[CRITIQUE] : L'amour et les forêts

Par Fuckcinephiles

Réalisatrice : Valérie Donzelli
Avec : Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Romane Bohringer,…
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Thriller, Drame
Nationalité : Français
Durée : 1h45min
Synopsis :
Ce film est présenté à Cannes Première au Festival de Cannes 2023.

Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux.

Critique :

De l’idylle Rohmérienne jusqu’à la froide angoisse Hitchcockienne, en passant par une parenthèse enchantée dans la forêt, Donzelli fait de sa mise en scène hybride une force pour #LAmourEtLesForêts, qui sonde avec puissance les affres psychologiques de l’emprise. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/z0JU16yPWn

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 25, 2023

Il était une fois deux sœurs, des jumelles, nées sous le signe de la couleur. La pétillante Rose, rose aux joues, rose sur son corsage. La plus discrète Blanche, en proie au doute, presque éteinte après une rupture amoureuse. Toutes deux jouées par Virginie Efira dans le nouveau film de Valérie Donzelli, L’amour et les forêts, Rose et Blanche s’éloignent progressivement de Demy pour plonger dans un cauchemar plus hitchcockien. Ce n’est pas un hasard si Grégoire (Melvil Poupaud), le mari de Blanche, veut l’éloigner de son double. Sans ce reflet d’elle-même, pilier de sa vie depuis toujours, Blanche sombre dans une relation d’emprise psychologique. Elle ne se regarde même plus dans la glace de sa coiffeuse, seul vestige de sa vie bretonne, de sa vie d’avant.

Copyright 2023 RECTANGLE PRODUCTIONS - FRANCE 2 CINÉMA - LES FILMS DE FRANÇOISE


L’emprise dans le couple hétérosexuel, les relations toxiques, les pervers narcissiques sont les sujets phares du cinéma de ces cinq dernières années. Comme beaucoup de films, L’amour et les forêts, adapté du livre éponyme d’Éric Reinhardt publié en 2014, dort dans l’esprit de Valérie Donzelli avant même l’arrivée de #MeToo. Un scénario qu’elle co-écrit avec Audrey Diwan en s’éloignant du livre de base pour mieux sonder les affres psychologiques de l’emprise. Avec une caméra qui ne lâche jamais Blanche, la réalisatrice dévoile une autre palette de mise en scène, plus sérieuse et nervurée, tout en ne se séparant pas du ton fantasque et poétique qui la caractérise.
L’amour et les forêts se déroule comme un conte, macabre certes, mais un conte tout de même. La structure du film se prête à la métaphore car les images que l’on voit sont créées pour accompagner le récit que Blanche raconte à son avocate (Dominique Reymond). Une rencontre idyllique au pays des mots, chère à cette professeure de français. Dans l’intimité des draps, Grégoire cite Racine avec Britannicus « j’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler ». Première ombre au tableau : il ne sait pas d’où vient la réplique. Blanche, amoureuse, ne voit rien, ne dit rien. Vient ensuite les remarques sur son changement capillaire, les propos désobligeants sur la jumelle, “moins belle” que Blanche (pourtant identique dans la fiction et la réalité). Le tourbillon emporte tout sur son passage. En moins de quinze minutes (temps du film), Blanche est mariée, enceinte, installée à Metz loin de ses proches et sans boulot. Comment pouvait-elle refuser l’invitation de la Providence quand l’homme parfait, dans une ironie anthroponymique, s’appelle Grégoire Lamoureux ?

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Maintenant installée dans sa tour (une maison sans portes, donc sans cachettes), la princesse devait vivre la fin du conte « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». C’est hélas le moment où le cauchemar commence. Faisant des va-et-vient entre les flash-back et le présent, L’amour et les forêts est à la fois immersif mais aussi totalement encadré par son dispositif d’une histoire déjà passée, qui lui confère des moments de pause pour sortir le public hors du cauchemar. Cette structure évite aussi la lourdeur dramatique parce qu’elle pousse le film à aller à l’essentiel. Cela nous permet également d’avoir un regard plus extérieur, scrutant les moindres preuves du harcèlement psychologique, tout en gardant de l’affect. Les scènes de violence, parfois hachurées dans le montage parce que Blanche s’arrête dans son récit, sont imprégnées d’une émotion réelle, que l’on voit directement sur le visage de Virginie Efira. Une scène marquante : acculée devant la violence verbale de son mari, Blanche se réfugie dans les mots et la mise en scène essaie de transformer les tranches des livres de la bibliothèque en barrière protectrice.
Avec assurance, Valérie Donzelli passe d’une ambiance à une autre. De l’idylle rohmérienne jusqu’à la froide angoisse hitchcockienne, en passant par une parenthèse enchantée dans la forêt qui sera, dans sa finalité, un élément déclencheur positif pour l’héroïne, la réalisatrice fait de sa mise en scène hybride une force. Immense dans la vie de Blanche, Grégoire se met peu à peu à disparaître. Par les mots tout d’abord, qualifié de “petit monsieur” par une des personnes qui aideront Blanche à s’en sortir. Puis dans le plan, refoulé dans la zone de flou en arrière plan, un endroit où, dans un cadre cinématographique, il ne peut plus faire de mal.
Laura Enjolvy