JE SUIS MORT MAIS J’AI DES AMIS : rencontre avec Guillaume et Stéphane Malandrin

Ils sont frères et réalisent ensemble. Pour leur première comédie, Je suis mort mais j’ai des amis, Guillaume et Stéphane Malandrin se lancent dans un road movie joyeusement absurde, en suivant les déboires d’une bande de rockeurs partie en tournée aux États-Unis après le décès du chanteur de leur groupe. Entretien avec ces deux êtres connectés.

interview frères Malandrin

Vous êtes deux frères réalisateurs. Comment vous vous séparez le travail sur le plateau ?

Guillaume Malandrin : On ne se sépare pas vraiment le travail. On travaille ensemble. Parfois Stéphane est un peu plus avec les comédiens sur la préparation du plan et moi plus sur l’organisation technique, mais on se concerte tout le temps.

Stéphane Malandrin : On habite tous les deux à Bruxelles, quasiment dans la même rue. On se voit tous les jours, on parle tous les jours de notre film, et comme c’est un processus très long, on est d’accord en arrivant sur le plateau. Après, il y a les solutions pratiques à trouver sur le moment, mais en général, les solutions de l’un contentent l’autre. Sinon, on essaie de ne pas semer la zizanie auprès de nos comédiens en ne se contredisant pas.

Comment vous est venue l’idée du scénario ?

S.M : En sortant de notre précédent film, Où est la main de l’homme sans tête, qui est un thriller un peu noir et psychanalytique, où les chronologies se mélangent, on avait envie de faire un film linéaire, solaire. Bref, une comédie. On avait envie de parler de nos amis, de personnes que l’on connaît qui ressemblent un peu à nos personnages. Ça a été notre première source d’inspiration pour l’écriture.

G.M. : Oui, c’est ça. Après, l’histoire est assez compliqué, donc ça a été une longue réflexion.

S.M. : Oui, une fois que tu t’es dit que tu veux faire une comédie, il faut savoir quelle comédie. Nous, ce qui nous amusait, c’était de faire une comédie où tout ce que les personnages entreprennent rate. Systématiquement, de la première scène à la dernière, ils sont toujours empêchés de faire ce qu’ils veulent par les circonstances. Toutes les promesses qui sont posées ne sont jamais tenues.

Je trouve qu’il y a une forte caractérisation des personnages, qui crée une empathie immédiate. Comment s’est déroulée leur écriture ?

G.M. : Déjà, on a choisi des physiques qui sont caractéristiques. Il y a un gros, un maigre. Les corps jouent beaucoup. Pour les batteurs, on a pris un grand et un petit. Il n’y a que le chanteur qui est moins caractérisé, mais comme on parle beaucoup de lui, on l’imagine plus qu’on ne le voit.

S.M. : La caractérisation, c’est quelque chose qui se fait beaucoup à l’image. Quand tu lis un scénario, les prénoms se mélangent. Mais dès que tu entends quelqu’un parler et que tu le vois bouger, tu sais qui est qui. Et puis, la nature des personnages est différente, mais pour cela il faut voir le film.

On sent une véritable recherche dans l’humour et un mélange des genres, qui va du « film de potes » au road movie. Comment se sont-ils déterminés ?

G.M. : En fait, c’est un mélange de genres d’humour et de comédies. Il y a le burlesque, du comique de situation, de parole. Il y a aussi un peu de comédie sentimentale, et même un peu de potache.

S.M. : Mais moi, je ne comprends pas vraiment l’expression « film de potes ». Ça veut dire quoi, un film sur l’amitié ?

Oui… et qui s’apparente souvent au buddy movie.

S.M. : Alors, oui, le buddy movie est important pour nous. Quand on a réfléchi, on est revenu à Laurel et Hardy ou aux films de Gérard Oury, pour voir comment c’était fabriqué. Des choses simples qui viennent aussi de la tradition du cirque ; des clowns en fait. Le buddy movie, c’était sous les chapiteaux. C’est le clown blanc et l’auguste qui ne s’entendent pas et qui essayent de faire quelque chose en commun. Ça ne marche jamais et c’est ça qui est drôle, parce que tout part en sucette. Cette histoire de clowns nous a un peu obsédée…

G.M. : C’est pas vrai ça… (sourire)

S.M. : De quoi ?

G.M. : Bah, on n’a jamais parlé de clowns pendant l’écriture du scénario.

