Grave, ou la métamorphose de Justine.

Le premier long-métrage de Julia Ducournau, , en salles depuis le 15 Mars dernier, ne manque pas de faire parler de lui. Ça a commencé par sa sélection à la Semaine de la Critique de Cannes, l'année dernière, où il a réussi à faire frissonner les spectateurs. Plus récemment, on a eu vent de malaises lors de sa projection au Festival International du Film de Toronto (le tiff). Et voilà maintenant que le Nuart Theatre de Los Angeles propose des sacs à vomi pour les spectateurs du film... Autant d'anecdotes qui sèment le trouble et concourent à fabriquer l'image d'un film insoutenable, le plus éprouvant jamais créé jusqu'alors. Rappelons que le film est interdit au moins de seize ans, d'où sa faible distribution en salles. Certes, n'a rien d'un parcours de santé et son visionnage saura vous prendre aux tripes. Mais il ne saurait se réduire à une simple volonté de choquer. Loin de là ! Justine a 16 ans, elle est végétarienne et dans sa famille tout le monde a fait des études de véto. C'est à son tour de rejoindre l'école dans laquelle ses parents se sont illustrés et où sa sœur termine son cursus. Dès son arrivée, Justine est soumise avec ses camarades de première année à un bizutage implacable : on la pousse à manger de la viande crue pour la première fois de sa vie. Mais voilà que le cauchemar commence. Justine en veut plus, elle a faim de chair fraîche... Julia Ducournau, la réalisatrice et ex-étudiante à la Fémis, livre un premier film glaçant de maîtrise et de profondeur. On la compare déjà à un David Cronenberg français et au féminin.

Grave, ou la métamorphose de Justine.
Il faut avouer qu'elle partage avec le réalisateur un intérêt pour la transformation tant psychologique que physique de ses personnages, allant jusqu'à puiser dans la grammaire du body horror, un genre prolifique dans le monde anglo-saxon et très marginal dans notnre hexagoe. En reprenant les codes de l'horreur, du teen movie, du drame et de la comédie, la cinéaste livre un film implacable dont l'alternance des styles et la justesse des situations renforcent d'autant plus la violence et le malaise des scènes sanglantes. Même constat du côté des acteurs qui tiennent superbement bien leurs rôles. Garance Marillier, qui incarne celle qu'on appellera notre héroïne, livre une prestation très puissante, sans fausses notes. On découvre également un Rabah Naït Oufella solaire, qui prend visiblement plaisir à jouer un personnage différent des rôles qu'on a déjà pu lui proposer. A l'écran les acteurs principaux partagent une belle alchimie qui donne corps à la narration. On les sent véritablement investis et stimulés par les propositions et la présence de Julia Ducournau. Saluons au passage le très beau travail musical de Jim Williams qui a su composer des thèmes aussi forts que l'histoire de ce premier film. Mais venons-en au cœur du sujet, celui qui déchaîne toutes les passions : la thématique cannibale. Si vous espériez trouver dans Grave un film choc à la Cannibal Holocaust, vous avez tout faux ! La réalisatrice ne s'autorise aucune complaisance avec un gore gratuit et abusif.

Grave, ou la métamorphose de Justine.

Bien au contraire, Julia Ducournau traite son thème avec une gradation et un réalisme incroyables. Dès lors, il devient difficile de condamner son héroïne et ses actions qui s'inscrivent finalement dans une découverte d'elle-même, de ses limites. Son humanité est palpable du début à la fin du métrage. Plus qu'un vulgaire film d'horreur sur le cannibalisme, nous parle d'un passage à l'âge adulte, il nous conte un récit initiatique tellement particulier qu'il en devient universel. Finalement, la pente cannibale tant débattue dans les médias n'est que l'expression crue d'une métamorphose plus vaste, celle du passage de l'enfant à l'adulte. Justine est un personnage qui se cherche et qui ne sait comment contenir ces pulsions nouvelles, notamment sa sexualité. Et puis, finalement, ne sommes-nous pas tous des cannibales en puissances ? Dans notre relation aux autres, à l'environnement, à la connaissance, aux réseaux sociaux, à l'information ; ne cherchons-nous pas à consommer toujours plus ? C'est aussi cela le propos de , montrer la nature d'une humanité qui se nourrit essentiellement d'elle-même. Dès lors, la réalisatrice nous interroge plus en avant sur ce qui définit l'humanité et aborde la question des déterminismes, sociaux comme familiaux.
En somme, a tout d'un grand premier film : fort et maîtrisé. C'est une expérience viscérale et unique. Tâchons d'ailleurs de garder un œil sur Julia Ducournau et Garance Marillier car elles n'ont pas fini de nous étonner.