[INTERVIEW] Sofian El Fani, directeur de la photo de Timbuktu

Par Tempscritiques @tournezcoupez

Tandis que Timbuktu poursuit son parcours dans les salles françaises, nous nous sommes entretenu brièvement avec Sofian El Fani, le directeur photo du film. Il nous explique les consistances de son métier, et son travail sur le film d’Abderrahmane Sissako.

 

Sofian El Fani

LTC : Pour commencer, quel est au juste le rôle du directeur de la photo sur le tournage d’un film ?

Sofian El Fani : En tant que directeur photo, on est responsable du rendu final de l’image du film. On doit essayer de traduire les intentions du réalisateur en images, que ce soit par la lumière, le choix des cadrages, etc. Après l’intervention peut différer selon le réalisateur. Il y en a qui arrivent avec des intentions précises au niveau du cadrage ou de l’éclairage, et on doit composer avec. Sinon on doit essayer de proposer des choses en fonction de ce que raconte le réalisateur ou ce que peut nous évoquer le sujet du film. Tout dépend des projets et des réalisateurs.

Pour résumer grossièrement, le directeur de la photo serait celui qui tient la caméra ?

Le directeur photo met en fait en images le film. Mais il  y a des directeurs photos qui ne tiennent pas forcément la caméra, et qui s’occupent seulement de diriger des cadreurs ou son équipe technique pour ce qui concerne l’éclairage du film. Personnellement, je cadre moi-même, mais il y en a d’autres qui ne le font pas.

Sur un tournage, le matériel est fourni par la production ou bien le directeur photo possède le sien ?

Non ! En général ce sont de grosses boîtes de location de matériel cinématographique. On travaille avec du matériel qui coûte plusieurs centaines de milliers d’euros.

Mais vous choisissez quel matériel louer ?

Oui, en fonction du budget et des besoins de chaque film, il y a une liste qui se fait au préalable. On peut choisir les caméras, les optiques, les formats d’enregistrement, le matériel électrique et de machinerie pour les mouvements de caméra, etc.

Quelles sont les qualités requises d’un directeur de la photo ?

Je pense qu’il faut être assez souple pour pouvoir s’adapter à la façon de travailler de chaque réalisateur, et de pouvoir l’accompagner au mieux en étant à l’écoute de ses intentions. Il faut être sensible par rapport à ce qui se passe sur le plateau par rapport au jeu des comédiens. Et il faut être aussi patient.

Vous avez déjà travaillé avec Abdellatif Kechiche. Là, c’était votre première collaboration avec Abderrahmane Sissako. Comment l’avez-vous rencontré ?

On s’était croisé au festival de cinéma à Carthage, en Tunisie. Il y était venu assez souvent auparavant donc je le connaissais un petit peu et j’avais déjà vu ses films. On s’est rencontré là-bas et on s’est aperçu qu’on avait des amis en commun. Et il me semble qu’il avait déjà rencontré Abdellatif Kechiche, et ce dernier lui avait parlé de moi.

Comment s’est passée votre travail sous la directive d’Abderrahmane Sissako ?

On avait beaucoup parlé avant le film donc j’étais déjà imprégné de l’histoire qu’il voulait raconter, et de la manière dont il voulait le faire. Bien sûr, il y avait des propositions de ma part mais elles se faisaient en accord avec sa façon de voir le film. Je pouvais proposer des choses, mais il fallait que ça lui plaise au final. Abderrahmane est quelqu’un de très patient et de très diplomate. Il prend le temps d’expliquer les choses et de mettre les gens dans une certaine ambiance pour qu’elles soient dans les meilleures dispositions pour participer à la création du film. On avait la chance d’être dans un décor magnifique pendant presque un mois, et on avait la chance de pouvoir choisir de tourner telle ou telle scène par rapport au plan de travail, de la modifier suivant les jours ou d’en rajouter.  Très souvent Abderrahmane m’appelait en fin de journée pour prendre un thé et discuter des nouvelles idées qu’il avait eues, des évolutions du scénario par rapport au tournage et aux comédiens qu’on avait sur place. Et on en discutait. Même si j’avais des propositions, elles étaient en accord avec ses envies. C’était assez simple, ça marchait très bien et il y avait une très bonne ambiance. Ça tient beaucoup à la nature d’Abderrahmane qui est très calme, qui a des idées assez précises et qui sait ce qu’il veut faire. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais il parvient à les suggérer sans les dire. On a presque vécu en famille pendant plusieurs semaines. Au bout d’un moment on était vraiment très proche.

