Mort de Jean-Pierre Mocky

Le cinéma français perd une de ses plus grandes gueules, le réalisateur-scénariste-producteur-acteur Jean-Pierre Mocky est mort hier 08 août 2019 à l'âge de 86 ans.

Mort de Jean-Pierre Mocky

Né en 1933 à Nice, Jean-Paul Mokiejewski est le fils d'un couple polonais, lui juif et elle catholique. Ses parents arrivent à Nice en 1922. Lorsque que la guerre éclate en 1939 la famille vit grâce à la fortune familiale du côté maternelle mais ils sont dans l'obligation de vendre leur villa pour aller vivre à Grasse. Pour protéger leur fils, les parents envoient le jeune Jean-Paul dans une ferme.

C'est à cette époque, alors qu'il est au collège de Grasse il obtient un petit rôle de figuration en page dans le film "Les Visiteurs du Soir" (1942) de Marcel Carné, mais toute les sources ne le mentionne pas. Il joue ensuite dans "Vive la Liberté" (1944) de Jeff Musso qui ne sortira qu'en 1946, il aura entre temps joué dans d'autres films notamment pour un nouveau rôle de page dans "L'Affaire du Collier de la Reine" (1946) de Marcel L'Herbier.

Alors qu'il n'a que 13 ans, il épouse une certaine Monique Baudin qu'il a mise enceinte mais leur union ne dure que 4 mois. Pas encore acteur professionnel il enchaîne les petits boulots comme plagiste à l'hôtel Carlton à Cannes. Il monte à Paris en 1947 et devient chauffeur de taxi tout en jouant de petits rôles notamment dans "Les Casse-Pieds" (1948) de Jean Dréville. Mais surtout il croise l'acteur Pierre Fresnay alors qu'il le conduit dans son taxi, la star lui offre alors de jouer dans la pièce de théâtre "Pauline ou l'Ecule de la mer" (1948) de Gabriel Arout mis en scène par Fresnay au théâtre de la Michodière. Fresnay le prend sous son aile et le loge chez lui à Neuilly-sur-Seine.

Il joue ensuite dans plusieurs films dont un premier rôle important dans "Le Paradis des Pilotes Perdus" (1948) de Georges Lampin, il enchaîne ensuite avec notamment "Portrait d'un Assassin" (1949) de Bernard Roland, "Orphée" (1949) de Jean Cocteau, "Bibi Fricotin" (1950) de Marcel Blistène.

Entre temps il entre au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique où il suit les cours de Louis Jouvet et où il croise Jean-Paul Belmondo et sa bande. A cette même époque, en 1952, il rencontre le réalisateur italien Michelangelo Antonioni qui lui offre un rôle dans "Les Vaincus" (1952 - ci-dessous) qui connaît un beau succès en Italie.

Mort de Jean-Pierre Mocky

Il joue dans "Le Comte de Monte-Cristo" (1954) de Robert Vernay mais surtout il va participer à deux tournages prestigieux où il sera assistant réalisateur (non crédité toutefois) sur "La Comtesse aux Pieds Nus" (1954) de J.L. Mankiewicz et "Senso" (1954) de Luchino Visconti où il a également un rôle de figuration.

Il reste en Italie où il joue des rôles importants dans "Graziella" (1955) de Giorgio Bianchi et "Les Egarés" (1955 - ci-dessous) de Francesco Maselli. Il connait alors une petite notoriété dont il se souvient dans un entretien à la revue Cinéma en 1982 : "J'avais une ferrari, une maison sur le Tibre, je donnais des réceptions, j'avais un valet de chambre : c'était incroyable !"

Mort de Jean-Pierre Mocky

Il revient en France en 1956 où le réalisateur Raymond Bouleau pour jouer aux côtés de la star mondiale Ingrid Bergman dans la pièce de théâtre "Thé et Sympathie", mais le réalisateur se désiste du projet pour tourner son film "Les Sorcières de Salem". Remplacé par le metteur en scène Jean Mercure il renvoie Mocky pour offrir la place à un ami. Mocky attaque en justice et gagne 150000 francs et dommages et intérêts qu'il investi pour créer sa propre maison de production.

Entre temps il tourne dans "Le Rouge est Mis" (1957) de Gilles Grangier et "Le Gorille vous salue bien" (1957) de Bernard Borderie... Il rencontre les membres de la Nouvelle Vague, dont , Godard et Truffaut. Pour son premier film en tant que producteur il signe également son premier scénario avec l'aide de François Truffaut (d'après l'expérience de son père interné suite à sa sortie de camp de concentration, puis adapté du roman éponyme de Hervé Bazin qui offre les droits gratuitement) pour le film "La Tête contre les Murs" (1959) de Georges Franju dont Jean-Luc Godard dira : "La Tête contre les murs est un film de fous sur les fous. C'est donc un film d'une beauté folle."

