« Twin Peaks : The Return » : Film ou série, faut-il vraiment choisir ?

« Twin Peaks : The Return » : Film ou série, faut-il vraiment choisir ?

Impossible d'y échapper dans la sphère cinéphile, David Lynch a marqué d'un grand coup la production audiovisuelle cette année avec le retour de l'univers Twin Peaks.

Passionnante, frustrante, brillante, déconcertante et on en passe d'autres adjectifs qualitatives, le réalisateur a su émuler les passions et provoquer les querelles entre cinéphiles pour savoir si oui ou non, Twin Peaks : The Return doit être considérer comme le plus grand film de l'année à l'en croire le site Chaos Reigns, entre autres. Certains crient à l'hérésie, d'autres à l'évidence, le but de cet article sera de voir si on peut déterminer une case précise à ce que Lynch a produit, au recueil des témoignages de passionnés de la série.

D'un premier coup d'oeil par sa structure, scindée en dix-huit épisodes allant de trois quarts-d'heure à 60 minutes, Twin Peaks : The Return se présente formellement comme une série télévisée diffusée le dimanche soir sur une chaîne câblée des Etats-Unis (en l'occurrence, la chaîne Showtime). Si cette nouvelle saison se présente à part de ses précédentes, il ne faut pas oublier que la série des années 90 restait ancrée dans l'Oeuvre de Lynch tout en y incluant une structure imitant sarcastiquement les codes du soap-opera. Sous le prisme du who dunnit ?, les téléspectateurs étaient aussi passionnés par cette enquête étrange destinée à trouver une réponse à la fameuse question : Qui a tué Laura Palmer ? Et si dans cette saison 3, l'abstraction formelle est de rigueur, certains y voient tout de même une narration pourtant simple dans sa ligne rouge. Morgan (@LolavsPowerman), du site Dans ton cinéma entre autres, voit ce retour de cette manière :

Pour moi, c'est clairement une série dans le fond, elle reste montée la plupart du temps comme la série originale, avec des séquences axées sur différentes personnages qui vivent leurs vies, avec le fil rouge du " combat " entre Bad Coop et Dougie, et celui surnaturel entre entités lumineuses ou sombres. Et on retrouve l'habituelle ritournelle des cliffhangers, du temps pris à développer les personnages, de la mythologie.

Un propos qui rejoint celui de Florian Etcheverry, pensant que même si les deux premiers épisodes ont été diffusés au dernier Festival de Cannes, ça n'en rend pas un film. A vrai dire, il estime que ceux catégorisant Twin Peaks comme un film comme un mépris au médium à la base et comme les premiers à faire des jugements de valeur.

Ici, cette troisième saison se déroule donc sur un fil rouge permanent donc : Après le cliffhanger terrifiant clôturant la deuxième saison, l'agent Dale Cooper reprendra-t-il possession de son corps, volé par l'entité démoniaque Bob ? Une quête spirituelle qui se poursuivra donc en dix-huit épisodes. Avec toujours les mêmes motifs tels que les passages à la Red Lodge, les scènes de concerts mémorables au Roadhouse et bien sûr, la recherche de l'agent Cooper.

Et pourtant, des éclats apparaissent et signent des véritables propositions de cinéma. Impossible d'oublier l'extraordinaire épisode 8, véritable plongée dans un cauchemar atomique. Au cours de son témoignage, Morgan s'en est rendu compte :

Maintenant, je me disais en regardant que certaines parties auraient pu être des films à part entière. Comme l'enchaînement des épisodes 2 et 3, l'épisode 8 ou le double-final. Mais pris séparément, comme si on établissait une saga. Mais dans son entièreté, c'est impossible pour moi de considérer cela comme un film, un film n'aurait jamais ressemblé à cela avec cette histoire (et jamais Frost et Lynch n'auraient pu y traiter toutes leurs thématiques)

Twin Peaks : The Return est donc compris comme une série. Par sa structure, son fil narratif, ses récurrences mais tout cela, on peut aussi le retrouver dans un film, surtout dans ceux d'un auteur aussi singulier et reconnaissable que David Lynch. Mathilde, étudiante en fac de lettres, voit en cette saison plus qu'une simple série :

Selon moi, cette saison se veut davantage comme un long-métrage, une oeuvre s'ouvrant sur plusieurs chapitres, suivant une linéarité plus ou moins ambiguë, plutôt qu'une simple saison de série. Twin Peaks : The Return échappe aux familiarités que chacun.e entretient avec les séries télévisuelles ou streaming en général. De même que pour les deux premières saisons, Lynch s'amuse une nouvelle fois à bousculer un confort, une espèce de cinéphile passive et donc facile. Cette troisième saison nous interroge donc quant à ses motivations filmiques : les thématiques du Temps, beaucoup plus approfondies dans ce final à mon sens, ne peuvent être appréhendées que dans un ensemble global, et donc dans toutes les parties qu'offre The Return. Le socle du soap opéra divertissant qui constituait en majeure partie les deux premières saisons n'est plus, et ce deuil nous conduit alors à reconsidérer le chef d'oeuvre de David Lynch, qui n'est autre qu'un mille-feuille cinématographique, porté par un désir de voir au-delà des codes traditionnels proposés par les différentes conceptions audiovisuelles. De plus, cette dernière saison présente des enjeux universels, interpelle, comme l'ont pu faire antérieurement, d'autres films lynchiens : Twin Peaks : The Return constituerait l'héritage de Lynch, à la fois artistique et traversé ça-et-là de toute sa pensée existentielle. Ainsi, la saison 3 semble être le coup de maître du réalisateur, une oeuvre unique, entière, presque autonome, mais qui ne peut certes pas être détachée de ce qui la précédait.

Alors, est-ce un film ou une série au final ? Difficile d'attribuer une réponse claire et nette, quand même Lynch estime que c'est un long-métrage de plusieurs heures, mais à la lecture de ces réponses, on peut établir une chose : Avec ce retour dans la ville de Twin Peaks, le réalisateur a cassé les frontières entre deux médiums audiovisuelles propres à eux-mêmes, ne sachant jamais où est-ce que cela va réellement nous diriger au visionnage de chaque épisode. Une chose sûre : C'est un plaisir de replonger dans cette aventure.

Un grand merci à Florian, Morgan et Mathilde pour leur aide précieuse à la composition de cette article.

Victor Van De Kadsye