Le Limier


Le Limier
Le Limier est un terme que l'on entend peu de nos jours et je trouve ça dommage, car pour moi c'est un peu le synonyme romantique du mot « Detective ». Un terme qui reste associé à des « Limiers » de fiction. On pourrait ainsi citer, Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Jules Maigret, Columbo et tant d'autres qui de par leurs compétences, ont su toujours démêler le vrai du faux en manipulant à bon escient, le lecteur, le spectateur et bien sur le coupable. C'est ainsi que Joseph L. Mankiewicz nous entraîne pour son dernier film, dans une intrigue habilement menée ou l'on assiste à un match entre deux mondes, deux esprits, deux limiers …

« Sir Andrew Wyke, un riche auteur de romans policiers anglais, a invité Milo Tindle, un coiffeur londonien d'origine plus modeste, à lui rendre visite dans sa somptueuse résidence, aménagée et décorée avec un art consommé du trompe-l'oeil. Maniaque de l'énigme et de la mystification, cachant mal son mépris pour ce parvenu dont il connaît la liaison avec son épouse Marguerite, Andrew lui propose de simuler un cambriolage pour toucher l'argent de l'assurance. Milo, impressionné par Wyke, accepte...  »Avant d’être le film que l'on connais, « Le Limier » est une pièce de théâtre crée par Anthony Shaffer qui fut jouée sur les planches aux Royaume-Uni pendant plus de huit ans. Un succès phénoménal qui ne s'est jamais démentie, à un point que la pièce a voyagé avec triomphe et cela avant qu'une adaptation ne voit le jour. Exit alors les acteurs d'origine de la pièce, (ce qui était le souhait de Shaffer) place à Laurence Olivier et Michael Caine, ainsi que le talent de scénariste de Anthony Schaffer au scénario, qui gagnera ses galons avec le temps dans ce domaine (Il fut le scénariste de Frenzy en1972 et celui de quatre adaptations de Agatha Christie dont le fameux « Le Crime de l'Orient Express » de Sidney Lumet).Et je ne peux dire qu'une chose, c'est que Joseph L. Mankiewicz ne s'est pas trompé avec ce film ! « Le Limier » est un bon film, un jeu du chat et de la souris pour adulte, ou nous assistons à la lutte de deux esprit retords, ou les clivages sociaux de l'époque, seront au centre de ce jeu.Le LimierAu premier coup d’œil, le scénario est d'une simplicité à toute épreuve. Il s'agit de l'histoire d'un homme qui vient voir le mari de son amante pour lui demander d'accepter le divorce. C'est simple, carré et sans fioriture. Sauf que ce n'est que la partie visible de l'iceberg, celle qui cache un script malin et ludique sur deux hommes, les deux visages d'un monde déjà et depuis toujours à deux vitesses.

Des le départ le ton est donné, que cela soit par la musique, qu'un film muet des années 20 n'aurait pas renié et par un imposant labyrinthe, ou l'auteur de roman, se plaît à faire venir ses invités pour ce jouer d'eux. A partir de la, l'intrigue est lancé, Wyke invite son adversaire à rentrer dans son aire de jeu, un manoir somptueux qui révèle bien des secrets. On y trouve des jeux, des automates en très grands nombres, une cave avec des déguisements et de nombreux objets cachets, chargeant un peu plus, les pièces de la demeure cossue de notre illustre auteur. Tout ça contribue à créer une ambiance étrange, un brin surréaliste, accentuée par les détails de cette décoration, à cause notamment des nombreux automates, ces silhouettes sans vise qui ont déjà les yeux tourner vers les deux protagonistes, faisant alors de nous les spectateurs d'un jeu au combien pervers … L'un après l'autre, les deux personnages, Wyke et Tindle vont se manipuler, jouer au « Limier » avec l'espoir de faire valoir son point de vue. Cependant les deux n'agissent pas de la même manière, car ils ne viennent pas du même monde. Wyke est un aristocrate, il fait partie de l'establishment britannique et il ne supporte pas que l'on vienne le contrarier; alors que Tindle est un fils d'immigré italien, qui n'a pas eu une vie facile et qui a du faire plus qu'un insulaire britannique pour prendre l'ascenseur social. Et c'est la que se trouve le message du film, aussi actuel qu'il l'était il y a quarante cinq ans. Une certaine classe dominante, blanche dans ce cas précis, se repose sur ses privilèges et joue avec cela, pour asseoir sa domination sur l'autre ! Ici c'est un coiffeur, fils d'immigrés italien, mais sinon cela peut être une personne de couleur, un immigré, une femme, une personne âgée, un chômeur, une personne qui touche des aides sociales … Bref des personnes plus ou moins vulnérables, victimes trop souvent d'un système qui exclut l'humain et qui sacrifie des milliers de personnes, simplement pour du profit, sans qu'aucune échappatoire ne soit possible. Et quand on prive une personne de sa dignité, elle se tait ou sinon elle se bat, comme Tindle, car pour elle ce n'est pas un jeu, c'est sa vie qu'elle défend et le peu de chose qu'elle peut avoir pour vivre.Le Limier

Quant a la réalisation de Joseph L. Mankiewicz, elle est juste sublime ! Entre des plans longs et des champs/contrechamps habilement composés et montés, on note aussi la manière qu'elle a d'illustrer les rapports de force. Lors de la première partie, le personnage interpréter par Laurence Olivier est toujours celui qui domine, dans le cadre il est souvent debout et occupe l'espace avec une présence écrasante; quand le personnage de Michael Caine se retrouve à subir la hauteur de son hôte, ce qui n'est plus le cas dans la seconde partie ou Wyke (Laurence Olivier) est filmé comme un animal en cage (caméra extérieure au début du second acte), ou Tindle (Michael Caine) le domine et se joue de lui, la caméra insistant sur des détails qui lui échappe. A cette mise en scène de qualité, il faut rajouter des dialogues toujours fort bien écrits, ou les répliques fusent comme des balles, appuyant là où ça fait mal en attendant que la réplique se construise ou non,

Un élément prépondérant du film, tant par sa précision, que par sa capacité à rythmer les scènes ! Et c'est un complément essentiel a la réalisation de Mankiewicz qui donne le « la » … Le casting quant à lui est royal ! Dans le rôle de Wyke, sir Laurence Olivier et dans celui de Tindle monsieur Michael Caine. Que dire sur tous les deux ? Si ce n'est l'évidence, qu'ils sont éblouissants du début à la fin, que chacun montre une palette de jeu extrêmement variée, où la justesse est le maître mot. Ces deux acteurs aux talents immenses, qui livrent une performance sans aucune fausse note, portant à deux, sur leurs quatre épaules, la réussite de ce film.

Le Limier

Le Limier – 18 Avril 1973 – Réalisé par Joseph L. Mankiewicz