[Cannes 2023] « Le Retour » de Catherine Corsini

Par Boustoune

[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

D’un séjour estival en Corse et de ses conséquences sur une quadragénaire et ses deux filles.
Khedidja (Aïssatou Diallo Sagna) a vécu quelques temps sur l’île de beauté avec son compagnon, originaire de Corse, avant de décider un beau jour de partir loin de lui et de son encombrante tribu, emmenant avec elle leurs deux filles. C’était il y a quinze ans de cela. Très peu de temps après son départ, Khedidja avait appris le décès de son compagnon et avait rompu tout contact avec ses proches, sans jamais remettre les pieds dans leur village.
Depuis, de l’eau a passé sous les ponts. Assistante maternelle, Khedidja accepte une proposition d’emploi qui implique un retour en Corse. Elle doit s’occuper des jeunes enfants de Sylvia et Marc (Virginie Ledoyen et Denis Podalydès), un couple parisien qui possède une villa sur l’île.
Ses deux filles l’accompagnent. Elles ont bien grandi depuis leur dernier séjour ici. L’aînée, Jessica (Suzy Bemba), est une jeune femme sérieuse et studieuse, sur le point d’intégrer Sciences-Po. La cadette, Farah (Esther Gohourou), est un peu plus délurée. Son attitude bravache et contestataire teste constamment les limites de la patience maternelle.

Pendant que Khedidja s’occupe des petits, Farah passe ses journées sur la plage où, entre deux baignades, elle ne tarde pas à s’embrouiller avec un petit caïd local. De son côté, Jessica sympathise avec Gaïa (Lomane De Dietrich), la fille aînée de Marc, et même plus car affinités. Elle profite également de ce retour en Corse pour en savoir plus sur ses origines, ses racines et se met en tête de retrouver la maison où elle a passé sa petite enfance. Cette recherche va provoquer quelques remous au sein de la cellule familiale, créant un fossé entre Jessica, qui a besoin de s’approprier ce passé qui lui était inconnu jusqu’alors, et Khedidja, qui cherche à l’oublier pour avancer.

Pourquoi on y retournerait volontiers ?

Le Retour séduit déjà par son environnement esthétique. Catherine Corsini et sa chef-opératrice, Jeanne Lapoirie, réussissent à tirer parti de la lumière estivale pour composer des plans absolument magnifiques, à la fois doux et crus.
II brille aussi par son approche intimiste, centrée avant tout sur ses personnages, et les liens à la fois purs et complexes qui les unissent. Catherine Corsini s’attarde notamment sur Jessica et Farah, deux adolescentes sur le point d’entrer dans l’âge adulte et de quitter le nid familial. Les deux personnages ont en commun la volonté de s’affirmer, mais peinent à trouver leur place, leur identité profonde, dans le monde qui les entoure.

Jessica n’a toujours vécu que pour ses études, pour correspondre à l’image de fille-modèle et soeur-modèle, sage et sérieuse, attendue par sa mère. Elle pourrait être satisfaite de sa réussite scolaire et des perspectives qui s’ouvrent à elle, mais elle ressent une sorte de vide en elle, liée à l’absence d’un père, à l’absence de traces de son histoire, de ses racines. Ce retour en Corse agit comme un catalyseur de ce malaise. Jessica éprouve le besoin viscéral de retrouver ses origines, de renouer avec le passé pour mieux prendre son envol. Bientôt, elle va quitter sa mère et sa soeur pour s’installer à Paris. Elle va débuter sa propre vie. Mais avant cela, elle a besoin de savoir d’où elle vient, et qui elle est réellement. Sa rencontre avec Gaïa constitue une seconde révolution. Elle qui n’avait encore jamais été amoureuse réalise qu’elle est attirée par une autre fille. Cette découverte de sa sexualité constitue un nouvel élément définissant son identité, une nouvelle différence à assumer.
Farah, elle, ne se pose pas de questions sur son passé. Elle pense savoir ce qui définit son identité : un prénom d’origine étrangère, une peau noire, des origines modestes, ce qui la classe dans la catégories des élèves n’ayant que peu de chances de réussir dans la vie, aux yeux de leurs professeurs. Et elle a le statut de “petite dernière”, forcément moins parfaite, moins brillante, moins sage que sa soeur aînée. Elle possède quelques qualités, notamment l’audace et l’esprit d’initiative, mais les met trop souvent à l’oeuvre pour des bêtises. Le séjour va l’aider à se remettre en question et à trouver elle aussi sa place dans cet environnement mouvant.