Où avez-vous tourné le film ?

Vu la situation à l’époque, c’était un peu risqué d’emmener une équipe française dans le nord Mali. Il fallait trouver en Mauritanie une ville qui puisse se rapprocher au maximum de Tombouctou. Il y en avait une prévue au départ, mais finalement ce n’est pas dans celle-ci qu’on a tourné. Et il m’a emmené dans une autre ville, un peu plus loin. C’était celle où était né son grand-père et il avait des amis là-bas. Quand je suis arrivé dans cette ville, ça été un coup de foudre. Je pense qu’il voulait absolument tourner à cet endroit-là, mais il ne voulait pas me le dire et voir quelle allait être ma réaction par rapport à la ville. On a un peu triché pour qu’elle puisse ressembler un peu plus à Tombouctou, et je pense que ça a plutôt bien marché. Puis on devait tourner quelques plans avec une équipe très réduite à Tombouctou, mais pour des raisons de sécurité on n’a pas pu y aller. Finalement, Abderrahmane y est allé un mois après, tout seul, avec une petite caméra, presque en caméra cachée, pour prendre quelques plans de la ville afin de raccorder avec nos images et tenter de donner une meilleure impression de la ville.

Il y a une scène marquante sur le plan photographique dans Timbuktu, c’est la scène du lac. Pouvez-vous nous parler de la composition de ces images ?

On voulait tourner ça en fin d’après-midi pour respecter le temps narratif du film, mais aussi parce que la lumière était plus belle à ce moment-là. On a commencé à tourner les premières prises. Et il y avait un décor devant lequel on passait tous les soirs. Je l’avais gardé en mémoire. Je voulais le montrer à Abderrahmane et je lui ai proposé de faire un plan large. J’avais l’impression que ça pouvait être très parlant de montrer cette action violente de loin. Et finalement il a vu le plan, ça lui a beaucoup plu et on a tourné la scène en une ou deux prises. Nous avons pris du plaisir à le faire.

Comment compose-t-on une image ? Est-ce que vous pouvez nous parler davantage de ce processus de composition ?

Il y a une question esthétique mais il y a aussi une question pratique qui impose un choix en fonction du lieu par exemple. Parfois on sent aussi que telle chose correspond mieux qu’une autre et ça ne s’explique pas vraiment. Mais chaque personne a sa manière de travailler et de voir, et c’est là que le travail du réalisateur est important. C’est lui le chef d’orchestre. Si l’image ne lui convient pas, il me le fait savoir et je cherche autre chose à moins qu’il n’ait des directions plus précises. En tant que chef opérateur, il faut être au plus proche du regard du réalisateur.

Vous avez travaillé également sur La vie d’Adèle, qui était en compétition à Cannes l’an passé et qui en est ressorti loué. Cette année, Timbuktu était pressenti pour la palme d’or mais repart hélas bredouille. Vous ne croulez pas sous les propositions avec ce succès ?

Non pas tant que ça ! J’ai des propositions, en effet. Mais après je choisis ce qui me parle le plus.

Comment justement choisissez-vous les films sur lesquels travailler ?

Ça dépend si je rencontre le réalisateur d’abord, ou si je lis le scénario en premier. Si c’est le scénario j’essaie de voir ce qui me touche, et si c’est conforme à ma façon de voir la vie et le cinéma. Mais ça tient beaucoup à la rencontre avec le réalisateur. Le scénario n’est qu’une base de travail. C’est au niveau humain que ça se passe. S’il y a une complicité avec un réalisateur, c’est toujours excitant.

Comment sentiez-vous le sujet qu’aborde Timbuktu, et qui est d’ailleurs un sujet brûlant et d’actualité ?

Je suis à moitié tunisien et à moitié français. Je vis en Tunisie et donc forcément je suis touché par ce sujet. Il est important pour moi. Je suis pour un cinéma engagé, et le scénario m’a donc tout de suite interpelé, d’autant plus que je connaissais déjà le travail d’Abderrahmane.

Des films que vous admirez pour leur côté visuel ?

C’est une question difficile et j’ai toujours du mal à répondre. J’aime tant de films différents et où la photographie est différente à chaque fois.  J’aime à la fois les films de Kubrick, des frères Coen, de Claire Denis. J’aime beaucoup le travail d’Agnès Godard [chef opératrice de la plupart des films de Claire Denis, ndlr].

D’autres projets pour l’avenir ?

Oui, mais je préfère ne pas en parler tant qu’on n’a pas vraiment commencé la préparation.