L’INCINÉRATEUR DE CADAVRES (Critique)

L’INCINÉRATEUR DE CADAVRES (Critique)L’INCINÉRATEUR DE CADAVRES (Critique)SYNOPSIS : Monsieur Kopfrkingl, homme brave et peu avare de sa personne, exerce son métier d'incinérateur avec un amour troublant. Et cherche à développer son commerce, qu'il considère comme un bienfait pour l'humanité. Il revoit par hasard un compagnon d'armes - et sympathisant nazi - qui lui suggère qu'il pourrait avoir du sang allemand dans les veines. Sa vision du monde commence alors à changer... assez radicalement.

Derrière l'horreur, la plus innommable des barbaries, l'industrialisation de la mort qui a été à été pensée et décidée par le Troisième Reich puis froidement mise en place par l'armée allemande durant la seconde guerre mondiale, se trouvent des hommes dont les motivations et ambitions ont été analysées, expliquées, jugées et condamnées. Ils s'en trouvent d'autres, tant d'autres, bureaucrates, ingénieurs, chefs d'entreprise, des cols blancs de l'horreur, des barbares en costume trois pièces, qui ont œuvré, dans l'ombre, d'une façon décisive, pour participer à la mise en œuvre de la solution finale. C'est le cas de ceux qui ont construit, fourni, aidé au perfectionnement des fours crématoires installés dans les camps d'extermination nazis. Derrière les sinistres Himmler et Heydrich , la société Topf et Fils a ainsi prospéré en fournissant les fours crématoires des camps de Buchenvald et Auschwitz , qu'elle destinait autrefois à des crématoriums, comme celui dans lequel travaille l'ambitieux Monsieur Kopfrkingl du roman de Ladislav Fuks adapté par Juraj Herz . L'incinérateur de cadavres est une asphyxiante plongée au cœur du mal, à la veille de l'annexion de la Tchécoslovaquie par l'Allemagne nazie, un film aussi fascinant par sa forme, par la façon dont il joue de la grammaire cinématographique, qu'angoissant pour ce qu'il dit de la nature humaine et de la façon dont peut naître le mal, jusque dans des esprits faibles gangrenés par l'ambition, la peur de perdre son statut social.

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Sous l'apparente bienveillance dont il fait preuve avec ses clients, ses employés et sa famille, la fascination pour la culture bouddhiste qui semble guider la dévotion absolue à son métier, se voyant comme chargé d'une mission de libérer les âmes pour leur permettre de se réincarner, se cache un homme fragile, obsédé par l'image qu'il renvoie qui va basculer au moment où son pays s'apprête lui aussi à basculer, annexé par les nazis, territorialement d'abord mais aussi idéologiquement. C'est ce qui se joue là dans ce récit: le basculement d'un homme cultivé, bien établi socialement et à travers lui d'un jeune pays, né de la séparation de l' Autriche-Hongrie après la première guerre mondiale, dans lequel vivait déjà une forte communauté allemande en particulier dans la région des Sudètes. Si le récit de Monsieur Kopfrkingl dialogue avec l'histoire de son pays durant cette période, il dialogue aussi avec ce que traverse alors la Tchécoslovaquie au moment de la production du film. C'est en effet à une autre " invasion " et de nouvelles divisions que se confronte alors le pays avec le coup de force militaire et politique de l'union soviétique et des puissances du Pacte de Varsovie, répondant au Printemps de Prague. Le film fut ainsi censuré pendant 20 ans, perçu par les autorités en place pour ce qu'il est: un pamphlet contre la collaboration avec la puissance occupante, qu'il s'agisse, dans le récit, des nazis ou donc de l'union soviétique et ses alliés.

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Que ce soit par le scénario ou la mise en scène, la nature véritable du personnage, son glissement vers une incarnation du mal dans ce qu'il a de plus fourbe et dangereux, sont révélés à mesure que craquelle le vernis social derrière lequel se cache ce notable en apparence affable, à la coiffure impeccable, toujours prêt à se donner un coup de peigne pour s'en assurer. En terme de mise en scène c'est à une véritable master class que se livre Juraj Herz pour rendre compte à l'écran de la nature de cet horrible personnage, notamment de sa duplicité dans sa vie de famille comme dans son travail, jusqu'à ce qu'il laisse finalement sa part d'ombre prendre le pouvoir. Cela passe notamment par son jeu sur les points de montage entre deux scènes dans lesquelles Monsieur Kopfrkingl apparaît dans l'une avec son vernis social, en père et mari attentionné et dans l'autre sous son vrai jour, d'homme avide de pouvoir, soumis à ses pulsions sexuelles, fréquentant régulièrement les maisons closes. Dans un même plan, il se transporte ainsi de l'un à l'autre, par exemple de la chambre de la prostituée à la salle à manger familiale, commençant dans une scène une réplique de la scène suivante et troublant ainsi nos repères et donc la frontière entre le notable/père de famille et l'homme qu'il est réellement et qui s'affirme de plus en plus.

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L'utilisation de courtes focales, du plan séquence dans des scènes où Kopfrkingl se fait de plus en plus menaçant, introduit encore un peu plus un sentiment d'inquiétante étrangeté, que quelque chose est en train de se produire chez cet homme, de se révéler à la faveur d'un contexte politique qui ne laisse plus réellement de place à l'ambiguïté et face auquel les uns et les autres doivent choisir leur camp. Le ton du film oscille de la satire politique à l'horreur, dominé par l'interprétation de Rudolf Hrusinski qui dans sa diction et sa gestuelle s'efface totalement derrière son personnage, rendant crédible et inéluctable le basculement qui va s'opérer et faire disparaître les dernières traces d'humanité que l'on pouvait percevoir chez lui. La cohabitation avec Koprkingl devient aussi difficile pour sa famille devenue un frein à sa carrière que pour le spectateur qui se retrouve face à ce que la nature humaine peut avoir de plus monstrueux. La cohabitation avec Koprkingl devient aussi difficile pour sa famille devenue un frein à sa carrière que pour le spectateur qui se retrouve face à ce que la nature humaine peut avoir de plus monstrueux. Ce traitement pour aussi frontal et éprouvant soit-il ne s'interdit pas de petites touches d'humour, soulignant le côté grotesque de ce petit théâtre de la bassesse et de la médiocrité humaine.

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Ce que le film dit de la façon dont une idéologie peut se transformer en poison pour les esprits les plus faibles et tourmentés est d'une grande justesse et particulièrement glaçant. Monsieur Koprkingl est un " monstre " domestique ordinaire qui n'aurait peut être jamais cédé à ses pires pulsions sans le contexte particulièrement trouble de la montée du nazisme et la pression d'un de ses amis qui lui fait comprendre ce qu'il a à perdre à ne pas embrasser totalement cette idéologie. La " modernité " et l'ambition de la mise en scène ajoutent au fait que l'Incinérateur de Cadavres, malgré ses 50 ans, ne paraît absolument pas daté et reste une oeuvre essentielle pour ouvrir les yeux sur la dangerosité des idéologies populistes et la très grande fragilité du vernis social derrière lequel se cachent des hommes et des femmes qui sont nos voisins et pourront demain devenir nos délateurs ou nos bourreaux.

L’INCINÉRATEUR DE CADAVRES (Critique)

Titre Original: SPALOVAC MRTVOL

Réalisé par: Juraj Herz

Casting : Rudolf Hrusinsky, Vlasta Chramostová, Jana Stehnova ...

Genre: Drame

Sortie le: 14 mars 1969

Distribué par: -

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