DERNIER TRAIN POUR BUSAN : La locomotive de l’été ? ★★★★★

Le cinéma coréen prouve une nouvelle fois l’obsolescence de ses concurrents avec le meilleur film de zombies vu depuis longtemps.

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L’universalité de la figure du zombie est à priori due à son adaptation envers n’importe quel contexte, à son pouvoir métaphorique et critique de toute société. Mais sa puissance d’évocation réside avant tout dans la peur immuable qu’il représente pour toute personne : celle de la perte de son humanité. L’homme porte en lui l’héritage d’une conscience qui l’a mené à l’état de « civilisation » dans lequel il est désormais, tout en craignant que ses instincts les plus primaires puissent un jour se réveiller et effacer le chemin parcouru. Le cinéma de George Romero a su moderniser et ancrer cette problématique en l’adaptant à un monde déjà déshumanisé, à une société de consommation où le zombie ne paraît plus si éloigné de l’être humain conscient. Depuis, peu ont réussi à offrir un nouveau regard sur le genre, à l’exception peut-être d’Edgar Wright et de son génial Shaun of the dead, moins parodie que véritable hommage à cette culture du mort-vivant, jouant avec de brillants effets de répétition d’une mise en scène qui dépeint une population déjà zombifiée avant la catastrophe. Dès lors, en repensant à ces modèles, le visionnage de Dernier train pour Busan ne confirme pas juste que l’on vient d’assister au film de zombies le plus excitant de la décennie, mais qu’il a su transcender ses inspirations par une approche purement cinématographique du mythe et des problématiques qu’il sous-tend.

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Pourvu d’un high-concept aussi alléchant que casse-gueule (une invasion de zombies dans un TGV coréen), le film jouit du fatalisme ancré dans sa narration, de sa linéarité qui le met littéralement sur des rails, avec la certitude d’aller d’un point A à un point B. Loin de simplement suivre une route déjà tracée, le cinéaste Sang-Ho Yeon déclare son amour au genre et à ses codes, notamment à travers sa galerie de personnages archétypaux (un trader individualiste et insensible qui accompagne sa fille, une jeune équipe de baseball, une masse de muscles au grand cœur et sa femme enceinte, ou encore un conducteur de train à la loyauté sans bornes) qu’il développe suffisamment pour surprendre.

Mais Dernier train pour Busan puise sa force de sa constante innovation, pourtant difficile à rendre dans un décor quasi-unique aussi exigu et répétitif. Le fait que Yeon se soit auparavant illustré dans l’animation lui permet de déployer une gestion minutieuse de ses décors, exploitant la moindre parcelle des divers wagons (portes, toilettes, sièges, portes-bagages) en éludant toute contrainte technique. Le film parvient dès lors à décrire le chaos ambiant avec une étonnante lisibilité, s’offrant une magnifique scénographie où les divers obstacles s’accordent aux limites d’un cadre qui dépeint une tentative stérile de confinement. Nul doute que le cinéaste amène ici une critique de la société coréenne, de son individualisme et de son capitalisme carnassier faisant face à la collectivité, telle une colère contenue qui explose par la figure métaphorique du zombie. Yeon ne décrit d’ailleurs pas le monstre comme une masse indistincte, mais s’attarde sur les transformations de chacun, sur l’être et son unicité au sein du groupe. Il livre au passage quelques images assez terrifiantes autour de cette essence du zombie à avancer coûte que coûte, à être dénué d’une sensation du corps, même en souffrance, à ne pas s’arrêter de courir malgré une jambe cassée, ou malgré un bras passé au dessus d’une tête après une chute.

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Alors certes, Dernier train pour Busan répond, comme les meilleurs Romero, à une politisation de la figure du zombie, mais il ne tombe jamais dans une dimension discursive qui l’aurait desservi. En marquant peu de pauses dans son récit mené tambour battant, il caractérise plus ses personnages par leurs actions que par leurs dialogues, approchant la question de l’humanité de chacun dans une telle panique avec une puissance émotionnelle qui frappe en plein cœur. Fait même rare dans le genre, les protagonistes ne sont pas que des victimes tentant de survivre en pleine apocalypse. Ils ont pour certains une forme de responsabilité dans la catastrophe, les amenant à interroger leur déshumanisation. Néanmoins, Sang-Ho Yeon ne filme pas qu’un monde voué à sa perte par son auto-destruction. Le zombie devient la menace d’une innocence qu’il est précieux de conserver, de chérir, notamment par les yeux de la petite Su-an. Le montage de Yeon ose alors des effets de contrastes entre l’horreur du présent et la mémoire d’un monde meilleur, à priori clichés mais qui fonctionnent par la simple foi que le réalisateur a en son sujet, et qu’il fait ressentir tout au long du métrage. C’est ainsi qu’il offre l’une des transformations zombiesques les plus émouvantes qui soient, où un souvenir heureux se présente comme la dernière lueur d’une humanité qui se meurt. Le seul pouvoir de la mise en scène permet à Yeon de toucher au pouvoir d’évocation le plus primaire du mort-vivant, de nous prendre au tripe par la seule puissance de l’image. Qu’elles que soient les qualités de Dernier train pour Busan, il est avant tout un modèle d’exigence et d’amour envers le mythe qu’il aborde, transformant ce qui n’aurait pu être qu’une simple série B en l’un des divertissements le plus ambitieux de l’été, voire de l’année.

Réalisé par Sang-Ho Yeon, avec Gong Yoo, Kim Soo-Ahn, Yu-Mi Jeong

Sortie le 17 août 2016.