Mort du réalisateur Jacques Rozier

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Nous apprenons ce week-end la mort du réalisateur Jacques Rozier survenue ce 02 juin 2023 à l'âge de 96 ans.

Né en 1926 à Paris et ayant grandit dans le quartier des Batignolles, Jacques Rozier s'intéresse très vite au cinéma jusqu'à s'inscrire à l'IDHEC (ancêtre de la Fémis) où il suit les études en 1948-1949. Il tourne son premier court métrage avec "Une Epine au Pied" (1947). Pour la fin de ses études il part avec ses bobines et une caméra en Provence pour filmer des images qui composeront plus tard son second long métrage.

Il devient assistant-réalisateur à la télévision pour des réalisateurs comme Marcel Bluwal ou Claude Loursais dont la rapidité d'exécution et le savoir-faire technique impressionne le jeune cinéaste. Il effectue un stage sur le tournage du long métrage de cinéma "French Cancan" (1955) de Jean Renoir. Le jeune Jacques Rozier a pu entre temps économiser grâce à son travail à la télévision et décide de terminer et signer son second long métrage "Rentrée des Classes" (1956) que certains considèrent comme le premier film de la Nouvelle Vague ; débat éternel où on peut aussi citer comme précurseur "La Pointe courte" (1954) de Agnès Varda, "Le Coup du Berger" (1956) de Jacques Rivette ou "Le Beau Serge" (1957) de Claude Chabrol. Néanmoins, il réussit à vendre son court métrage, assez pour financer son court "Blue Jeans" (1958) grâce auquel il rencontre un certain Jean-Luc Godard durant le Festival du court métrage de Tours. A l'époque, Godard est encore critique de cinéma et écrit un article titré "Resnais, Varda, Demy et Rozier dominent le Festival de Tours", précisant à propos de "Blue Jeans" : "Le film le plus frais, enfantinement pur, jeune et sympa de ces fades et horriblement sérieuses journées." Ainsi, le court se vend très bien et est diffusé en salles obscures en première partie du film "Oh ! Qué Mambo" (1959) de John Berry.

Ensuite Jean-Luc Godard passe le cap avec le succès culte de "A Bout de Souffle" (1960) ce qui permet à Godard de présenter Jacques Rozier à son producteur Georges de Beauregard. Cette rencontre lance le projet d'un long projet, Jacques Rozier signe alors "Adieu Philippine" (1962). Au départ le réalisateur voulait traiter l'histoire des premiers jours d'appelé dans un régiment mais le sujet était trop risqué en pleine guerre d'Algérie. Finalement il contourne la question sur un triangle amoureux entre un jeune homme et deux amies qui se termine par le départ du garçon pour l'Algérie. Mais le tournage a été cacophonique pour ne pas dire catastrophique avec un tournage difficile dans les montagnes Corses, surtout la perte des dialogues au point qu'il a fallu revoir le film sans parole pour lire sur les lèvres et ainsi reconstituer par écrit les dialogues ! Le producteur ne croit plus au film, et Jacques Rozier a dû réunir la somme avec des amis pour pouvoir racheter les droits du film in extremis pour présenter son film au Festival de Cannes 1962 pour la section Semaine de la Critique où il reçoit un prix. Le film reçoit d'excellentes critiques et sort en salles en 1963. 

Le cinéaste tourne ensuite deux courts métrages documentaires, "Paparazzi" (1963 - ci-dessous) et "Le Parti des Choses" (1963) où il suit en fait la star Brigitte Bardot en marge du tournage du film "Le Mépris" (1963) de Jean-Luc Godard. 

Mais après les mésaventures sur le film "Adieu Philippine" (1962) la réputation de Jacques Rozier en fait "l'enfant terrible de la Nouvelle Vague" et il rencontre de grandes difficultés à financer ses projets. Il signe un documentaire "Cinéastes de notre Temps" (1964), un court avec "Roméos et Jupettes" (1966), mais il doit se résoudre à retourner travailler pour la télévision créant entre autre la série TV "Ni Figue ni Raisin" (1966), ou en réalisant le téléfilm "Vive le Cinéma" (1972).