Pour permettre de faire passer des émotions avec des problématiques aussi délicates, des tourments aussi intimes, il était nécessaire de s’appuyer sur des comédiennes formidables, capables de jouer sur tous ces registres avec spontanéité et beaucoup de justesse. C’est le cas de Esther Gohourou et Suzy Bemba, qui font preuve, malgré leur jeune âge, d’une maturité de jeu épatante.
Mais il faut aussi saluer l’aptitude de Catherine Corsini à identifier le talent de jeunes comédiens, puisque ici, outre ces deux révélations, on peut ajouter celle de Lomane De Dietrich, impeccable dans le rôle de Gaïa et rappeler qu’Aïssatou Diallo Sagna avait, de son côté, constitué la belle découverte de La Fracture. Et il est aussi évident que, si tout ces acteurs jouent aussi juste, c’est parce qu’ils sont parfaitement dirigés et mis en valeur par la cinéaste, qui a su par le passé, tirer le meilleur de comédiens débutants comme de grands acteurs confirmés.

Certains regretteront sûrement un film émotionnellement un peu sec, refusant tout effet mélodramatique. C’est au contraire l’une de ses forces. La cinéaste ne se livre à aucun chantage à l’émotion, n’appuie aucune scène avec des musiques sirupeuses. C’est par les personnages et ce que l’on perçoit de leurs failles, leurs doutes, leurs blessures que naîtra (ou pas, en fonction de la sensibilité de chacun) le trouble chez le spectateur.

D’autres pourront aussi regretter le retour à un cinéma plus intimiste, plus introspectif, juste après un film ouvertement politique. La Fracture reposait sur un scénario ambitieux, décrivant une société au bord de l’explosion et Le Retour en comparaison, semble plus anecdotique. Cependant, il est aussi politique, à sa façon, car en traitant de la question de l’identité, de l’acceptation de soi-même et de l’autre, du “vivre ensemble”, la cinéaste va légèrement au-delà de la banale chronique intimiste. L’air de rien, son scénario aborde la question des différences raciales et des clichés qui y sont associés, celle du nationalisme corse, celles des différences de classes et des blessures qui peuvent en découler. Il le fait avec subtilité, sans démonstration trop évidente, mais difficile de ne pas voir dans cette description des rapports humains une évocation des maux qui divisent actuellement notre société : xénophobie, homophobie, communautarisme, clivage grandissant entre les élites et les classes populaires.

Contrepoints critiques :

”Le Retour espérait sans doute surfer sur son atmosphère solaire pour enivrer, mais entre l’écriture calamiteuse, la mise en scène fainéante et les personnages d’un cliché confondant, la belle balade corse se transforme rapidement en calvaire.”
(Alexandre Janowiak – @A_Janowiak sur Twitter)

”En fait  Le Retour, c’est un film de vacances qui donne envie de travailler.”
(Simon Riaux – @SimRiaux sur Twitter)

”En exagérant à peine, on pourrait dire que le scénario est aussi confortable mais pépère qu’une saga de l’été ou qu’un roman de gare lu distraitement sur la plage. Or Corsini en est quand même à un stade de sa carrière où elle pourrait faire preuve d’un peu plus d’ambition artistique que ça.”
(Grégory Couteau – Le Polyester)

Crédits photos : Copyright Chaz Productions – Images fournies par Le Festival de Cannes