Papicha (2019) de Mounia Meddour

Présenté à Un Certain regard au dernier Festival de Cannes, ce film a reçu un bel accueil et le bouche à oreille semble faire son petit bonhomme de chemin pour cette histoire inspirée de faits réels, en fait très librement inspiré de l'expérience personnelle de la réalisatrice-scénariste Mounia Meddour. Fille du cinéaste algérien Azzedine Meddour, réalisateur par exemple de "La Montagne de Baya" (1997), elle a étudié à la faculté d'Alger (elle habitait une cité U semblable à celle du film) le journalisme avant de s'inscrire à la Fémis en France. Après plusieurs courts métrages et documentaires comme "Le Cinéma Algérien, un Nouveau Souffle" (2011) et court métrage "Edwige" (2012) elle se lance donc dans son premier long métrage dans lequel elle met ses souvenirs d'étudiante durant les années 90, une période nommée "Décennie noire" qui vit l'opposition entre le gouvernement et l'émergence de groupes islamistes ; à terme on comptera plus de 150000 morts... Mounia Meddour précise : "...(le quotidien d'étudiantes) y compris le mien. Avec l'intégrisme montant, l'oppression tout autour. Mais l'attentat dans la cité universitaire est un ressort dramatique de fiction. Comme la passion de Ndjma pour la mode qui prend une dimension symbolique : ce que les islamistes voulaient, à cette époque-là, c'était cacher le corps des femmes. Pour moi, la mode, qui dévoile et embellit les corps, constitue une résistance aux foulards noirs."...

Papicha (2019) de Mounia Meddour

Pour le scénario la cinéaste a pu collaborer avec Fadette Drouard qui a signé les scénarios de films comme "Patients" (2017) de Grands Corps Malade et Mehdi Idir et (2019) de Jalil Lespert. Plus étonnant, à la production on trouve le nom d'un certain Xavier Gens surtout connu pour être le réalisateur des films d'horreur "Frontière(s)" (2007) et "The Divide" (2011)... Alger, au début des années 90, Nedjma jeune étudiante de 18 ans rêve de devenir styliste et arrondit son budget en vendant des créations à d'autres étudiantes, aux "papichas". Mais la situation politique du pays se dégrade fortement et les islamistes imposent de plus en plus leur loi... Nedjma est incarnée par la jolie Lyna Khoudri déjà vue dans "Les Bienheureux" (2017) de Sofia Djama, "Luna" (2018) de Elsa Diringer et en salle bientôt dans "Hors Normes" (2019) de Eric Toledano et Olivier Nakache. Ses amies étudiantes sont jouées par des inconnues nommées Zahra Doumandji, Amira Hilda Douaouda et Shirine Boutella (qui serait influenceuse Instagram). Lyna Khoudri retrouve sur ce film, après "Les Bienheureux" cité plus haut, Nadia Kaci actrice fétiche de Nadir Moknèche notamment sur "Le Harem de Mme Ousmane" (2000) et "Viva Laldjérie" (2004). Par là même Nadia Kaci retrouve son partenaire Samir El Hakim après "En Attendant les Hirondelles" (2017) de Karim Moussaoui. Enfin, on peut citer Yasin Houicha jeune comédien révélé dans l'excellent (2016) de Houda Benyamina et vu dans "Le Brio" (2017) de Yvan Attal... La cinéaste insiste sur le fait d'avoir tourné à Alger même, chose primordiale pour l'authenticité de son histoire. Elle précise : "On a aussi tourné à Alger, notamment dans la casbah, quand Nedjma se fait gentiment suivre par un garçon qui la drague avec beaucoup d'imagination. C'est ce qu'on appelle en Algérie un "hittiste", du mot arabe qui désigne le mur, parce qu'ils passent leurs journées adossés aux murs des maisons. Tourner en Algérie me permettait aussi d'ajouter une véracité presque documentaire : dans le bus par exemple, quand j'ai vu arriver le receveur avec sa gestuelle singulière, ses pièces de monnaie qu'il faisait claquer entre ses doigts habiles et ses mains noircies, j'ai imaginé une scène autour de lui. J'aime fusionner la réalité et la fiction. Je voulais aussi le parler algérois qui est tellement vivant, créatif et souvent hilarant."... On passera sur " gentiment suivre par un garçon qui la drague avec beaucoup d'imagination" et "souvent hilarant", disons que ça doit être culturel (?!). Par contre on remarque effectivement cette fusion entre réalité et fiction, si l'histoire de Nedjma est imaginaire on ressent toute la sincérité du propos de fond et l'authenticité des ces années 90 à Alger, jusque dans les détails comme le passage à travers le marché où la façon de communiquer entre les hommes et les femmes. Il y a donc un vrai travail immersif qui nous permet de croire et de ressentir à cet univers qui se délite par la faute à un fascisme religieux qui se fait se plus en plus présent jusque dans l'emploi de la violence.

Papicha (2019) de Mounia Meddour

La réalisatrice favorise un cadrage très près des corps, par contre sans jamais mettre en avant une certaine sensualité, préférant accompagner les relations amicales (elles se maquillent, s'habillent, se consolent...) et, surtout, suivre les gestes et les inspirations de la couturière-styliste en herbe. Un choix judicieux, qui nous placent au sein du groupe et de son intimité même si le rapport aux corps est particulièrement prude. Si le fil conducteur reste l'organisation du défilé organisé par Nedjma, on est en filigrane témoin d'une époque et d'une société, du contexte d'émergence islamiste à la fracture sociale riche-pauvre en passant évidemment par la place de la femme dans cette société. Tout cet arrière-plan est parfaitement intégré au récit, sans pour autant vampiriser l'histoire de Nedjma. Par contre il y a une partie peu cohérente, ou maladroite, où Nedjma ne semble pas comprendre le réel danger et/ou la transformation pourtant évidente de son quotidien futur, ce qui n'est pas très compréhensible au vu de ce qu'elle vit, surtout vis à vis de sa soeur et de son petit ami. C'est dommage car cette partie est un petit caillou dans cette reconstitution minutieuse et intelligente, voir même ludique des ces années noires algériennes. Néanmoins, Mounia Meddour signe un drame touchant et terrible, qui fait écho jusqu'à aujourd'hui sur bien des thématiques. En prime un joli panel de comédiennes lumineuses dont Lyna Khoudri et son petit air de Jessica Alba. Un beau et bon film, tragique aussi qui offre malgré tout une fin joliment optimiste, même si on ne peut y croire en tant que spectateur de 2019. A voir et à conseiller.

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