Madre (2020) de Rodrigo Sorogoyen

Le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen revient en adaptant en version longue son court métrage éponyme (2016), et retrouve par là même sa scénariste Isabela Pena après leurs collaboration sur les précédents films de Sorogoyen, "Que Dieu nous Pardonne" (2016) et (2019). Ils signent en ensemble le scénario de ce nouveau projet, passant des 18mn du court à près de 2h10... On suit Elena, une espagnole dont le fils a disparu à l'âge de 6 ans sur une plage du Sud de la France alors qu'il devait être avec son père. 10 ans on ont passé et Elena vient tous les étés travailler pour la saison sur une plage du Sud de la France comme pour combler un peu sa douleur. Un jour elle croise un ado de 16 ans avec qui elle va se lier... Elena est jouée par Marta Nieto, actrice vue surtout à la télévision espagnole et qui retrouve Sorogoyen après le premier film de ce dernier "8 Citas" (2008) et qui reprend logiquement son rôle dans le court métrage originel. L'ado est incarné par le jeune espoir français Jules Porier remarqué déjà dans "Marvin ou la Belle Education" (2017) de Anne Fontaine et (2019) de Anthony Marciano.

Madre (2020) de Rodrigo Sorogoyen

Le conjoint de Elena est interprété par Alex Brendemühl déjà vu dans "Insensibles" (2012) de Juan Carlos Medina et "Mal de Pierres" (2016) de Nicole Garcia. Puis les parents du jeune ado sont joués par les français Anne Consigny vue récemment dans "Abdel et la Comtesse" (2018) de Isabelle Doval et "At Eternity's Gate" (2019) de Julian Schnabel puis Frédéric Pierrot vu dans "Persona Non Grata" (2019) de Roschdy Zem et "Hors Normes" (2019) de Olivier Nakache et Eric Toledano... Le thème du deuil surtout lorsqu'il s'agit d'un enfant est un thème récurrent au cinéma et permet de toucher à l'évidence n'importe quel spectateur. On peut citer par exemple les films "Tout sur ma Mère" (1999) de Pedro Almodovar, "Je vais Bien, Ne t'en Fais pas" (2006) de Philippe Lioret ou encore "L'Empreinte de l'Ange" (2008) de Safy Nebbou. Le film de Sorogoyen débute fort avec un prologue émotionnellement puissant, tragique et déchirant qui nous plonge direct dans un climax de thriller. Le ton est donné semble-t-il mais c'est pour mieux nous désarçonner avec une ellipse de 10 longues années. Une ellipse qui pose logiquement un tas de questions dont on attend tout aussi logiquement des réponses. Ok, Elena a choisi une plage de sud e la France comme une thérapie alors même que personne ne semble savoir où exactement l'enfant a disparu. Néanmoins, on sait d'emblée que l'enfant était dans la zone du Pays Basque, alors pourquoi Elena a-t-elle choisi les Landes ?! Pas très cohérent. Ce détail passé, le réalisateur se sert des paysages comme une métaphore du vide émotionnel de Elena. Sur ce point on notera une jolie mise en scène faites de travelling, de plan large mais surtout d'une magnifique photographie qui n'omet pas pour autant une belle luminosité dont on peut déceler peut-être une promesse d'optimisme.

Madre (2020) de Rodrigo Sorogoyen

L'intrigue démarre surtout à partir de sa rencontre avec cet ado qui semble lui rappeler son fils disparu. Pourtant, c'est aussi à partir de là que le film va doucement s'engoncer dans un méandre de rebondissements pas toujours judicieux et souvent maladroits. Outre un passage particulièrement inutile (soirée boîte+drogue+alcool+virée avec des jeunes qui arrivent comme un cheveu sur la soupe particulièrement malisant surtout dans sa finalité), les deux auteurs instaurent une sensation bizarre dans la nouvelle relation entre Elena et cet ado. En effet, comme l'indique le titre et le speech du film il est question de "mère" et de deuil, on se demande alors pourquoi et comment une mère en deuil peut créer une telle relation avec ce jeune, aussi ambigue ?! Le désir sexuel ainsi mis en place semble un peu hors sujet, sorte de complexe d'Oedipe inversé. L'incompréhension domine alors, surtout que du thriller on tombe vite dans un mélo de base. Idem pour l'ado, semblant dans une famille unie on ne voit chez lui que le pouvoir qu'il impose à ce qui pourrait devenir sa "cougar" pour reprendre l'expression à la mode. D'ailleurs la scène de la rencontre est en cela assez parlant, le jeune draguant ouvertement Elena. Seul le jeu touchant de l'actrice Marta Nieto (Prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise 2019) permet de croire encore au travail de deuil et/ou d'espoir de Elena vis à vis de cet ado. Car qui est-il vraiment ?! Est-ce un simple transfert de la part de Elena sur une gosse qui à l'âge d'être le sien ou est-ce vraiment son fils ?! Le réalisateur-scénariste choisit une option facile et un peu trop tape à l'oeil sur cette limite "incestueuse", alors que le vrai intérêt de l'histoire était le deuil et l'espoir d'une mère. Heureusement, le prologue, la très belle photographie, une actrice inspirée, une relation de couple déchirante et quelques séquences pleine de grâce sauve le film qui méritait beaucoup mieux pourtant. Note indulgente !

Madre (2020) Rodrigo SorogoyenMadre (2020) Rodrigo Sorogoyen