Les portes de la nuit

Un grand merci à Pathé pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Les portes de la nuit » de Marcel Carné.

Les_portes_de_la_nuit« Encore un qui croit qu’on a perdu la guerre à cause des congés payés ! »

Durant une nuit de février 1945 à Paris, Jean Diego se rend chez la femme de son copain, Raymond Lécuyer, pour lui annoncer la mort de son mari devant le peloton d'exécution des occupants nazis.

Or, Raymond est bel et bien vivant. Un clochard, qui se présente comme étant le Destin, annonce à Jean qu'il va rencontrer, dans les heures à venir, "la plus belle fille au monde".

« Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une mort heureuse ! »

Portes-nuit-MontandNé au tout début du 20ème siècle, le jeune Marcel Carné grandit en même temps que la toute jeune industrie cinématographique pour laquelle il se passionne très tôt. Destiné à devenir ébéniste comme son père, il préfère bien vite étudier la photographie, avant que le hasard d’une rencontre lui permette de devenir l’assistant du réalisateur Jacques Feyder à partir de la fin des années 20 puis de Jean Aurenche et de René Clair au cours des années suivantes. Il finit par accéder lui-même à la réalisation en 1936 avec « Jenny ». Le film marque également sa rencontre avec l’auteur et scénariste Jacques Prévert, avec qui il formera pendant une dizaine d’années l’un des plus fameux tandem du cinéma français. Ensemble, les deux hommes écriront quelques-uns des plus grands films (et des plus grands succès) de leur époque : « Drôle de drame » (1937), « Le quai des brumes » (1938), « Le jour se lève » (1939), « Les visiteurs du soir » (1942) et surtout le mythique « Les enfants du paradis » (1945). En 1946, juste après la fin de la guerre, les deux hommes se retrouvent – une ultime fois – pour « Les portes de la nuit »,adaptation de l’argument du ballet « Le rendez-vous » écrit l’année précédente par Prévert et Joseph Kosma. Le film devait initialement réunir à l’écran Jean Gabin et Marlene Dietrich, mais face aux désistements successifs de l’une puis de l’autre, Carné décida d’engager la jeune Nathalie Nattier et de lui opposer un débutant, le tout jeune chanteur Yves Montand qui connait alors ses premiers succès dans les cabarets parisiens. Le film connait néanmoins à sa sortie un échec retentissant, tant critique que public, scellant la fin de la collaboration entre Carné et Prévert.

« Quand le monde évolue, le mieux c’est encore d’évoluer avec lui »

Nathalie_NattierLa nuit tous les chats sont gris, dit-on. Sauf chez Carné et Prévert, les maitres du « réalisme poétique », chez qui la symbolique demeure toujours très forte. Clairement, pour eux, la nuit c’est l’occupation. Une tâche dans l’Histoire. Une période sombre sur le point de s’achever. Mais pas encore tout à fait. Dans ce Paris fraichement libéré mais toujours capitale d’un pays rationné et en guerre, l’heure est - plus que jamais - au règlement de compte. Car les rôles s’inversent : les puissants d’hier sont devenus les faibles ; les prédateurs sont devenus les proies. Et dans ce quartier populaire du nord de Paris, on assiste au chassé-croisé des ennemis d’hier tel un ballet orchestré de main de maitre par le Destin, personnifié en un fantasque clochard. De façon étonnement frontale, le film évoque ici - et sans concessions - la collaboration dans ce qu’elle a de plus sale et de plus rebutante : les dénonciations, les tortures, mais aussi l’exploitation de la situation, l’enrichissement et le profit personnel de certains aux détriments de leurs compatriotes et voisins. Autant de vices symbolisés par la Famille Sénéchal, formidables salopards de père en fils, merveilleusement incarnés qui plus est par Serge Reggiani et Saturnin Fabre. Face à eux, il y a ceux qui ont souffert en silence, les résistants et les gens du peuple. Ceux-là sont dans le ressentiment mais déjà plus dans la vengeance : trop de sang a déjà coulé, trop de souffrances ont été subies, et chacun aspire déjà à autre chose et à retrouver des jours meilleurs. Et puis, tel un printemps après un long hiver, il y a l’amour qui pointe le bout de son nez, comme l’espoir d’un possible renouveau. Sauf que chez Carné, il n’y a pas de rédemption possible. Tout cela est trop tôt. Les salauds restent des salauds et le bonheur n’est encore qu’un leurre. Au final, cela donne lieu à un beau film triste mais dans l’ensemble assez inégal, qui marque les débuts à l’écran d’un Yves Montand pas encore charismatique (pas trop aidé par l’interprétation assez fade de sa partenaire Nathalie Nattier) mais qui signe néanmoins avec la mythique chanson « Les feuilles mortes » son premier véritable succès.

Portes_nuit_Destin

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Le blu-ray : Le film est présenté dans une nouvelle version restaurée en 4K à partir du négatif original. Il est proposé en version originale française (2.0) ainsi qu’en audiodescription (2.0). Des sous-titres anglais et français pour malentendants sont également proposés.

Côté bonus, le film est accompagné d’une interview exclusive de Jean-Pierre Jeunet (5’) ainsi que du module « Le destin des Portes de la nuit » : Entretiens avec Philippe Morisson (créateur du site Marcel Carné) et N.T. Binh (critique et enseignant du cinéma).

Edité par Pathé, « Les portes de la nuit » est disponible en combo collector DVD + Blu-ray depuis le 29 mars 2017.

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