horreur pur jus. Et séduit d’autant plus que le massacre est réservé à une bande de bobos néo-ruraux insupportables.”
(Katell Le Marchand  – Télérama)