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Malgré un échec public, cette première expérience le pousse à réaliser son premier long métrage avec "Les Dragueurs" (1959 - ci-dessous) qui s'inscrit dans le formalisme du dogme La Nouvelle Vague. Le film est un succès avec 1,5 millions d'entrées France et, surtout, aurait popularisé le terme de dragueur. Mais Mocky ne partage pas les idées des membres éminents de la Nouvelle Vague et il s'avère plus proche de l'académisme du cinéma français d'après-guerre que fustige pourtant ses amis issus des Cahiers du Cinéma.

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Après un désaccord avec son producteur Mocky prend véritablement son indépendance et fonde la société de production Balzac Films.

Il signe ensuite "Un Couple" (1960) co-écrit avec l'auteur Raymond Queneau et inspiré de sa propre histoire d'amour avec Véronique Nordey. Mal distribué Queneau fait jouer ses relations pour obtenir de bons papiers dans la presse notamment avec les Cahiers du Cnéma et surtout avec le soutient de Françoise Sagan dans l'Express mais le film est un échec.

Il réalise ensuite la comédie satirique "Snobs" (1961) mais c'est un nouvel échec. Il retourne donc aux femmes en signant "Les Vierges" (1962 - ci-dessous). Sur une proposition de Jean Anouilh il fait passer une annonce pour un appel à témoignage sur la façon dont les femmes ont perdu leur virginité. Sur les 3500 témoignages reçus (dont la romancière Catherine Claude !) il dégage cinq catégories qui vont scinder le film en cinq sketchs. Le film fait scandale...

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Mocky tourne ensuite un film sur un aristocrate désargenté qui pille les troncs des églises titré "Un Drôle de Paroissien" (1963 - ci-dessous). Si le cinéaste pensait d'abord à Fernandel (qui refuse) il se tourne vers Bourvil qui, après un certain scepticisme, accepte et aide même à trouver le financement. Le film est un grand succès avec pas moins de 6 semaines sur le podium du box-office français pour atteindre plus de 2,3 millions d'entrées France.

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Il enchaîne avec les films "La Grande Frousse" (1964) avec Bourvil, "La Bourse et la Vie" (1965), l'excellent "Les Compagnons de la Marguerite" (1967) où il raconte l'histoire d'un homme qui falsifie l'état civil pour changer de femme sans avoir à divorcer et fonde une société secrète pour généraliser le procédé (!), et retrouve Bourvil pour "La Grande Lessive" (1969 - ci-dessous) qui connaît un grand succès avec 2,1 millions d'entrées France.

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Entre temps il a eu pour projet une co-production britannique avec "Les Carrossiers de la Mort" (1967) dont le casting devait être composé pas moins de Henry Fonda, Marlon Brando, Orson Welles et Anthony Quinn mais le projet tombe à l'eau à la mort du producteur.

Il signe ensuite "Solo" (1969) né de sa désillusion de l'après Mai 1968, ce film est distribué qu'à la condition que Mocky signe aussitôt une comédie plus populaire, ce sera "L'Etalon" (1970 - sur le tournage avec Bourvil) qui rencontre un joli succès.

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Dans l'esprit de "Solo", Mocky signe "L'Albatros" (1971) d'après une anecdote entendue dans un café et qu'on peut qualifier, comme "Solo" de film anti-policier.

Il entre alors dans sa phase la plus populaire et de ses plus grands succès. Il enchaîne les tournages avec "Chut !" (1972), "L'Ombre d'une Chance" (1973), "Un Linceul n'a pas de Poches" (1974) et "L'Ibis Rouge" (1975) qui sera le dernier film du monstre sacré Michel Simon qui meurt une semaine seulement après la sortie du film.

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En 1974 il ferme Balzac Films pour fonder M. Films.

En 1978, alors que sort le succès "La Zizanie" de Claude Zidi avec Louis De Funès, Mocky attaque pour plagiat la production car il avait envoyé un projet nommé "Le Boucan" à De Funès quelques temps avant et qui ressemble énormément au film de Zidi. Mocky gagne et est indemnisé à hauteur de 250000 francs mais le milieu du cinéma ne lui pardonnera pas...

Il renoue pourtant avec le succès avec "Le Témoin" (1978 - ci-dessous) film contre la Peine de Mort qui connaît le succès en France mais aussi en Italie.

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Au début des années 80 il collabore avec Godard sur plusieurs projets, l'un jouant l'acteur pour l'autre et vice versa sur des films qui n'aboutissent pas toujours. Mais les deux amis se brouillent ensuite pour des raisons qui restent floues.

Mocky s'attaque aussi à la violence dans le football, film de mauvais augure un an avant le drame de Heysel. "A Mort l'Arbitre" (1984 - ci-dessous) dénonce donc la violence dans les stades et si le succès mitigé en salle avec 360000 entrées France peut être décevant malgré un joli casting (Eddy Mitchell et Michel Serrault) le cinéaste peut s'enorgueillir des 17 millions de téléspectateur lors de son première diffusion télé en 1986.

