“Mourir peut attendre” de Cary Joji Fukunuga

Mourir peut attendreCabinet du Dr Neau, 3 octobre 2021

– Bonjour Docteur

– Bonjour Monsieur. Rappelez-moi votre nom…

– Bond, James Bond

– Qu’est-ce qu’il vous arrive, Monsieur Bond ?

– Ben, je ne sais pas trop, mais depuis quelques jours, je me sens un peu patraque… Comme quelque chose qui me reste sur l’estomac.

– Depuis quand exactement ?

– Depuis ma dernière mission.

– D’accord… Vous faites quoi comme boulot ?

– Agent secr… Euh… Import-export.

– Ah. Vous devez voyager beaucoup.

– Ah, ça oui! Récemment, j’ai voyagé en Italie, aux Bahamas, à Cuba, en Angleterre, en France, en Norvège et une île entre Russie et Japon.

– D’accord… Ça fait beaucoup. Et vous faites ce métier depuis longtemps ?

– 1962

– OK… Ça fait une longue carrière, ça. Vous avez vos annuités depuis un moment, vous savez… Vous avez songé à la retraite ?

– Evidemment, docteur. J’étais à la retraite depuis une déception amoureuse et accessoirement après m’être retrouvé poursuivi par un cyclope et une bande de tueurs à la solde de Lyutsifer, décidés à me transformer en passoire euh… je veux dire de rivaux commerciaux animés de mauvaises intentions…

– Mmm… Je vois… Dépression, hallucinations, délire de persécution. Ne bougez pas, je vais vous donner un calmant.

– Hé, mais non, je… Je ne suis pas fou, vous savez! Euh… Argh… Bon, docteur, je ne suis pas vraiment dans l’import-export, en fait, je suis agent secret au service de sa Majesté, agent du MI-6.

– Ah d’accord, je comprends mieux. Forcément, vous ne pouvez pas être tranquille cinq minutes, avec tous ceux qui cherchent à vous piéger, vous manipuler ou vous voler des données.

– Sans parler des psychopathes qui veulent me faire la peau parce que j’ai déjoué leurs plans diaboliques. Vous n’imaginez pas le nombre de fous furieux qui veulent décimer la planète ou attenter à nos libertés. Et quand je dis, ça, je ne parle pas de vaccin ou de passe sanitaire, hein. Des vrais méchants. Des méchants de James Bond, quoi… (En toute modestie).

– C’est un job physique, j’imagine?

– Un peu, docteur : marche, course, natation, saut, boxe, lutte anglo-romaine, tir au pistolet, tir au fusil, pilotage de voiture ou d’avion… La routine, quoi… Et le reste du métier n’est pas reposant non plus. Par exemple, ces cocktails auxquels il faut assister, où on est tout le temps debout, le dos en vrac et les sens en alerte. Sans parler des espionnes rivales à qui il faut délier les langues lors de corps-à-corps nocturnes épuisants.

– Monsieur Bond, il va falloir vous calmer un peu, hein. Vous n’avez plus l’âge de parcourir la planète à ce rythme-là, avec le décalage horaire, tout ça. Fini les soirées à siroter des mojitos…

– Ah pour ça, je suis tranquille, je suis aux vodka-martinis au shaker…

– Euh… Faut arrêter, hein… Et arrêtez de tirer (sur) tout ce qui bouge, vous allez finir par vous user.

– Ah, mais je sais bien docteur. Ecoutez, j’avais déjà arrêté d’être polygame en restant fidèle à Madeleine Swann. Mais après des vacances à deux cauchemardesques, j’ai préféré prendre mes distances et ma retraite donc. Depuis, tel une grenouille, je vis presque en ermite. J’ai complètement arrêté les sirènes en bikini pour me consacrer à la pêche au thon. Et j’y serai encore si mon vieux copain Félix Leiter ne m’avait demandé de faire une pige pour lui. Un problème de scientifique au nom imprononçable, en fuite après le vol d’un virus 2.0 capable de décimer la planète.

– Un coronavirus?

– Pire, un connard de virus à base de nanorobots génétiquement ciblés… Et cible de toutes les convoitises, surtout de la part des psychopathes, des crapules et des traitres. C’est pour ça que ça a dégénéré. Jusque-là, c’était un job assez facile, que j’ai mené avec Paloma, une collègue cubaine ultra-sexy et ultra-efficace. J’ai aussi croisé ma remplaçante au MI-6, Nomi, une femme ultra-sexy et ultra-efficace, mais moins sympathique. Regardez-les sur cette photo…

– Rââââ Lovely… Hum…  Jolies, effectivement… Et vous n’avez pas…

– Non, je n’ai pas craqué, docteur. Je suis resté de marbre. Pas de câlin, pas de bisou, rien de rien… C’est grave?

– Ah, ça m’inquiète un peu pour vous, oui… Vous êtes sûr que vous Bond… Hé, mais qu’est-ce que je dis moi?

