Madame de Sévigné (2024) de Isabelle Brocard

Nouveau film de Isabelle Brocard après "Ma Compagne de Nuit" (2011) avec un projet qui permet à la cinéaste de poursuivre la thématique du rapport mère-fille. Ayant lu de nombreux livres sur le sujet elle a notamment été interpellé par le livre "Entre mère et fille : un ravage" (2000) de Marie-Magdeleine Lessana : "Elle y revisite le destin de couples mères-filles célèbres - Marlène Dietrich et sa fille, Camille Claudel et sa mère... - et consacre son premier chapitre à Madame de Sévigné et Madame de Grignan avec un discours très à charge contre la première. Ce chapitre m'a tout de suite interpellée : d'abord parce que, contrairement à l'auteur, je trouvais que la mère et la fille alimentaient toutes les deux cette aliénation réciproque ; ensuite, parce que n sautait aux yeux le poids de la difficulté d'être femme dans cette histoire. Les contraintes qui pèsent sur les femmes sont en partie à l'origine de cette relation, et c'est encore le cas aujourd'hui. J'ai eu le désir de parler du présent à travers l'acuité de ce siècle passionnant qu'est le XVIIème siècle sur la question des femmes." Finalement la cinéaste a donc choisi le duo des dames de Sévigné, dont la mère Madame de Sévigné (Tout savoir ICI !) la plus célèbre des épistolière française. Pour écrire son scénario Isabelle Brocard s'est appuyée sur les livres de Roger Duchêne, historien spécialiste de Madame de Sévigné. La réalisatrice-scénariste co-signe son scénario avec Yves Thomas à qui on doit le film "Rendez-Vous avec un Ange" (2009), et co-auteur des films "Saint-Cyr" (2000) et "Paul Sanchez est Revenu" (2018) tous deux de Patricia Mazuy... Milieu du XVIIème siècle, la marquise de Sévigné veut faire de sa fille Françoise une femme brillante et indépendante mais plus elle tente d'avoir une emprise sur le destin de sa fille plus celle-ci semble se rebeller. Si Madame de Sévigné fait tout pour éviter que sa fille devienne une simple courtisane notamment en empêchant qu'elle devienne la maîtresse du roi Louis XIV, mais elle ne peut que se plier au mariage de sa fille avec Monsieur de Grignan... 

Françoise de Grignan est interprétée par Ana Girardot vue dernièrement dans "Cinquième Set" (2020) de Quentin Reynaud, "Ogre" (2021) de Arnaud Malherbe et "La Maison" (2022) de Anissa Bonnefont, tandis que son époux est joué par Cédric Khan, réalisateur des remarqués "Le Procès Goldman" (2023) et "Making Of" (2024) mais aussi acteur dans le récent film historique "Les Secrets de la Princesse de Cadignan" (2023) de et avec Arielle Dombasle. Madame de Sévigné est incarné par Karin Viard vu récemment dans "Wahou !" (2023) de et avec Bruno Podalydès, "Magnificat" (2023) de Virginie Sauveur ou "Nouveau Départ" (2023) de Philippe Lefebvre, et retrouve des années après "Les Enfants du Siècle" (1999) de Diane Kurys son partenaire Robin Renucci vu tout récemment dans un autre film en costume avec "Jeanne du Barry" (2023) de et avec Maïwenn retrouvant ainsi Noémie Lvovsky déjà vue en costume dans "L'Apollonide - Souvenirs de la Maison Close" (2011) de Bertrand Bonello, "Les Adieux à la Reine" (2012) de Benoît Jacquot ou "Un Peuple et son Roi" (2018) de Pierre Schoeller, et retrouvant aussi Laurent Grévill vu auparavant dans "Camille Claudel" (1988) de Bruno Nuytten, "Une Affaire Privée" (2002) de Guillaume Nicloux ou "Un Beau Soleil Intérieur" (2017) de Claire Denis. Citons encore Cyrille Mairesse jeune actrice révélée dans "Les Chatouilles" (2018) de Eric Métayer et Andréa Bescond, Antoine Prud'homme de la Boussinière aperçu dans la série TV "Profilage" (2009-2020), puis Alain Libolt remarqué presque malgré lui dans le chef d'oeuvre "L'Armée des Ombres" (1969) de Jean-Pierre Melville, puis vu plus tard dans "Bernie" (1996) de et avec Albert Dupontel, "Elles" (2012) de Malgorzata Szumowska ou "La Vérité" (2019) de Hirokazu Kore-Eda... Notons que c'est le premier film qui met en avant Madame de Sévigné et ses lettres, le premier qui traite du sujet et qui place l'épistolière dans le rôle principal de son histoire ce qui est en soi un hommage tardif mais nécessaire et salutaire. La réalisatrice cite comme référence les films de Jane Campion dont "Bright Star" (2009) "qui réussit à rendre la littérature si présente. C'était l'un des enjeux de Madame de Sévigné : faire de la littérature un personnage. J'ai visionné beaucoup de films d'époque pour le traitement des décors et des costumes - des films anglo-saxons, surtout. En France, je trouve les films historiques toujours un peu froids à cet égard. On n'a pas envie d'habiter là où vivent les personnages. Les anglo-saxons savent rendre tout plus chaleureux, plus beau, plus riche." Désolé, mais Isabelle Brocard râte son but, son film est très français, son film n'est justement pas chaleureux ou riche, on frôle le "froid" par son austérité mais le beau existe grâce à quelques plans magnifiques digne d'un tableau. 

Mais ce n'est pas non plus une tare ou un défaut, la reconstitution minimaliste reste sincère et authentique, tout à l'époque n'est pas luxe et dorure loin s'en faut. Et outre la reconstitution visuelle historique entre décors et costumes on salue surtout la véracité des faits et le soin apporté à la fidélité historique factuelle. Notamment on savoure les quelques détails autour de Ninon de Lenclos ou Bussy-Rabutin. Mais évidemment on se passionne pour cette relation mère-fille inédite et singulière pour l'époque. Rappelons qu'il était rare qu'il y ait un telle intimité entre mère-fille à l'époque, d'abord parce que la mortalité infantile était importante et/ou ensuite parce que l'enfant était confié à une nourrice. Leur relation était donc dès le départ une chose assez belle car hors des conventions sociales. Ensuite, ces mêmes conventions vont a priori se révéler bien plus difficile à combattre qu'aurait pu l'imaginer madame de Sévigné puisque sa fille va mettre de la distance. La passion maternelle reste forte et omniprésente voir pesante toute sa vie alors que sa fille devenue madame de Grignan va s'épanouir en tant que femme de son époque au grand dam d'une mère qui rêvait pour elle une certaine indépendance qu'on pourrait qualifier (trop) facilement de féministe aujourd'hui mais qui dénote aussi une possessivité certaine. La réalisatrice-scénariste réussit pleinement à monter ces différentes aspects dans leur destin respectif mère-fille. Par contre, si on comprend l'importance de la dimension épistolière de cette relation, et pour la postérité l'importance du témoignage historique, on n'est moins convaincu par la pure littérature, les meilleurs amis de la Sévigné (La Rochefoucault et La Fayette) semble plus probant et légitime sur ce point mais c'est très subjectif. Néanmoins, les deux actrices sont parfaites, une jolie osmose au service d'une relation plus ou moins toxique (c'est selon !) pour un pan d'Histoire sans doute anecdotique mais passionnant. A conseiller malgré le film très français de Isabelle Brocard.

Note :                 

Madame Sévigné (2024) Isabelle BrocardMadame Sévigné (2024) Isabelle Brocard

14/20