[CRITIQUE] : Benedetta

[CRITIQUE] : Benedetta

Réalisateur : Paul Verhoeven
Acteurs : Virginie Efira, Daphne Patakia, Charlotte Rampling, Lambert Wilson,...
Distributeur : Pathé
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Français, Néerlandais.
Durée : 2h05min.
Synopsis :
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2021
Au 17ème siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Dès son plus jeune âge, Benedetta est capable de faire des miracles et sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des soeurs.


Critique :

Objet funambule toujours au bord du cassage de gueule monumentale, entre la comédie érotico-divine (avec un doigt de nunsploitation) et la tragédie puissante et cruelle,#Benedetta décontenance et ne laisse jamais indifférent dans son exploration plurielle de la foi. Superbe Efira pic.twitter.com/3Yjv0ZeVhB

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) July 10, 2021

Cela serait évidemment stérile de revenir, une fois de plus, sur la grandeur évidente du cinéma aussi piquant que jouissif du génial Paul Verhoeven, dont la carrière Hollywoodienne - autant parsemée d'embuches que de chefs d’œuvres - aura grassement nourrit les cinéphiles endurcis que nous sommes, biberonnés aux bandes magiques des 80s/90s.
Reste que depuis son retour vers son Europe natale, fatigué par une industrie ricaine qu'il a pervertit et décortiqué sous toutes les coutures - et parfois plus que de raison -, le bonhomme, quatre-vingt-trois printemps au compteur, semblait avoir retrouvé des couleurs avec un chef-d'oeuvre indiscutablement noir - Black Book -, et une bonne grosse cla-claque bien de chez nous - Elle, avec Queen Isabelle Huppert.
Remonté comme un coucou en rute qui aurait pris une petite dose supplémentaire de viagra au cas où, il s'attaque cette fois avec le bien nommé Benedetta - nouvel adoubement Cannois à la clé - à rien de moins que la vie de Benedetta Carlini (et plus directement le roman " Immodest Acts: The Life of a Lesbian Nun in Renaissance Italy " de Judith C. Brown), une religieuse italienne du XVIIe siècle qui prétendait avoir des visions de Jésus et qui fut réprimandée - pour être poli - parce quelle était lesbienne, avant de réussir par la force du temps, à obtenir astucieusement le statut de sainte dans sa petite ville toscane de Pescia.

[CRITIQUE] : Benedetta

Copyright Guy Ferrandis


Soit, sur le papier, tous les éléments d'un breuvage Verhoevenien de la belle époque : sexe, violence, religion - ou plutôt hypocrisie religieuse -, sexe, trahisons multiples, ambiguite morale, sexe, société patriarcale,... on a dit sexe ?
Un cocktail évidemment exagéré et même un poil ridicule (surtout aujourd'hui, les 80s/90s étant bien loin de nous désormais), comme tout bon film du Hollandais violent, objets funambules toujours au bord du cassage de gueule monumentales; mais sa vision tordue de la foi catholique ne pouvait qu'épouser à la perfection la perfidie des pouvoirs en place qui la contrôlaient dans l'Italie de la Renaissance.
In fine moins subversif qu'on aurait pu le penser - ou qu'on a bien voulu le vendre -, même si le bonhomme use (et abuse) d'un érotisme frontal à la lisière du nunsploitation savoureusement Z (avec en prime, une Vierge Marie transformée en gode), Benedetta est avant toute chose une affaire d'émancipation, celui d'un film sur les carcans imposés par son sujet, d'un cinéaste sur les préjugés qui lui collent à la caméra (comment, Verhoeven incapable de réaliser un film sobre ? Hérésie !); mais surtout celui, au regard férocement masculin, d'une femme se frayant un - court - chemin vers le pouvoir au sein d'un monde uniquement dominé par les hommes.
Mais il y a un vrai message - et aussi une vraie méthode - derrière la folie et la plus ou moins maladresse parfois du Paulo, car si l'intrigue - co-écrite par David " Elle " Birke - nous demande de remettre constamment en question la sincérité de Benedetta alors qu'elle fait face à des défis déjouant aussi bien ses croyances que sa position au sein du couvent ou elle est - jusqu'ici - respectée; la plus grande question du film est bien de savoir finalement à quoi peut bien servir une telle sincérité/dévotion religieuse (voire même la foi, tout court) à une époque et dans un pays où les femmes avaient très peu de possibilités : être asservis à un homme/mari dans le silence où être asservis à Dieu et devenir religieuse.

