OUTBUSTER : Rencontre avec Etienne Metras

Outbuster est une nouvelle plateforme de VOD sur le Net, centrée sur les films qui ne sont jamais sortis en France. Ce concept alléchant de rat de cinémathèque, on le doit à Etienne Metras, son fondateur, avec lequel nous nous sommes entretenus pour parler de son site encore en phase de bêta, mais aussi pour évoquer l’état de l’industrie cinématographique française et ses possibles alternatives.

Logo Outbuster

Qu’est-ce qu’Outbuster, et comment le définirais-tu ?

Etienne Metras : Pour moi, Outbuster, c’est le premier cinéma en ligne. C’est une plateforme de VOD qui est dédiée à la première diffusion de films en exclusivité, qui émergent au sein des communautés connectées et des festivals. Malheureusement, ils n’ont pas de place sur les réseaux de distribution français, alors qu’un public les attend. Donc l’idée d’Outbuster, c’est de maximiser une couverture de l’audience qui peut voir ces films, et le meilleur moyen, aujourd’hui, c’est le digital. Certains films passent clairement à côté de leur public. Il y a une offre qui existe, tout comme la demande, mais il manque une passerelle entre les deux. Alors oui, ils ont souvent comme caractéristiques d’êtres étrangers, et réalisés par des personnes peu connues. Tu ne verras pas sur Outbuster des comédies françaises ou des blockbusters, mais on aura tout le reste. Et aujourd’hui, une comédie danoise n’a rien à envier à une comédie française, un thriller coréen n’a rien à envier à un thriller américain ou un polar mexicain à un polar français. Notre but est d’être complémentaire avec la salle. On va chercher les pépites pour pouvoir les proposer. Cela demande d’abord un travail d’identification parce qu’en effet, beaucoup de films passent à la trappe à cause de leur qualité toute relative. Nous avons plusieurs critères : une note supérieure à 6 sur des sites comme Imdb ou SensCritique, la génération d’un buzz, des envies de voir en festival, un succès sur le territoire d’origine, etc. Après, notre but est aussi d’aller chercher les communautés. On est partenaires de SensCritique, qui est hyper-impliqué. Ils ont une spécificité sur le marché français puisqu’ils possèdent un référencement très exhaustif des œuvres. Et quand on voit un film qui a plusieurs centaines d’envies de voir et peu de notes, c’est qu’il y a une frustration. Il manque un diffuseur alors que beaucoup de gens veulent le voir, ne trouvant comme unique solution que le piratage. Avec Outbuster, on aimerait se proposer comme une alternative. On s’intéresse à des films qui ont déjà tourné, notamment en festival. On ne recherche pas des œuvres ultra pointues et pas accessibles. Au début, quand je parlais du projet, les gens considéraient que ce serait un cinéma de niche. Effectivement, c’est de niche parce qu’on s’adresse à des cinéphiles, à des personnes qui ont envie de voir autre chose. Après, il ne faut pas sous-estimer l’envie de découverte et la curiosité des gens. Sur Outbuster, il y aura de tous les cinémas, comme en salle.

Comment est venue l’idée ?

E.M. : Elle est avant tout venue du constat que je viens de t’énoncer. J’ai travaillé pendant dix ans pour une plateforme de VOD, et je suis parti début 2015. Les six premiers mois, je les ai passés à regarder des films. Ce n’était pas nécessairement pour nourrir le projet encore, mais j’avais déjà comme focus sur mes visionnages des films sans diffuseur. Et pendant cette période, je me suis rendu compte à quel point pléthore de bons films ne trouvent pas leur public. Quand je les montrais à ma femme, elle me disait elle-même qu’elle n’avait pas vu autant de bons films depuis longtemps.

J’aime beaucoup la catégorisation des films sur le site (entre potes, cœur à vif, j’me la pète, complètement à l’est). Il y a un côté très convivial.

E.M. : Oui, ces rubriques viennent du principe que ces films ne se jugent pas selon les critères que le public emploie sur les réseaux traditionnels. Là, il ne connaîtra pas le casting ou le réalisateur, et il n’aura pas vu l’affiche. L’idée était donc de plus orienter les gens selon des humeurs. Moi-même, c’est comme ça que je fonctionne quand je regarde des films le soir. Est-ce que j’ai envie de me marrer ? D’être dépaysé ? De réfléchir ? Le choix des rubriques vient de là. D’autres arriveront sur le site à l’avenir.

En décembre dernier, l’émission BiTS de Rafik Djoumi s’interrogeait sur Internet en tant qu’héritage de la culture vidéo-club et ciné-club (voir ici). Outbuster m’a fait pensé à ça. On sent cette envie de proximité avec le public dans la recherche de films sortant du tout-venant des salles.

