Le spoil spolié

Les films et séries prévus chaque années semble générer de plus en plus d'attente à leur sortie. Avengers, Game of Thrones, Star Wars... toutes ces grande œuvres culturelles génèrent de nombreuses tensions à leurs sorties en salle ou à la télévision, leurs fans craignant leur plaisir de les découvrir par eux-mêmes gâché par le spoil. Mais qu'en est-il vraiment ? Le spoil est-il nécessairement une mauvaise chose ou au contraire peut-il renforcer notre appréciation d'une oeuvre ?

Le spoil spoliéOui

Alfred Hitchcock disait en ces mots : " La différence entre le suspense et la surprise est très simple. Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d'un coup, boum, explosion. Le public est surpris, mais avant qu'il ne l'ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d'intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu'il a vu l'anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu'il est une heure moins le quart - il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène (...). Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l'explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense ". Selon lui, connaître l'issue d'une situation permettrait alors de rendre celle-ci meilleure et de renforcer l'impact émotionnel qu'elle aura sur son spectateur. En effet, certain réalisateurs font donc le choix de " spoiler " eux-mêmes leurs œuvres pour parfois offrir des résultats des plus flagrants. Prenons Big Fish de Tim Burton : dès le premier acte du film, nous prenons connaissance de ce qui constituera l'élément dramatique majeur de sa conclusion : la mort d'Edward Bloom. Ici, pas de surprise, lui-même nous dit qu'il va mourir et le déroulement du film nous laisse entendre à quel moment cela arrivera-t-il. Ainsi, si le spoil, ou le fait de connaître un des ressors de l'intrigue permet de répondre à la question du " Quoi ? " " Qu'est-ce qu'il se passe ", il reste alors à connaître la question du " Comment ? ", à laquelle on ne s'intéresse qu'en ayant connaissance de ce qui va en aboutir. Ainsi, dans Big Fish, ce n'est pas la mort de Bloom père qui est intéressante en réalité, celle-ci ne sert qu'à conclure l'intrigue; en fait, ce qui nous intéresse vraiment est ce qu'il va se passer jusqu'à ce qu'elle surviennent et comment va-t-elle arriver. Connaître la fin d'une histoire permet alors de donner un autre ordre de lecture d'un film et d'y renforcer son attache, comme dans ce cas. En outre, avoir connaissance d'un tel événement permet, comme l'expliquait le maître du suspens, de davantage d'intéresser aux détails qui l'entourent. Le spectateur est davantage impliqué dans ce qui se passe à l'écran et davantage attentif à chaque élément de dialogue, de mise en scène ou de jeu car il ne se préoccupe pas de savoir ce qui va se passer : il le sait déjà. Prenons ici un exemple récent : la mort de Tony Stark dans Avengers : End Game. Pour ma part et pour un grand nombre de personne, je présume, je m'étais fait spoilé cet événement du film (ainsi que la mort de Thanos, mais bon...). Et n'étant pas du tout un fan du MCU, j'ai été drôlement surpris de voir quel effet la mort de ce personnage a eu sur moi. En effet, j'y ai été préparé dès le début du film, je savais qu'elle allait arriver, restait juste à savoir comment. En outre, le fait de connaître ce ressors m'a fait davantage apprécié la conclusion apporté à son arc narratif et tout son traitement dans ce film, clairement pensé pour préparer sa mort. Force est de constater que je me suis davantage attaché au personnage, intéressé à ses relations avec les membres de sa famille ect... en sachant ce qui allait lui arriver. Dans ce cas ainsi que dans de nombreux autres, le spoil a été bénéfique à mon appréciation de l'oeuvre en question et m'a permis d'explorer un panel d'émotions lié au ressors spoilé plus large que la simple surprise que m'aurait procurée le fait de le découvrir par moi-même.

Cependant, demandons nous alors dans quelles situations le spoil peut-il être gênant ou problématique afin d'apprécier pleinement une oeuvre de fiction. Bien évidemment, le spoil que nous avons évoqué considérait le seul dévoilement d'un élément dramatique de l'intrigue et non l'intrigue dans son intégralité. Je conçois bien volontiers qu'il n'y ait aucun plaisir à découvrir une oeuvre en sachant déjà tout ce qu'il s'y passe ; comme expliqué précédemment le spoil doit répondre à la question " Quoi ? " et non " Comment ? " afin d'être intéressant. Cependant, il existe un cas difficile à analyser : le plot-twist. Dans le cas d'un plot-twist, le spoil serait amené à gâcher une surprise intéressante puisque, lorsque le twist est réussi, notre perception du film que nous venons de découvrir change complètement et celui-ci en permet alors une autre lecture, parfois bien plus intéressante que la première puisque pensée de cette façon. Alors, bien-sûr, connaître l'astuce du film au préalable permet de se confronter à cette relecture directement, cependant le plaisir de découvrir l'élément par soi-même est gâché puisqu'il est davantage question dans ce cas de stupéfaction que d'une simple surprise liée à un événement dans le récit. Dans le cas d'un plot-twist, toute notre perception des événements narrés est remise en question, et afin de ne pas nuire aux émotions qu'une telle découverte procure, nous n'évoquerons même pas les différents films ayant au centre de leur récit un élément jouant de la sorte avec la vision du spectateur.

Rejeter constamment le spoil est une erreur et j'irai même plus loin en disant que les œuvres jouant avec l'attente de leurs spectateur notamment le fait de se demander quel personnage sera amené à disparaître ont tort et gâche le potentiel de leurs récit. Si le choix entre surprise et suspens demeure un parti pris scénaristique, il est probant que l'une des deux émotions est plus forte que l'autre, à vous de deviner laquelle...