Quitter la Nuit (2024) de Delphine Girard

Premier long métrage de la cinéaste québeco-belge Delphine Girard qui avait jusqu'ici tourné ses courts métrages "Monstre" (2014), "Caverne" (2017) et surtout "Une Soeur" (2018) nommé à l'Oscar du meilleur court métrage et dont ce nouveau film est un prolongement. A la base l'idée du court est inspiré d'une histoire vraie, une jeune femme qui a pu être sauvé grâce à l'intervention d'une opératrice par téléphone. Mais ensuite la réalisatrice-scénariste a appris que le jeune femme ne s'était pas rendue au procès qui en a découlé : "Ca m'avait beaucoup déstabilisée. On était à la veille du tournage d'Une Soeur et ça a influencé la fin du film, avec l'envie qu'on ne termine pas sur une note complètement rassurante, mais plutôt agitée. Dans les mois qui ont suivi la présentation et les discussions autour d'Une Soeur, la suite de cette histoire continuait de m'habiter. Mais si le cinéma est un bon endroit pour le thriller, l'après-coup de l'action m'intéresse tout autant." Pour le passage au long métrage, la cinéaste a fait appel à nouveau à son trio d'acteurs principaux déjà présents sur le court métrage... 

Une nuit, une jeune femme en danger appelle la police, Anna prend l'appel et grâce à son travail un homme est arrêté. Les semaines passent et la justice continue à chercher les preuves nécessaires à la révélation de la vérité et donc à la condamnation. Le temps passe, et la victime Aly, le mis en cause Dary et l'opératrice Anna ne cesse de ressasser cette nuit, faire face aux échos et aux souvenirs qui les hantent depuis cette nuit-là... L'opératrice Anna est incarnée par Veerle Baetens vue entre autre dans "Alabama Monroe" (2012) de Felix Van Groeningen, "Les Ardennes" (2015) de Robin Pront ou "La Petite" (2023) de Guillaume Nicloux, l'accusé est joué par Guillaume Duhesme aperçu dans "Le Chant du Loup" (2019) de Antonin Baudry, "Tout s'est Bien Passé" (2021) de François Ozon ou "Sentinelle" (2021) de Julien Leclercq, tandis que la victime Aly est jouée par Selma Alaoui vue dans "Le Gamin à Vélo" (2012) des frères Dardennes ou "La Femme la plus Assassinée du Monde" (2017) de Franck Ribière et retrouve après "Vampires" (2010) de Vincent Lannoo sa partenaire Astrid Whettnall aperçue dans "Le Mystère Henri Pick" (2019) de Rémi Bezançon ou "Le Tigre et le Président" (2022) de Jean-Marc Peyrefitte, puis enfin Anne Dorval actrice fétiche de Xavier Dolan dans pas moins de cinq films mais aussi vue dans "Réparer les Vivants" (2016) de Katell Quillévéré ou "Jalouse" (2017) des frères Foenkinos... On pense logiquement et fortement à "The Guilty" (2018) de Gustav Möller et son remake américain (2021) de Antoine Fuqua mais cette fois avec un message féministe très fort bien que maladroit et/ou tangent. Le prologue est fort avec l'appel d'une victime potentielle au numéro Police Secours, où on ressent l'angoisse et le stress l'émotion est à son comble comme un thriller hyper réaliste et immersif. Ensuite on entre dans un scénario à trois niveaux de lecture, l'homme mis en cause, la femme qui se dit victime et la policière opératrice du 101 (équivalent donc du 911 américain ou du 17 français). Une histoire où on va donc suivre durant plus de deux ans l'affaire, l'enquête, mais aussi les traumas tout en ayant au fil du récit des flash-backs jusqu'à la révélation finale dont on attend sans trop de surprise l'issue. Le premier et seul véritable soucis de cohérence et de vraisemblance est le cas de la policière ; en effet quand on connaît le métier et l'affluence importante d'appels on a bien du mal à comprendre ou à croire que cette policière soit si "touchée" si "fragilisée", si "émotive" pour un appel qui reste finalement plutôt classique qui s'intègre complètement dans un quotidien professionnel.

Le pire est son implication future, qui n'a rien de pro. Ou alors il fallait une affaire bien plus tragique et plus sanglante, de celle qui marque une carrière et non pas un "simple" viol qui va s'avérer de surcroît un peu bancal. D'ailleurs à propos... ATTENTION SPOILERS !... une femme qui drague, propose, puis qui devient victime qui veut retirer sa plainte, refuse l'examen médical, n'écoute pas les enquêteurs, ne se présente pas au tribunal... etc... Tout est fait pour nous mettre le doute alors même que c'est cette accumulation de dénis qui nous pousse à déceler la fausse piste tant ce n'est ni subtil sur la forme ni logique sur le fond, sans compter l'alcool qui est un point ici logiquement expliqué par l'avocat "en ces temps où on demande l'égalité il est étonnant que l'alcool est une circonstance aggravante pour l'homme mais une excuse pour la femme" Vu le dossier, juridiquement ça ne tiendrait pas la route et seul l'aveu permet de condamner cet homme dont la seule faute finalement est d'avoir été frustré par une allumeuse ce qu'il ne faut jamais faire. Les hommes doivent désormais subir leur frustration. La dernière scène est en cela malhonnête, SI il sait pourquoi, une allumeuse + alcool + frustration, certe les conséquences ne sont pas normales mais on connaît les raisons !... FIN SPOILERS !... Sur le message et le propos le débat serait sans fin, mais la fausse piste est un choix narratif un peu facile et grossièrement trompeur. Le twist final permet de donner le coup de grâce, sur le message féministe d'abord, mais aussi pour offrir la plus belle scène du film, terrible et déchirante - pauvre maman ! - La dernière scène est plus problématique (lire les spoilers). Le scénario est trop dirigé, ça manque de subtilité dans la narration, le message féministe est militant et donc peu objectif (par exemple tout est montré sauf le baiser final post-agression), mais le film surnage grâce surtout à toutes les dimensions psychologiques. Sur ce point le film est assez juste et passionnant. La policière également même si ça aurait été plus probant et logique pour un crime plus hors norme, la victime entre désarroi, doute, peur ou honte, et enfin l'homme entre déni, honte aussi, culpabilité ou non, lucidité ou regret. Le film est donc maladroit et bancal sur le message et l'écriture mais est pertinent et plein d'acuité sur la psychologique des personnages. Un film qui reste donc à conseiller.

Note :                 

Quitter Nuit (2024) Delphine GirardQuitter Nuit (2024) Delphine Girard

12/20