[CRITIQUE] : Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Par Fuckcinephiles
Réalisateur•ice : Natalya Merkulova et Aleksey Chupov
Acteurs : Yuriy BorisovAleksandr YatsenkoNatalya Kudryashova,...
Distributeur : Kinovista
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Russe, Français,  Estonien.
Durée : 2h05min
Synopsis :
URSS, 1938. Au pic de la Grande Terreur, Staline purge ses propres rangs. Les hommes qui mettent en œuvre la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés. Se sachant à son tour condamné, le capitaine Volkonogov s’échappe. Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.


Critique :

À la fois intense chasse à l'homme et complexe réflexion philosophique, #LeCapitaineVolkonogovsestéchappé se fait un pèlerinage douloureux et féroce au coeur de la folie et de la décadence cruelle de l'homme dans laquelle subsiste, étonnamment, encore un léger semblant d'humanité pic.twitter.com/XA8Puqg50B

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) March 28, 2023

Il y a quelque chose de profondément troublant dans le fait que la fable rétro-surréaliste de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov (définitivement devenu un tandem à suivre depuis L'Homme qui surpris le monde en 2018), flanquée au coeur de la Grande Terreur, ne soit pas uniquement une auscultation d'un passé pas si lointain que l'écho puissant d'un présent qui lui ressemble presque comme deux gouttes d'eau.
Après tout, l'actualité désespérante et terrifiante de notre société contemporaine ne rend plus vraiment étrange ni irrationnelle l'idée qu'un régime totalitaire torture et tue aveuglément tout hypothétique opposant, aux yeux et à la face d'un monde qui ne cherche pas vraiment à se démarquer de son statut de simple spectateur.
En bons héritiers de Konchalovski et Tarkovski, le duo de cinéastes croque avec Le Capitaine Volkonogov s'est échappé un requiem brutal et dévastateur, une plongée au coeur d'une spirale de terreur et d'oppression qui décontenance - agréablement - par ses saillies burlesques, distillées avec parcimonie pour rompre l'hégémonie d'une violence implacable et incroyablement réelle.
On y suit les aternoiements du capitaine Fyodor Volkonogov (Yuriy Borisov, l'une des deux révélations du magnifique Compartiment N°6), qui se découvre une âme après avoir passé toute une vie à répandre la terreur et la mort, pour arracher quelques vérités souvent fabriquées pour nourrir un système à la rationalité déshumanisée.

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Un " job " qui exigeait de lui un détachement brutal de la réalité qui ne devait jamais défaillir.
Mais Fyodor voit planter son logiciel interne si durement imprégné dans sa cervelle et de bourreau, le soldat se mue en dissident puis en traître, dans sa quête d'obtenir d'un pardon qui pourrait, hypothétiquement, lui offrir sa place au paradis.
D'un curieux et aliénant voyage sur le désir purement égoïste d'un homme recherchant d'une façon obsessionnelle et candide à la fois, une grâce pour s'obtenir un tiquet pour l'éternité, tout en condamnant de fait son destin terrestre (il devient purement et simplement un ennemi de la nation en rejetant sa doctrine), Merkulova et Chupov s'interrogent intelligement sur la possibilité de rédemption d'une âme comprenant (trop tard ?) qu'elle est piégée autant qu'elle incarne l'un des nombreux rouages d'un système inhumain et aliénant, leurs réponses devenant lentement mais sûrement chair au travers d'un visage faisant enfin face à la réalité et acceptant sa propre responsabilité dans la prospérité du mal institutionnalisé.
Totalement libéré du pinaillage de la reconstitution historique, à la fois intense chasse à l'homme (rythmée au cordeau grâce à une mise en scène fluide et une solide gestion du cadre et du paysage) à l'humour brutalement absurde, et puissante et complexe réflexion philosophique sur un anti-héros lancé dans un processus de pardon/auto-préservation; Le Capitaine Volkonogov s'est échappé se fait un pèlerinage douloureux et féroce au coeur de la folie et de la décadence cruelle de l'homme dans laquelle subsiste, étonnamment, encore un léger semblant d'humanité.
Jonathan Chevrier