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Sa recherche d'indépendance le pousse de plus en plus vers les productions à faibles budgets. Une nouvelle fois il ferme sa société M. Films et crée la société Koala Films.

Il connaît alors son apogée avec les films "Le Pactole" (1985), "Le Miraculé" (1987), "Agent Trouble" (1987) avec une Catherine Deneuve en vieille fille et surtout la comédie rabelaisienne "Les Saisons du Plaisir" (1987) dont l'affiche est devenue culte.

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Mais alors qu'il n'aura jamais été aussi populaire il connaît un échec énorme avec "Une Nuit à l'Assemblée Nationale" (1988) qui sort sans doute au mauvais moment alors en pleine campagne politique.

Cet échec est un tournant. Comme il se qualifiera plus tard en 1999, Mocky devient "underground", le public ne le suit plus et il n'atteindra plus jamais les 100000 entrées France à l'exception notable de "Ville à Vendre" (1992 - ci-dessous) et ses 155000 spectateurs.

Mort de Jean-Pierre Mocky

Par exemple les films des années 90 oscillent entre les 6200 entrées de "Vidanges" (1997) aux 83000 entrées de "Noir comme le Souvenir" (1995) en passant par les 10000 entrées de "Bonsoir" (1994).

En 1991 il se lance dans une série TV avec "Myster Mocky présente" qui est adaptée de nouvelles de Alfred Hitchcock.

Pour assurer un minimum de diffusion à ses films, Mocky acquiert le cinéma Le Brady en 1994 après avoir annoncer ce projet dès 1982 dans la revue Cinéma.

Mais désormais Jean-Pierre Mocky reste un marginal dont les films ne sont plus que très rarement distribués. Son plus gros succès du 21ème siècle reste "Le Furet" (2003) avec Michel Serrault et Jacques Villeret qui atteint 53000 entrées France (dont votre serviteur !).

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Mais des films comme "Touristes, oh Yes" (2004) ne sont pas distribués et "Les Ballets Ecarlates" (2004) connaît une polémique et est même censuré pour incitation au meurtre !

Pourtant le cinéaste est toujours aussi prolifique, il tourne toujours autant et se rattrape avec la télévision avec une multitude de "Myster Mocky présente" entre 2008-2009 et une nouvelle version "Hitchcock by Mocky" en 2013.

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Il signe coup sur coup en 2011 les longs métrages "Les Insomniaques", "Le Dossier Toroto" et "Crédit pour Tous" qui ne sont que diffusés dans sa salle Le Brady, juste avant de vendre sa salle de cinéma pour racheter la salle Action Ecoles qu'il rebaptise Le Desperado. Il diffuse alors ses nouveaux et ses anciens films dans cette salle aux côtés des grands classiques habituellement à l'affiche.

En 2015 il réalise trois courts métrages avec Gérard Depardieu dont "Agafia" (ci-dessous sur le tournage) qui signait les retrouvailles de Gégé avec Pierre Richard.

Mort de Jean-Pierre Mocky

Ses derniers longs métrages, réalisés après 2011, restent donc bien confidentiels, son dernier film est "Votez pour moi" (2017).

Jean-Pierre Mocky a toujours cherché à avoir le plus d'indépendance possible. Il fût souvent à la fois réalisateur, scénariste, producteur, distributeur, monteur, acteur voir même chef décorateur. Si il est connu pour ses excès de colères (c'est peu de le dire !) il est aussi connu pour tourner vite, il n'est pas rare que les durées de tournage ne dépassent pas deux ou trois semaines. Pour le cinéaste la caméra n'est pas un jouet multi-fonction et est utilisée de façon très académique, pour lui elle doit servir avant tout la narration en s'attachant avant tout aux interprètes.

S es sujets de prédilections sont la bêtise humaine, la corruption, l'église catholique et les femmes qui souvent assurément pleinement leur désir.

Notons que Mocky est un fidèle et de nombreux acteurs ont tourné plusieurs fois avec et pour lui, le recordman étant Dominque Zardi avec pas moins de 41 films !!!

Mocky publie ses mémoires "M le Mocky" (2001) mais qui restent trop évasifs. Il publie ensuite "Mocky soit qui mal y pense" (2016) qui raconte surtout sa vie sexuelle et sentimentale.

Jean-Pierre Mocky avait deux projets en cours, un film sur la campagne de Emmanuel Macron et un film sur les Gilets Jaunes qui devait être le prochain.

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Il aura eu des jumeaux (1946) de son premier mariage (unis par convenance pour quelques mois), il a eu un fils (1966) avec la comédienne Véronique Nordey. Il a eu une fille (1977) issue de son mariage avec un mannequin avant de partagé la vie de Patricia Barzyk entre 2000 et 2017. Tous ses enfants portent son véritable patronyme, Mokiejewski. Le cinéaste affirme en 2005 avoir eu 17 enfants...

Cinéaste révolutionnaire, anar et libertaire, Jean-Pierre Mocky est mort chez lui ce jeudi 08 août 2019 à l'âge de 86 ans.