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Copyright Guy Ferrandis


Ce qui signifiait pour celles qui faisaient ce second choix, d'abandonner les désirs charnels et des libertés sociales déjà bien maigres, unique moyen pour parvenir à un maigre sentiment d'indépendance - même si cela signifiait errer entre les murs d'une prison sainte -; beaucoup de soeurs proche de Benedetta ont d'ailleurs justement fuit l'adversité : l'une est née juive et, après avoir vécu une vie d'antisémitisme, meurt lentement d'un cancer du sein; une autre est une prostituée et la nouvelle arrivante, Bartolomea, a été violée par son père et ses frères avant de débouler au couvent (moyennant finance, car rien n'est gratuit, pas même la charité chrétienne).
C'est justement à son arrivée que le récit bascule et que les troubles de Benedetta, plus mûre et en conflit que sa jeune " soeur ", explosent face à une attraction animale qu'elle ne peut réprimer; comme si la perspective de l'extase sexuelle la rapprochait du Christ, tout en la renvoyant également à la trahison de son vœu de rester à la fois pieuse et chaste (une prison de verre dont les interdits consument voire pervertissent, les âmes).
Alors que les deux sont sur le point de commettre l'acte, Benedetta montre miraculeusement des signes qu'elle pourrait être une sorte de sainte, ses mains, ses pieds et son front saignant comme Jésus; événements qui lui permettent de remplacer Felicita au sommet de la hiérarchie du cloître, mais aussi d'avoir sa propre chambre privée... et à Verhoeven de ne plus ce détourner de ce qu'ils se passent entre les draps.
Déterminé (vraiment) à capturer la sexualité naissante de Benedetta aux mains de Bartolomea, il démontre à quel point l'acte est vital pour elle (avoir un orgasme est, il est vrai, un veritable moment de découverte de soi), même s'il peut parfois se perdre dans une surenchère un chouïa risible - son éternel désir d'offenser, coûte que coûte -, satisfaisant ainsi la définition la plus élémentaire de la pornographie.

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Copyright Guy Ferrandis


Une vision pour le coup très " La Vie d'Adèle " mais surtout affreusement masculine (qui tranche avec la tendresse de l'intimité fragile des débuts), imputant que deux amantes inexpérimentées, privées de modèles et surtout d'un quelconque savoir, auraient miraculeusement (pardon) une relation sexuelle torride de calibre porno pour leur première fois.
Avec ses gros sabots hollandais (lol), Verhoeven invite donc à une certaine ambiguïté pour jouer sur les deux tableaux de la foi et de ses paradoxes, entre la non-satire mais un intérêt sincère pour la religion (qui n'offensera pas les croyants, même s'il soutient qu'il n'y a pas eu de force plus répressive sur la sexualité humaine que ces règles attribuées à Dieu, mais acceptées et appliquées par les hommes) et le racolage timide des sceptiques (pouvant facilement tirer leurs propres conclusions sur cette histoire), tout en tentant de ne pas trop perdre les aficionados de son cinéma extrême au passage (un Jésus sexy, les CGI sciemment sanglants des visions de Benedetta, la perversité et la mysoginie assumée du Nonce de Lambert Wilson et sa fameuse « poire »,...).Mais ses nombreux grands écarts laissent parfois la fâcheuse impression en bout de course, de faire face à une oeuvre trop hybride entre la comédie érotico-divine puant méchamment le bis rital (certains dialogues...), et le drame religieux critico-sérieux dans la veine de La Passion du Christ de Gibson (avec ses personnages unidimensionnels - sauf son héroïne -, entre les hommes dont les actions sont toutes motivées par un avantage politique, et des femmes qui se soumettent au patriarcat, mais trouvent des moyens astucieux de saisir le pouvoir au fur et à mesure du temps), sur la cruauté des âmes pieuses justifiant leur part sombre sous les voix - impénétrables - du Seigneur, mais également sur deux femmes passionnément attirées l'une par l'autre dans un environnement où " votre pire ennemi est votre corps ".

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Copyright Guy Ferrandis


Parfois maladroit et d'une subtilité (très) relative, fiévreux et mystique, proche des corps (superbe photographie de Jeanne Lapoirie) et des interdits, la péloche est un portrait consumant d'une femme consumée, incarnée avec ce qu'il faut de complexité et d'ambiguïté par Virginie Efira.
Une femme dont la quête de pouvoir la plonge dans une tragédie insondable tant son imagination érotique à beau être fertile et flamboyante (malgré le fait qu'elle l'est réprimée et cachée dans l'anxiété, jusqu'à l'âge de trente ans), elle la pousse toujours un peu plus à s'enflammer, quitte à littéralement s'embraser.
La beauté et la grande force de Benedetta se trouvent ici, mais aussi dans le fait qu'il ne fournisse jamais totalement de réponses simples et faciles à nos questions - et encore plus aux questionnements qu'il soulève lui-même -, impliquant instinctivemement l'une des notions les plus importantes du septième art (et majeure dans la religion) : celle de la foi.
Et malgré tout ce qui pourra être lu et dit, on aura toujours foi en Paul Verhoeven.
Jonathan Chevrier
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