E.M. : Je n’y avais pas pensé sous cet angle, mais pour rebondir sur ce que tu dis, Internet nous permet de supprimer tous les intermédiaires entre le cinéma et son public. On veut qu’Outbuster soit fait par et pour son audience. Certains envoient des recommandations, d’autres écrivent des critiques sur les films. Les barrières qui existaient à l’époque du physique, où le distributeur n’a pas directement accès à son public, n’existent plus sur le Net. Et nous avons vraiment envie d’enrichir cet aspect social sur Outbuster. A mes yeux, l’un des problèmes de l’édition vidéo réside dans leurs modèles de prévisibilité des audiences que l’on pouvait utiliser il y a vingt ans et qui ne fonctionnent plus aujourd’hui. On ne peut plus prévoir combien un film va faire selon une étude de comparables, en disant : « oh tiens, ce film ressemble à celui-là, donc il fera tant de score. » Ça ne marche plus, les publics sont atomisés. L’idée d’Outbuster, c’est de se dire que le plus simple est encore de demander aux gens ce qu’ils veulent voir, se nourrir des réseaux sociaux et des communautés pour aller chercher des films. Dans un premier temps, on pioche dans ce que l’équipe trouve, mais à l’avenir, rien ne nous empêche de directement demander au public ce qu’il veut voir, et on va chercher le film. Et cette expression sera possible grâce à des fonctionnalités que nous sommes en train de développer sur le site.

Justement, par rapport à l’évolution du site, vous avez lancé un crowdfunding (voir par ici). A quoi servira-t-il ?

E.M. : On est une start-up, et comme toutes les start-ups, on a des problèmes d’argent (rires). Le concept d’Outbuster coûte assez cher. Nous avons deux barrières principales : le coût des droits et le coût des sous-titrages, que nous voulons de bonne qualité et en format professionnel. C’est très cher, parfois même plus cher que les films en eux-mêmes. Après, il y a aussi un coût marketing pour aller chercher le public, d’abord cinéphile et ensuite plus large. Donc pour tout ça, il faut de l’argent (rires) !

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Etienne Metras, fondateur d’Outbuster

La scène du cinéma en France est l’une des plus riches du monde. Pourtant, la proposition d’un site comme Outbuster prouve qu’il y a un manque quelque part.

E.M. : Tu veux parler du manque de diversité ?

Si tu estimes qu’il y en a un.

E.M. : Ah oui, pour moi, il y en a un ! Après, je trouve qu’il est moindre en France par rapport à d’autres territoires, grâce à un parc très large de salles et une vraie culture du cinéma. Cependant, comme l’industrie et les distributeurs ont de plus en plus de mal à prévoir les audiences, ils doivent les acheter via du marketing. Ça devient la prime au plus gros. C’est pour ça que les blockbusters couvrent tous les écrans, qu’à la sortie de Star Wars VII, le film prend mille écrans sur environ cinq mille. Et si on complète avec deux trois autres gros divertissements, il ne reste plus beaucoup de salles pour amener de la diversité. Il y a deux économies : une économie de blockbuster, et une économie sur les plus petits films, qui peinent à avoir de la visibilité. C’est aussi en cela que je pense que le salut pour que les films trouvent tous leur public, c’est le digital. Il permet une diffusion de l’information et de la culture dans le monde entier, mais aussi de modifier les standards de production, d’écriture et de réalisation. Aujourd’hui, tous les pays sont capables de produire du bon cinéma, et du cinéma qui est ouvert à tous les publics grâce à une standardisation de la diffusion culturelle qui empêche désormais d’invoquer des soi-disant fossés, par exemple entre l’Asie et l’Occident.

Et même si c’est le principe du site, ça ne te fruste pas parfois de te dire que les films que vous diffusez n’iront pas sur grand écran ?

E.M. : Non, parce qu’on se veut vraiment complémentaires de la salle. Le problème, c’est les réglementations qui nous empêchent de faire certaines choses. Après, si celles-ci évoluent et qu’elles nous permettent de faire des sorties simultanées dans quelques salles, pourquoi pas. Aujourd’hui, avoir certains films qui ont cinq écrans dans le quartier Saint-Germain et rien en Province alors qu’il y a tout autant de cinéphiles là-bas, c’est aberrant. On devrait pouvoir faire un mix avec du digital pour élargir l’accès.

Donc même des propositions encore balbutiantes comme le e-cinéma te paraissent intéressantes ?

