[ENTRETIEN] : Entretien avec Kôji Fukada (Love Life)

Par Fuckcinephiles

Copyright 2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS // CHARLY TRIBALLEAU/AFP


C'est à l'occasion d'une visite au cinéma Vendôme de Bruxelles que nous avons pu discuter avec Kôji Fukada. Le réalisateur offre avec Love Life un film absolument poignant sur les relations amoureuses, les différentes notions de pertes et le rapport à l'impromptu dans la vie par le biais d'une tragédie déchirante qui rend ce long-métrage absolument précieux sur grand écran.

C'était la première fois que je l'écoutais et je me suis mis à la réécouter en boucle. Ce morceau est alors devenu ma source d'inspiration pour ce film. - Kôji Fukada

Comment êtes-vous venu avec l'idée de Love Life ?

Kôji Fukada : J'avais écouté une chanson du même nom interprétée par Akiko Yano quand j'avais 20 ans. C'était la première fois que je l'écoutais et je me suis mis à la réécouter en boucle. Ce morceau est alors devenu ma source d'inspiration pour ce film.

Le début du film prend par surprise, faisant croire à quelque chose de plus solaire dans le ton alors même que l'on voit des failles de plus en plus béantes dans la structure familiale. Comment avez-vous abordé ces premières minutes ?

Je voulais insérer plusieurs facteurs différents qui n'auraient rien à voir avec la tragédie qui va arriver. J'ai donc voulu créer cette scène plutôt joyeuse et colorée avec différentes nuances pour rendre le drame plus imprévisible encore afin de montrer qu'il est difficile de prévoir ce qui peut se dérouler dans notre vie. Cette scène m'a alors permis de renforcer cet effet.

Sans en préciser la nature, le drame du film instaure une véritable rupture douloureuse. Comment avez-vous appréhendé cette séquence ?

Je voulais décrire le point de vue du personnage car, avec cette tragédie, il n'y a pas de sens ni de but. Cela arrive juste comme ça. La vie se déroule de cette manière dans la réalité. Je voulais absolument décrire ce genre de point de vue car c'est comme ça que je vois notre existence. Cette tragédie arrive comme cela mais elle a un réel impact sur les gens. Il fallait que les personnages y réagissent de manière différente. La tragédie me permettait alors de dévoiler la nature de chacun. Je voulais voir comment la réaction de ces personnages allait les mener quelque part et qu'à la fin de ce chemin, ils trouvent la solitude. C'était en tout cas mon objectif.

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Il y a une difficulté de communication constante entre les personnages, notamment avec cet ancien amour sourd-muet. Quelle était l'importance pour vous d'aborder cela au sein de votre film ?

Tout au début du scénario, quand j'avais commencé à le rédiger il y a 20 ans, je n'avais pas pensé à cette idée du langage des signes. Cela m'a permis de donner une tension dans le couple vu que le mari ne comprend pas ce que peuvent se dire ces anciens amoureux quand ils signent, ce qui apporte une certaine distance entre eux. En 2018, on a eu un festival de films pour les personnes sourdes-muettes où l'on m'a proposé de diriger un workshop. C'est à ce moment-là que j'ai eu cette idée. J'y ai aussi appris que le langage des signes ne se tient pas comme quelque chose d'universel mais divisé en différentes langues, comme le français ou le japonais. Cela m'a amené quelque chose de riche et de concret, ce rapport à la langue même. Le langage des signes est quelque chose d'assez visuel. Je me disais avant qu'il fallait que je prenne des acteurs qui maîtrisent le signe car, dans ma vie, j'ai toujours connu des personnes qui signaient.

Vous parliez de solitude pour vous personnages. Comment ce rapport à une perte d'amour vous inspire ?

J'aime beaucoup les films d'amour, en particulier les mélodrames. Dans les relations, l'amour contient toujours de la cruauté. Par exemple, une personne doit en choisir une autre comme son amour alors qu'il y a d'autres personnes en même temps qui ne sont pas sélectionnées. C'est ça la cruauté de ces relations. Les histoires d'amour m'inspirent beaucoup et me poussent à créer.

Il y a également un regard de jugement fort de la part de l'extérieur envers la maternité par le personnage de Taeko. De quelle manière avez-vous travaillé cela, notamment avec votre actrice ?

Je voulais décrire une femme japonaise moderne dans notre société plutôt traditionnelle. Quand j'ai écrit mon scénario, le personnage de Taeko était plutôt classique et discrète mais quand j'ai rencontré Fumino Kimura, elle a apporté quelque chose de doux et vif. C'est une femme forte. Il y a donc un écart entre ces deux images que j'ai trouvé super intéressant. Si vous avez trouvé l'image de cette femme très protagoniste et très belle, alors c'est une image qui s'est créée grâce au jeu de mon actrice.

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Le plan le plus beau mais également le plus cruel à mes yeux est cette danse sous la pluie. Comment avez-vous trouvé cette séquence ?

J'avais déjà imaginé lors de l'écriture un certain aspect du plan mais c'est sur le tournage qu'on a eu l'idée de filmer sans cadrer son visage, en mettant la caméra derrière elle. C'est sur place que cela s'est décidé. On a donné quelques orientations niveau timing et cadence de danse mais le reste a été improvisé par Fumino Kimura. J'aime aussi beaucoup cette scène d'ailleurs. Taeko se confronte à elle-même et cela apporte de la beauté et de la tristesse.

En parlant de cela, la fin, sans la dévoiler, n'offre aucune réponse et laisse justement une sensation d'incertitude. Pourquoi cette conclusion et comment l'avez-vous trouvée ?

J'avais déjà décidé d'utiliser cette scène il y a des années. La vie est clairement incertaine. Je me suis posé beaucoup de questions sur ce qui allait se passer après mais c'est à chacun de décider et se faire sa propre idée. Cela dépend de l'expérience des personnes, de là où ils ont vécu, etc. Cette fin amène beaucoup de diversité pour chacun. De ce point de vue, je pense que mon film fonctionne.

Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Tinne Bral d'Imagine films pour l'interview ainsi qu'à la traductrice Rie Abe.