Le conformiste


Le conformisteTrintignant inquiétant
Adaptation du roman éponyme d’Alberto Moravia publié en 1951, Le Conformiste développe un enjeu qui a sérieusement de quoi inquiéter sur le papier : expliquer, voire justifier, les ressors psychologiques qui ont conduit un jeune homme à devenir un fidèle serviteur du régime fasciste de Mussolini. En effet, tout dans la vie de Marcello Clerici (interprété de manière glaçante par Jean-Louis Trintignant) trouverait sa racine dans de multiples traumatismes d’enfance qui ont fait naître en lui un profond sentiment de culpabilité et d’anormalité : l’humiliation publique par un groupe d’enfants sous le regard passif de leurs parents, le viol par un jeune chauffeur de maître au physique androgyne, le meurtre de ce dernier dans une tentative désespérée de lui échapper, etc. En résulte un comportement d’une froideur implacable : devenu adulte, Marcello n’éprouve d’empathie pour personne et cultive sa médiocrité dans l’objectif de ne jamais se distinguer de la masse. Pour cela, il épouse une jeune et jolie écervelée, incapable d’exercer le moindre jugement ou de poser des questions sur ses engagements politiques.En dépit de ce programme extrêmement chargé, la réussite du Conformistetient du fait que Bertolucci fait de son personnage un monstre énigmatique aux contours indéfinissables. Plutôt que de s’en tenir à un discours clair et explicatif sur les raisons de son adhésion au fascisme, le scénario fait la démonstration d’un Marcello qui ne semble jamais s’appartenir à lui-même, devenu par la force des choses le pur produit de son époque (sans pour autant que le réalisateur n’excuse ou ne minore ses engagements). Dans les scènes qui attestent de son ascension au sein du parti, l’homme donne le sentiment de vouloir se fondre dans le décor, s’assimiler à la norme dominante et en aucun cas à en tirer la moindre reconnaissance publique. Plutôt que de s’en tenir à une reconstitution appliquée des années 1930 et 1940 (loin de l’esthétique « livre d’histoire » qui cherche plus à meubler le cadre qu’à soutenir un propos), la mise en scène exploite pleinement l’architecture fasciste, partie intégrante du régime de Mussolini. Toutes en lignes horizontales et verticales ou en angles droits, les pièces des bâtiments officiels où est reçu Marcello attestent de l’implacable dureté et froideur d’un régime où l’affect et le sentiment n’ont plus leur place.
Constant dans son parti-pris, le récit du Conformiste colle au plus près de son personnage et entrevoit les rebondissements de l’Histoire par le prisme de son regard. On pourra bien entendu faire la fine bouche lorsqu’à la suite de la chute de Mussolini, Marcello comprend qu’une des choses dont il se rendait coupable depuis son enfance était erronée : par là, on a le sentiment que l’adhésion de notre anti-héros au régime fasciste pourrait relever d’un triste malentendu trahissant la totale méconnaissance que l’homme avait de lui-même. Il serait cependant dommage de réduire toute la portée du film à cette résolution un brin facile qui ne nettoie pas pour autant le personnage de sa lourde ambigüité.
On peut faire le parallèle avec « Le ruban blanc » d’Haneke qui explique aussi la montée du nazisme comme une maladie de la petite bourgeoisie… il y adjoint simplement la religion. Si ce n’est que là où certains voient beaucoup d’ambiguïté, j’y vois aussi une complaisance honnête mais dangereuse pour un personnage qui est en fait un vrai salaud… et surtout pour la montée d’idéologies portés aussi par une majorité de gens avec des convictions.
Sorti en 1970
Ma note: 13/20