E.M. : Oui, et c’est aussi là-dessus qu’on se positionne. Après, je n’ai pas la même vision que ceux qui opèrent le cinéma aujourd’hui. Pour moi, ces films-là ont besoin d’une plateforme spécifique. Comme je dis souvent, tu ne vends pas des bijoux dans une grande surface. Donc tu ne vas pas aller vendre un film inconnu et plus cher que les autres (parce que c’est quand même ça le e-cinéma) à côté de Camping ou Iron Man. Le public traditionnel de la VOD est à moins de deux séances par mois, et ce sont des consommations souvent populaires. Ce ne sont pas ces plateformes là qui vont pouvoir vendre les films que l’on propose. Mais je les comprends aussi. Quand sur ta page d’accueil, tu proposes six films, dont un drame mexicain à petit budget et le dernier blockbuster américain, tu sais lequel sera le plus vu. Et donc ton drame mexicain finit sur la deuxième, troisième, cinquième page de ton catalogue, et personne ne le voit. C’est vraiment une question de véhicule. Si on veut diffuser ces pépites pour la première fois, il faut leur réserver une expérience qui leur soit dédiée. On ne peut pas se baser sur des plans marketing de fou en achetant de l’espace pub, mais on promet à ceux qui viennent dans notre cinéma en ligne des inédits recommandés, que d’autres se sont pris en pleine gueule. D’ailleurs, on voit que notre public a pour principal prescripteur les réseaux sociaux. Ils ne lisent pas forcément les critiques presse, ils ne regardent pas les bandes-annonces. Ils ont juste identifié une ou deux personnes dans leur entourage qui ont potentiellement les mêmes goûts qu’eux, et ils leur font confiance les yeux fermés. C’est la meilleure pub qu’on peut avoir.

Je trouve intéressante l’idée du « cinéma en ligne », parce qu’on pourrait penser que l’expérience digitale est éloignée de celle de la salle, mais toi, tu cherches à la recréer.

E.M. : Oui, on aime bien l’idée de sorties hebdomadaires le mercredi, avec un petit panel de films offert au public. On essaie au maximum de reproduire l’expérience de la salle, même s’il y a une chose qu’on peut favoriser sans jamais vraiment la reprendre : l’expérience collective. Mais heureusement que la salle peut garder cette spécificité.

Certains trouvent qu’Internet met à mal la cinéphilie à cause de sa trop grande variété de films disponibles. On prendrait moins de temps à apprécier une œuvre parce qu’on l’a choisie au milieu de beaucoup d’autres, sans nécessairement avoir trifouiller une cinémathèque pour la trouver. Qu’en penses-tu ?

E.M. : C’est marrant que tu me parles de ça parce qu’avec Outbuster, on a cette démarche de défrichage dans les réseaux, dans les festivals, dans les line-ups des vendeurs. Et je pense que les gens au sein des communautés font aussi ce travail. Après, pour moi qui ai passé beaucoup de temps au début du projet à chercher des films, c’est très chronophage. Être cinéphile est chronophage. Avant de trouver la pépite, il faut te taper un paquet de bouses. Avec Outbuster, on dit aussi que ce travail est déjà fait. Mais pour répondre à ta question, je vais évidemment prêché pour Internet. En deux clics, on peut trouver n’importe quelle filmographie. Il y a d’avantage d’infos, donc pour moi ça nourrit la cinéphilie. La qualité, c’est le volume d’informations et la rapidité d’accès, le travers c’est le foisonnement et la perte d’attention. Personnellement, je privilégie la diversité de l’information. Quand je disais que le public est atomisé, c’est parce qu’il s’est divisé dans des communautés pensées selon un genre, une nationalité, des éléments de cinéma hyper-spécifiques. Si tu es fan de cinéma asiatique ou de gore, tu sais où aller. Quand tu sais ce que tu veux, tu ne te perds pas sur Internet.

Tu espères quoi pour l’avenir d’Outbuster ?

E.M. : J’espère déjà qu’il trouve son public, pour s’élargir à une audience pas forcément cinéphile et lui prouver que le cinéma n’est pas qu’en salle. Ensuite, on aimerait améliorer notre distribution, sur les réseaux et à l’international. Le constat de la frustration d’une partie du public devant la proposition des réseaux traditionnels, elle existe partout ailleurs. Par exemple, en Allemagne, il y a plein de gens frustrés parce qu’ils ne voient que des blockbusters américains. Donc on voudrait développer Outbuster dans d’autres pays, ainsi que la dimension sociale dont on parlait plus tôt.

Propos recueillis par le Cinéphile Cinévore.

Pour voir le site Outbuster, c’est par ici.

Pour leur crowdfunding, c’est par .