Midnight Special, ou la cavale incandescente.

Midnight Special, ou la cavale incandescente.

Midnight Special est sorti le 16 Mars dernier, enfin ! Le film a souffert de quelques retards lors du montage repoussant ainsi sa sortie, initialement prévue pour le 25 Novembre 2015, de quelques mois. Jeff Nichols nous revient en s'essayant à la science-fiction, lui qui nous avait déjà régalés par le drame avec le récent et le plus ancien Shotgun Stories, mais aussi par le thriller psychologique avec Take Shelter. Le dernier-né du réalisateur américain narre la fuite d'un père, Roy, ayant enlevé son fils, Alton, des mains de fanatiques religieux pour lui permettre d'accomplir son étrange destin. Car Alton n'a rien d'un enfant ordinaire : ses dons lumineux et particuliers font de lui un être différent de nous. Poursuivi par les membres de la secte qui voient en l'enfant un sauveur mais aussi par le gouvernement qui voit en lui une menace, Roy devra tout sacrifier s'il veut libérer son fils. Avec le réalisateur persévère dans ses thématiques favorites : enfance, paternité, chronique familiale et croyance. Autant de thèmes qui lui valent d'être comparé à Steven Spielberg. Certes, on peut voir dans le travail de chacun des affinités thématiques et de genre et pourtant j'ose penser que leurs démarches ne se ressemblent en rien. Là où Spielberg joue la carte du spectaculaire et de l'explicite, Nichols privilégie une voie plus ésotérique, celle de la suggestion et du mystère. De son propre aveu, il ne souhaite pas mâcher le travail au spectateur mais préfère lui laisser autant d'espace que possible pour exercer son imagination. C'est chose faite avec cette errance réalistico-fantastique dans laquelle le spectateur prend plaisir à se perdre et à deviser sur les tenants et aboutissants de l'intrigue. Pour cette quatrième réalisation Nichols retrouve son acteur fétiche, Michael Shannon, ainsi qu'une brochette de très bons acteurs : Kirsten Dunst, Sam Sheppard, Joel Edgerton et Adam Driver. Et sans oublier Jaeden Lieberher, le jeune acteur de treize ans qui livre une prestation impeccable et qu'on a déjà pu voir dans aux côtés d'un Bill Murray irrésistiblement odieux. En résumé, un très bon casting sans aucune fausse note.

Également, quel plaisir de renouer avec une SF vintage métaphorique et philosophique, à l'inverse des productions contemporaines dispensant presque gratuitement leurs effets démonstratifs et leurs intrigues téléphonées. Ici tout est subtil et suggéré, laissé à la libre appréciation du spectateur. A tel point qu'une des dernières séquences du film m'a paru presque trop démonstrative par rapport à ce que le réalisateur m'avait habituée depuis la séquence d'introduction. Il faut dire que Jeff Nichols n'a pas son pareil quand il s'agit d'induire une ambiance incroyablement immersive et lourde avec une paire de lunettes de piscine, une Cadillac rafistolée et des acteurs en costumes de mormons. Le fantastique naît déjà dans les décors, les accessoires et les costumes. Les effets spéciaux viennent par la suite renforcer et sublimer un dispositif plus simple et déjà éprouvé. Le spectateur jouit du délicieux -et trop rare- sentiment de ne pas être pris par la main, de ne pas être traîné par le réalisateur à travers la narration. En dépit du changement de genre, Nichols a su rester fidèle à lui-même et à ses obsessions. On retrouve son goût prononcé pour la nature, qu'elle soit source d'étonnement comme dans ou bien de frayeur comme dans Take Shelter. Mais également ses inquiétudes ontologiques de jeune papa, d'homme marié au quant au rôle d'accompagnant d'un être en formation. Et puis ses influences acquises des réalisateurs des années 80 dont nous parlions un peu plus tôt : Spielberg, Carpenter, Jack Arnold. C'est donc un pari vraiment risqué que l'auteur a su transformer en essai gagnant : faire un film relativement auteuriste avec des moyens plutôt élevés. Habitué du milieu de la production indépendante, est pour le moment le plus gros projet que le réalisateur ait eu à porter jusqu'alors, avec 19 millions de dollars de budget et un contrat avec la Warner Bros, une association qui aurait pu ruiner les desiderata du réalisateur. Il n'en est rien. C'est bien simple, Jeff Nichols pourrait me faire avaler n'importe quoi, et s'il s'agit de science-fiction c'est encore mieux ! Je ne saurais que trop vous encourager à voir Midnight Special en salle. Allez-y l'esprit ouvert et sans vous renseigner au préalable, laissez-vous simplement embarquer.