S.M. : Non, mais on l’a découvert en écrivant quand même. Quand on était en préparation, le fait d’habiller Yvan en blanc, par exemple, nous a rappelé le clown blanc.

G.M. : Oui, c’est vrai. Après, le but du buddy movie, c’est de montrer deux personnes qui ne se supportent pas devenir amis. Nous, c’est un peu plus compliqué parce qu’il y a trois personnages. Et ce n’était pas notre truc de se dire que l’aviateur va devenir rockeur, et qu’Yvan va devenir un peu plus copain avec le militaire. Du coup, la triangulation et l’articulation entre les protagonistes est un peu plus complexe que celle d’un buddy movie classique.

Justement, par rapport à ce personnage du militaire (incarné par Lyes Salem, ndlr), pourquoi cette introduction à travers lui du thème de l’homosexualité et du fait de s’assumer ? Pourquoi avoir choisi de traiter ce thème, et surtout comme un détail ?

G.M. : Déjà parce que c’était amusant que ce vieux punk, qui chante avec ses amis depuis très longtemps, ne leur en ait jamais parlé. Pour eux c’est un grand bond dans une altérité différente. Même ce que qui est très identitaire n’est pas si clairement défini en fait. L’homosexualité en soit, on s’en fout.

S.M. : Ce qui nous plaisait, c’était de ne pas stigmatiser ce personnage parce qu’il est homosexuel, de ne pas le stigmatiser parce qu’il est arabe. La seule stigmatisation qu’on se soit permis, c’est qu’il soit militaire. Ça nous intéressait de ne rien faire de ses minorités. On n’arrête pas de cliver la société, de mettre tout le monde dans des petites cases. Nous, on voulait un peu embrouiller tout ça.

G.M. : Même les personnages s’en foutent en fait. Ce qui les fait chier, c’est de ne pas l’avoir su. C’est un rapport humain avec la personne décédée. Ils se demandent pourquoi leur copain ne leur a rien dit.

Je trouve que votre film a une belle approche du deuil. A un moment, Yvan s’énerve et dit que le deuil n’est qu’un « outil du capitalisme ». Est-que vous pensez justement que le deuil doit s’affranchir des conventions sociales ?

G.M. : Nous, on pense que notre société n’arrête pas de nous demander de faire le deuil de tout. De nos parents morts, mais aussi de notre voiture qu’on rend. On peut changer d’appartement, de maison, de coiffure, mais au bout d’un moment c’est faux. Je pense qu’on a le droit de garder dans notre cœur notre tata morte qu’on aimait. On n’a pas envie d’oublier, de passer à autre chose. C’est un mensonge de dire qu’il faut le faire. L’être humain a droit de garder une tristesse et de vivre avec sans que ce soit une maladie. Il n’a pas forcément besoin de voir un psy et de prendre du prozac pour se soigner de la disparition d’un être proche. Ça j’en suis convaincu.

S.M. : En même temps, c’est compliqué. Yvan est contre, mais sa façon d’être contre n’est pas positive. Tu peux être contre comme Wim, l’autre rockeur. Il vit le deuil de façon beaucoup plus simple.

Pour un road movie, j’ai été étonné de voir que vous ne cherchiez pas forcément à mettre en valeur la beauté de vos décors, ou alors par pur aspect pratique, quand un personnage découvre ce décor. Pourquoi ce parti-pris ?

G.M. : On ne voulait pas trop être dans la contemplation. On avait décidé d’être dans le registre de l’humour, et donc c’est plus de l’action. Le voyage est là, mais on ne s’appuie pas sur une contemplation. On a hésité bien sûr, parce que c’est tentant de montrer des beaux travellings. Mais on a essayé de ne pas trop en mettre.

Pour la suite, est-ce que vous avez envie de revenir à la comédie ?

G.M. : On aimerait bien, mais on ne sait pas encore ce qu’on va faire.

L’expérience vous a plu ?

S.M. : Ah oui, on a adoré ! Réfléchir aux gags à l’écriture et à l’invention du gag sur le plateau et au montage, ce sont des questions intéressantes. Il est finalement plus facile de faire peur ou d’inquiéter que de créer quelque chose de drôle. C’est complètement ineffable le rire. (hésitation) Voilà, c’est dans l’air, c’est invisible.

Merci au cinéma Omnia République et à Hervé Aguillard pour avoir permis cet entretien.