En parallèle de son court métrage "Les Aoûtiens" (1973) il sort en salles son long métrage "Du Côté d'Orouët" (1973 - ci-dessous) tourné en 1969 sur les vacances de trois jeunes filles et un jeune homme dans une villa. Le film est un échec qui passe quasi inaperçu restant une seule semaine à l'affiche.

Jacques Rozier crée une série avec Pascal Thomas, "Nono Nenesse" (1975) dont le pilote est tourné avec Bernard Ménez et Jacques Villeret mais la série ne sera jamais diffusé. Le pilote sera montré dans une rétrospective au Festival international du film de La Rochelle en 1996 !

La carrière du réalisateur est alors au plus bas, pourtant le producteur Claude Berri lui propose de réaliser une comédie avec Pierre Richard qui est alors champion du box-office après "Le Grand Blond avec une Chaussure Noire" (1972) de Yves Robert. Rozier accepte à condition de ne pas s'occuper du scénario. Le film voit donc le jour, l'histoire d'un agence de voyages dans "Les Naufragés de l'Île de la Tortue" (1976 - ci-dessous), mais manque de chance ou d'organisation, la star Pierre Richard doit quitter le tournage pour rejoindre un autre tournage le futur "La Course à l'Echalotte" (1975) de Claude Zidi. Finalement Rozier doit reprendre le scénario pour le modifier et placer le personnage de Pierre Richard en prison. Le film est un nouvel échec.

Le réalisateur continue donc à travailler pour la télévision. Il revient avec la comédie poétique "Maine Océan" (1986 - ci-dessous) qui lui permet de recevoir le Prix Jean Vigo. Malgré les critiques élogieuses le film ne rencontre pas son public. Il connaîtra une seconde vie en 2007 avec une sortie en salles en version restaurée.

Le cinéaste signe ensuite plusieurs documentaires, en courts métrages ou pour la télévision notamment sur l'opéra baroque avec "L'Opéra du Roi" (1989) ou "Revenez, Plaisirs Exilés" (1991). Il crée la série TV "Joséphine en Tournée" (1990).$

Après une rétrospective sur sa carrière en 1996, il reçoit le prix René Clair en 1997. 

Il revient au cinéma avec "Fifi Martingale" (2001 - ci-dessous), une comédie qui se déroule dans un théâtre mais malheureusement le film ne trouve pas de distributeur. La même année, une nouvelle rétrospective est présentée au centre Pompidou où le public s'aperçoit que l'oeuvre du cinéaste ne se résume pas aux seuls 5 longs métrages de cinéma.

Il prévoit un nouveau film "Le Perroquet Parisien/Le Perroquet Bleu" (2007) qui reste inachevé pour des soucis financiers.  

En 2021 la Cinémathèque Française prévoit une rétrospective intégrale mais le réalisateur annule pour des raisons de désaccords avec l'organisme. La même année, le réalisateur est expulsé de son logement à Neuilly-sur-Seine suite à quoi une pétition est lancée pour aider l'artiste. 

Le réalisateur, souvent saluer pour son talent a sans doute payer une méthode de travail singulière. L'acteur Pierre Richard en a parlé dans un entretien aux Cahiers du Cinéma : "... Jacques finissait toujours les magasins de pellicule et, à la fin de chaque prise, n'entendant pas "couper", on devait meubler les silences, gérer la gêne du moment, Rozier se sert de tout ça. Ce n'est pas la ligne qui l'intéresse, c'est ce qu'il y a entre les lignes, les creux." Le réalisateur appréciait particulièrement les scénarios contraignants ou inachevés, savourait les imprévus de tournage, tandis qu'il n'était nullement intéressé par le processus de "direction d'acteur", il préférait dire qu'il était simplement "réceptif à leur interprétation". 

Jacques Rozier est mort ce vendredi 2 juin 2023 à l'âge de 96 ans après avoir été hospitalisé.