L’authenticité du conflit

A partir de l’incident déclencheur qui annonce soit le début de l’intrigue, soit que celle-ci sera bientôt à l’œuvre, le protagoniste pénètre un monde foncièrement conflictuel.
En effet, rien ne progresse dans une histoire si ce n’est à travers le conflit.

Le plus difficile pour un auteur est de maintenir l’attention de son lecteur. Autrement dit, le lecteur n’a pas vu le temps passer entre le début et la fin de l’histoire.
Le conflit est essentiel à l’art de la dramaturgie. Tant qu’il occupe nos pensées et nos émotions, nous restons concentrés sur une histoire.
Que l’intrigue s’embourbe oubliant ce qui l’a fait battre et le lecteur se désintéresse de l’histoire.

L’âme de l’histoire

Tel est le conflit.
Si la vie est seulement nécessité, nous nous apercevons alors que nous sommes pris au piège. Si nous tentons de réaliser quelque chose et sans avoir le sentiment d’avoir perdu notre temps, nous entrons alors en conflit direct avec la nécessité qui dénie nos aspirations.
Lorsqu’un auteur succombe à cette nécessité espérant ainsi bénéficier du confort contrefait qu’apporte le monde moderne, il ne parviendra pas à donner au conflit la couleur nécessaire. Soit les conflits décrits seront d’une violence absurde (et inutile), soit ils manqueront de significations et de légitimité.

Il est injuste de fermer les yeux sur le combat qu’est la vie. Un auteur ne peut se désintéresser ou être insensible devant un tel combat. Le conflit mis en fiction ne peut se contenter de suggérer que nous devons apprendre à mieux communiquer, à être un peu plus charitable, à respecter l’environnement. L’auteur ne vit pas dans une utopie.
Néanmoins, l’auteur peut s’engager dans un tel combat.

Dans notre vie, lorsque nous solutionnons un problème, cela signifie qu’une autre difficulté nous attend. Parce qu’il nous manquera toujours quelque chose pour être heureux.
Nous avons accompli un désir. Nous sommes satisfaits et en apparente harmonie avec le monde. Mais cette sérénité se transforme vite en ennui. L’absence de conflit nous ennuie.

Lorsque le lecteur s’aperçoit qu’un personnage semble se contenter de la vie qu’il mène, il aura le même sentiment d’ennui. Tout comme nous, il doit souffrir de ne plus avoir de désir.
Nos sociétés modernes éliminent de plus en plus les problèmes de survie. Nous éprouvons un sentiment de sécurité qui vient de l’extérieur. Nous avons pour la plupart un toit même si celui-ci semble bien fragile. Des habits nous protègent du froid et nous sommes nourris et soignés.

Tout ceci est une bonne chose sauf lorsque ces sociétés modernes cherchent à nous formater et que les idéaux qui ont animé une telle volonté de bien faire ne nous permettent plus d’atteindre à la connaissance sauf une connaissance contrôlée (appelons là obscurantisme) et nous éloignent du véritable bonheur fort de leurs certitudes sur ce sujet.
Elles ont une vision liberticide de la prospérité.

Une recherche de complétude

L’individu qui prend conscience de son individualité peut réaliser qu’il lui manque quelque chose en tant qu’être humain.
Ce besoin d’un esprit libre, d’être maître de son corps (certains univers dystopiques mettent en avant l’instrumentalisation du corps – La servante écarlate de Margaret Artwood ou Black Mirror créée par Charlie Brooker), d’assumer et de vivre ses émotions (même si nos passions nous aveuglent et peuvent nous détourner de la vérité) et du respect de nos croyances permettront à l’auteur de trouver une authenticité pour inventer des conflits profonds et étendus.

Ecrire est un engagement. On peut écrire des tas de choses. Mais pour faire la différence, l’auteur doit s’engager. Il doit convoquer les forces antagonistes qui font la vie. Des forces vitales qui s’opposent sont la matière d’une bonne fiction parce qu’elles créent un mouvement, un battement qui rend possible l’évolution.
Mais cette progression ne signifie pas pour autant que nous pouvons être heureux. Dans notre recherche d’un lieu inexistant, nous pourrions tout aussi bien aboutir à un lieu néfaste.

Pour qu’un auteur fasse la différence, il doit s’interroger sur la vie. La vie est de trouver l’amour et l’estime de soi. La vie est d’apporter la sérénité dans notre vie intérieure. Elle est la prise de conscience des inégalités sociales et de notre lutte permanente contre l’étroitesse de notre existence.

La vie est un conflit. C’est dans sa nature. Un auteur doit comprendre comment il peut orchestrer ce combat.

L’AUTHENTICITÉ DU CONFLIT