Critique : Night Call (2014)

Night Call 1

Wild show must go on.

Sous les éclats de phosphore ornant la voûte céleste de cette cité des anges tant de fois magnifiée sur grand écran, Louis Bloom débusque les crimes crapuleux, les accidents de la circulation et les incendies pour en voler quelques spectaculaires fragments qu’il jette ensuite en pâture aux pages d’informations des chaînes télévisées. Gambillant ses bardes de séquences chocs à l’ombre d’une salle de montage, il vient satisfaire l’appétit des spectateurs venus se gargariser d’images semblables à celles d’une « femme courant dans la rue la gorge tranchée » et rallonger l’espérance de vie d’une directrice de programmation en perte de vitesse. « There Will Be Blood« , comme dirait l’autre. Dan Gilroy, auteur et réalisateur de ce Night Call (traduction française bien opportuniste face à la popularité toujours vivace de Drive), tente ainsi de créer le malaise par le reflet qu’il produit d’une profession qui se souhaite secrètement de voir un filmeur sans scrupule franchir le pas de leur porte pour en abattre, à bout portant, les derniers garde-fous. Crépitant dans la somptueuse nuit électrique composée par le chef opérateur Robert Elswitt, ces petites étincelles accusatrices, étouffées à force d’évidence (l’argent, plus fort que le respect de la vie) et d’excès (cette forte propension du personnage principal à franchir impunément les limites de la légalité), parviennent difficilement à créer le brasier tant promis sur le papier. Cependant, là où cet instantané de toutes les chimères enfantées par l’industrie des médias devient particulièrement intéressant à observer, c’est lorsque son metteur en scène cadre, dans l’angle de son boulevard du crépuscule, la honteuse généalogie du show à l’américaine. Son « peeping tom », marionnettiste sociopathe cannibalisé par la performance sous acide de Jake Gyllenhaal, sinistre éclaireur de cette course à l’audience à laquelle se livre les networks américains, réveille ainsi les fantômes du show de l’Ouest sauvage et le spectre de ce brave Sitting Bull, dont la mémoire et le corps, jadis travestis et exploités par l’entreprise foraine de Buffalo Bill Cody, survit aujourd’hui sous la forme d’une icône commerciale désincarnée, timbrée sur l’aile d’un frigidaire. Subtilement, Dan Gilroy diffracte son discours en liant le destin funeste des amérindiens à celle de ces centaines de corps prisonniers du goudron et du verre de cette mégalopole tentaculaire au cœur de laquelle l’humain n’est plus que la matière première d’une réalité en trompe-l’œil, d’une toile peinte émaillée du sourire séduisant de marchands de peur et de feuilletons criminels. À l’éveil de ce discours, Night Call nous apparait désormais plus comme le banal rodéo satirique nocturne, mais comme une virée musicalement foudroyante (la démente élévation christique accompagnant la découverte les rushs d’une scène de crime) et d’une belle intelligence. (3.5/5)

Night Call 2

Nightcrawler (États-Unis, 2014). Durée : 1h57. Réalisateur : Dan Gilroy. Scénariste : Dan Gilroy. Image : Robert Elswitt. Montage : John Gilroy. Musique : James Newton Howard. Distribution : Jake Gyllenhaal (Louis Bloom), Rene Russo (Nina Romina), Riz Ahmed (Rick), Bill Paxton (Joe Lodder).