L'homme au bras d'or

Un grand merci à Éléphant Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « L’homme au bras d’or » de Otto Preminger.

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« On n’a pas le droit de faire du mal à ceux qui nous aiment »

Frankie Machine revient chez lui après un séjour en cure de désintoxication. Après s’être découvert un talent pour les percussions, il rêve de faire carrière, au grand dam de sa femme handicapée, Zosh, qui le veut loin de cette vie de tentation. Mais l’ambition et les fréquentations de Machine le font replonger dans la drogue…

« Le démon, une fois qu’il est en toi, tu ne peux plus le retenir. Tu auras beau lui taper dessus, il attendra toujours son heure caché dans un coin ! »

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Disciple du célèbre homme de théâtre Max Reinhardt, Otto Preminger mène une première carrière de metteur en scène de théâtre au cours des années 20 et 30 à Vienne, dans son Autriche natale. Mais alors que le péril nazi gagne les pays germaniques, il saisit l'opportunité offerte par la 20th Century Fox de partir tenter sa chance à Hollywood. S'il peine d'abord à percer, il s'impose au cours des années 40 dans le registre du film noir dont il signe quelques pièces majeures (« Laura », « Le mystérieux Docteur Korvo », « Mark Dixon détective », « Un si doux visage »). Mais alors que l'Amérique se trouve plus que jamais prisonnière de ses valeurs conservatrices (chasse aux sorcières, racisme renforcé par les prémices des mouvements des droits civiques, code de censure plus que jamais pudibond), le cinéaste s'émancipe et se fait une spécialité des sujets controversés. Comme s’il prenait un malin plaisir à choquer pour mieux réveiller les consciences. Il traitera ainsi de la liberté sexuelle au féminin (« La lune était bleue », « Bonjour tristesse »), revisitera « Carmen » en distribuant les rôles principaux à des acteurs afro-américains pour dénoncer le racisme (« Carmen Jones ») ou encore évoquera les tourments plus profonds de la société américaine à travers des fables politico-judiciaires émaillées de coups bas et de perversion (« Tempête à Washington », « Autopsie d’un meurtre »). En 1955, il adapte ainsi « L’homme au bras d’or » d’après le roman éponyme de Nelson Algren. Un roman dont les droits avaient initialement été achetés par l’acteur John Garfield qui ne put cependant concrétiser le projet de son vivant faute d’homologation du script du fait de la censure. Sa mort prématurée en 1952 permit à Otto Preminger de récupérer les droits et de développer son propre projet. Si Marlon Brando fut un temps envisagé, c’est finalement Frank Sinatra, tout juste oscarisé pour son rôle dans « Tant qu’il y aura des hommes », qui en décrochera le rôle principal.

« Ne viens pas me demander de t’aider. Si tu veux de suicider, jette-toi sous le métro ! »

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« L’homme au bras d’or » aurait pu n’être qu’un drame social de plus, centré sur les bas-fonds des grandes villes américaines de l’après-guerre. Avec leur faune si spécifique de paumés, de losers vivant de petites combines minables et, en haut de la chaine alimentaire, de petits parrains locaux, gangsters sans grande envergure, qui tirent profit de la misère des autres. Mais pourtant, le film de Preminger est remarquable en ce qu’il traite d’un sujet jusqu’alors tabou, à savoir l’addiction à la drogue. Un sujet jusqu’alors intraitable (et non traité) au cinéma puisque proscrit par le très rigide code de censure Hays qui interdit aux studios durant une trentaine d’années d’aborder tous sujets controversés considérés comme étant contraire à la morale américaine (comme le divorce, l’adultère ou toute forme d’atteinte au drapeau ou à la religion). Pendant près de deux heures, on y suit ainsi les tourments de Frankie Machine, jeune drogué fraichement sevré suite à un séjour en prison et qui, en dépit d’une grave rechute, tentera de trouver la rédemption (et sa libération) par l’amour et la musique. Si, dans un souci de compromis visant à franchir le couperet de la censure, Preminger sabre tout le brûlant sous-texte sociologique (dans le livre, l’addiction du héros est lié à un traitement à la morphine suite à une blessure de guerre, impliquant une responsabilité de l’armée et donc de l’Etat), son film conserve néanmoins toute sa force lorsqu’il dépeint avec un réalisme très sombre le sordide de l’existence de ces êtres rongés par un mal plus fort qu’eux. Et notamment lors de la longue et éprouvante séquence du sevrage. En cela, il rend compte à merveille de toute la force et le courage nécessaires pour se sortir de ce mal. Le reste du scénario – que ce soit la dimension policière ou les personnages secondaires mal exploités, comme l’épouse déséquilibrée et manipulatrice du héros – demeure in fine très accessoire et purement décoratif, ne servant qu’à renforcer la dimension sordide du récit. Mené par un Sinatra habité, avantageusement entouré de Kim Novak et d’Eleanor Parker, et porté par son ambiance jazzy, le film étonne par sa modernité. Même s’il faudra attendre les années 70 pour voir le Nouvel Hollywood filmer sans concessions le monde des junkies (« Panique à Niddle Park » puis plus tard « Midnight express »), « L’homme au bras d’or » n’en reste pas moins un film fort et très inconfortable.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master Haute-Définition et proposé en version originale américaine (2.0) ainsi qu’en version française (2.0). Des sous-titres français et anglais sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une présentation signée Eddy Moine (20 min.) ainsi que d’une bande-annonce.

Édité par Éléphant Films, « L’homme au bras d’or » est disponible en combo blu-ray + DVD ainsi qu’en édition DVD simple depuis le 11 juillet 2023 ainsi qu’en édition blu-ray simple depuis le 14 novembre 2023.

Le site Internet d’Éléphant Films est ici. Sa page Facebook est ici.