A Most Violent Year (2014)

A Most Violent Year 1

Jeux de pouvoir.

Abel Morales est le nouveau roi du pétrole à New York. À la sueur de son front, il a bâti son empire, de ses propres mains, par son travail et sa détermination, sans devoir rendre de compte à personne d’autre qu’à lui-même. Abel est une légende, comme la grande Amérique les adore, charismatique, pure, conquérante, biblique, filmée comme une idole de bronze en haut de son podium de marbre. Mais le marché du fioul s’embrase, les agressions et les vols se multiplient, et l’entreprise, sur le point d’étendre sa zone d’influence, est mise en échec par une enquête judiciaire. Le colosse découvre alors ses pieds d’argile. Sa confiance et son honnêteté se mue en impuissance face au défi de son temps, conduisant son avenir vers une dangereuse impasse. Cependant, ce n’est pas cette glace et cette neige, recouvrant le cadre magnifique composé par Bradford Young, qui immobilise notre parrain dans ses déplacements. Cette nasse dans laquelle il sombre, elle est tendue par ces pièces dont il a négligemment omis l’autorité au sein de son propre échiquier. C’est là toute la cohérence du cinéma de J.C. Chandor. Son monde est ainsi organisé par une logique de pouvoir, composé de rois, de valets et de pions, négociants leur survie, contre les vents et les marées de la politique, de la justice, et de la finance. Cet ordre, il nous l’avait déjà décrit lorsqu’il pointa son objectif sur la dérive du continent boursier dans le passionnant Margin Call. Mais les requins ne se contentant pas d’ébrouer leurs ailerons dans leurs aquariums de verre et d’acier, ils écument également les artères goudronnées des downtowns, administrant leurs business sur le dos du prolétariat, condamné à s’armer pour survivre. Ça sent la violence, la chair et le sang, mais cela reste du cinéma « lounge », du suspens coquet, comme un air de Marvin Gaye, doux et sensuel. La poudre et les lames parle moins ici que les personnages et les décors, mais leurs esthétiques, aux couleurs passées, nous font revenir à l’heure des grands polars de la fin du siècle dernier. Chandor aime les belles images, les beaux dialogues et mettre en valeur le talent de ses comédiens. Oscar Isaac livre devant sa caméra une prestation brillante, au même titre que sa partenaire, la magnifique Jessica Chastain, qui parvient sans mal à insuffler de l’intérêt à un rôle qui en était pourtant dépourvu, et son opposant, le futur King de Selma, l’excellent David Oyelowo. Mais ce qu’il aime par dessus tout, c’est jouer le jeu d’une forme faussement modeste. En de nombreuses occasions, A Most Violent Year échappe à sa propre simplicité par des conflits insolubles, un récit abstrait et des psychologies flottantes. Il nous rappelle le cinéma de Michael Mann en cherchant constamment à traduire la violence dans ce qu’elle a moralement et socialement de plus anarchique. Le cinéaste n’a de cesse ainsi de prendre à revers nos attentes, se refusant à nous présenter les choses d’un point de vue platement générique pour nous donner à voir un exercice à la simplicité vertigineuse que d’aucun considère comme un vulgaire artifice d’intelo. (4/5)

A Most Violent Year 2

A Most Violent Year (États-Unis, 2014). Durée : 2h05. Réalisateur : J.C. Chandor. Scénario : J.C. Chandor. Image : Bradford Young. Montage : Ron Patane. Musique : Alex Ebert. Distribution : Oscar Isaac (Abel Morales), Jessica Chastain (Anna Morales), David Oyelowo (le procureur Lawrence), Albert Brooks (Andrew Walsh), Alessandro Nivola (Peter Forente).