– Bon, en fait, j’ai refait un tour du côté de chez Swann. Je suis tombé sur elle par hasard à une fiesta chez mon ennemi préféré Blofeld. On a refricoté un peu. Mais, pas de folies, hein. Avec elle, c’est comme avec Léa, c’est doux… Pas d’ébats sauvages comme chez Kechiche.

– D’accord, votre problème n’est pas d’ordre sexuel. Donc, c’est professionnel. Vous avez eu une surcharge de travail lors de cette mission?

– Ah ça oui, je n’ai pas chômé. Deux ou trois poursuites automobiles, des fusillades à gogo, des bagarres à mains nues, d’un pays à l’autre, d’un climat à l’autre. Je n’ai pas eu une minute à moi… Si on faisait un film sur cette mission, il durerait pas loin de 2h45.

– Ah quand même… C’est beaucoup… Un film d’espionnage, en moyenne, c’est 2h. Max 2h20…

– Au début, mes missions tenaient, disons, en 1h50. Puis c’est monté en flèche. Mon avant-dernière mission, Spectre, durait déjà 2h40.

– Ne cherchez pas, vous êtes dans l’excès. Ce n’est pas bon, mon vieux. C’est déjà mauvais pour le scénario qui peut vite basculer dans le n’importe quoi.

– En même temps, un film de James Bond, ce n’est jamais totalement crédible, docteur.

– D’accord, admettons. Je reste persuadé que votre scénario est un peu trop tiré par les cheveux pour être honnête et est en décalage avec le sérieux que vous voulez afficher, mais bon, je suis médecin, moi, pas script doctor… En revanche, en matière d’action, je sais que l’accumulation de scènes peut finir par créer un bouchon et avoir l’effet inverse de celui recherché. Surtout si les morceaux de bravoure se ressemblent un peu et qu’ils se règlent un peu trop facilement. Non, l’excès, ce n’est pas bon, Bond… Je vais vous prescrire un régime, mon cher Monsieur. On va enlever un peu de superflu et ça ira mieux… Là, c’est un peu indigeste et c’est quand même un comble pour un film qui est produit par des Broccoli.

– Oui, mais docteur, dans ce film, il y aurait aussi des scènes psychologiques où je me poserais plein de questions sur ma vie.

– On va enlever ça aussi. Je comprends bien que ça fait son petit effet, ce côté plus mature moins macho, mais il va falloir revenir à des choses plus légères et joyeuses.

– C’est à dire que je suis en deuil. Tout le monde a tendance à mourir autour de moi. Dans mes missions précédentes, j’ai perdu une M, une Vesper. Là, je euh…

– Sans compter les spectateurs morts d’ennui. Ta ta ta… Je ne veux pas le savoir. Nous voilà au coeur du problème. Vous tombez dans la déprime, mon vieux. Même votre générique de début et sa traditionnelle chanson semblent sous prozac. Ne cherchez pas, c’est ça qui vous met en vrac. Ressaisissez-vous, sinon vous allez claquer, hein… Les diamants sur éternels, mais pas vous ! Alors, amusez-vous! Vous savez quoi? Je vous prescris beaucoup de travail, des virées en Aston Martin, des vodkas-martini au shaker, des missions géopolitiques un peu plus excitantes, sans peur du politiquement incorrect, plein de jolies filles à séduire à l’ancienne, sans risque de #Metoo, des gadgets de Q (de Q, hein, pas de c…). Un peu de bonne humeur, une pincée d’humour supplémentaire et vous allez vous remettre. Allez, Mourir peut attendre. Comme ça, si on fait ce fameux film, le carton post-générique de fin indiquera « James Bond reviendra ». Mais plus fort, certainement…


Mourir peut attendre
No time to die

Réalisateur : Cary Joji Fukunaga
Avec : Daniel Craig, Léa Seydoux, Rami Malek, Lashana Lynch, Ana de Armas, Ralph Fiennes, Christoph Waltz, Ben Wishaw, Naomi Harris, Jeffrey Wright
Origine : Royaume-Uni, Etats-Unis
Genre : Bond… James Bond
Durée : 2h43
Date de sortie France : 03/10/2021

Contrepoints critiques :

”Sans rien céder sur les fastes spectaculaires attendus, Mourir peut attendre est animé par une fougue réformatrice qui le pousse à repenser de fond en comble toutes les constituantes censément immuables du mythe, et ce faisant lui offre son visa pour un nouveau monde.”
(Jean-Marc Lalanne – Les inrockuptibles)

”Raccord avec les quatre précédents opus, le film élégiaque assume à 100% ses choix audacieux et controversés, insufflant une gravité et une singularité séduisantes.”
(Stéphanie Belpêche – Le Journal du Dimanche)

”Bavard, long et confus, le nouveau James Bond se résume à un fatras d’effets spéciaux et de démonstration financière.”
(Laurent Cambon – A voir à lire)

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