La Chaîne (1958) de Stanley Kramer

Cette histoire est d'abord celle d'un homme, d'abord acteur surtout pour Joseph H. Lewis de "Bombs Over Burma" (1942) à "Terreur au Texas" (1958) en passant par "Le Démon des Armes" (1950), Needrick Young devenu scénariste avec entre autre "Le Rock du Bagne" (1957) de Richard Thorpe mais qui a dû vivre sous pseudo durant des années à cause du Maccartysme (Tout savoir ici !), c'est ainsi qu'il écrit sous le nom de Nathan E. Douglas une histoire qui, de surcroît, n'a alors rien d'anodin dans l'Amérique des années 50, celle d'une relation entre deux évadés, un noir et un blanc. Il co-écrit avec Harold Jacob Smith scénariste de "Le Bord de la Rivière" (1957) et "L'Île Enchantée" (1958) tous deux de Allan Dwan ; une collaboration qui va se poursuivre juste après, les deux scénaristes se retrouveront avec le réalisateur Stanley Kramer pour le film "Procès de Singe" (1960). Ce dernier, déjà connu comme producteur notamment de "Mort d'un Commis Voyageur" (1951) et "L'Équipée Sauvage" (1953) tous deux de Laszlo Benedek, qui réalise ce nouveau projet entre ses films "Orgueil et Passion" (1957) et "Le Dernier Rivage" (1959). Malgé tout, le film est un succès public et critique, multi-primé avec par exemple un Ours d'Argent au festival de Berlin 1958 et un BAFTA 1959 pour l'acteur Sidney Poitier, puis deux Oscars pour la photographie Noir et Blanc et surtout pour le scénario, un prix que Nedrick Young ira cherché mais sous son pseudo de Nathan E. Douglas ; pour info, tout changera peu de temps après avec un autre blacklisté, Dalton Trumbo qui sera crédité sous son vrai nom grâce à Kirk Douglas pour "Spartacus" (1960) de Stanley Kubrick... Joker Jackson, un blanc, et Noah Cullen, un noir, sont prisonniers et condamnés à de lourdes peines. Ils ne s'apprécient clairement pas mais ils se retrouvent menottés l'un l'autre lors d'un transfert en fourgon. Durant le trajet le fourgon a un accident, les deux hommes en profitent pour fuir malgré leur entrave. Forcés de s'entendre pour pouvoir s'échapper alors que le shérif organise la chasse à l'homme...

La Chaîne (1958) de Stanley Kramer

Noah l'afro-américain est incarné par Sidney Poitier, premier acteur noir à avoir un tel statut à Hollywood grâce à des films comme "La Porte s'Ouvre" (1950) de J.L. Mankiewicz ou "Graine de Violence" (1955) de Richard Brooks avant son meilleur rôle dans "Dans la Chaleur de la Nuit" (1967) de Norman Jewison, année où il retrouve aussi son réalisateur Stanley Kramer dans "Devine qui Vient Dîner..." (1967). Son acolyte Joker est interprété par Tony Curtis, qui s'est battu pour obtenir ce rôle dont il espérait que cela casserait son image de beau gosse alors qu'il est au sommet de sa carrière juste avant trois chefs d'oeuvres d'affilés avec "Les Vikings" (1958) de Richard Fleischer, "Certains l'Aiment Chaud" (1959) de Billy Wilder et justement "Spartacus" (1960), retrouvant avec ce dernier son partenaire Charles McGraw vu dans de nombreux grands films comme "Les Tueurs" (1946) de Robert Siodmak, "Les Oiseaux" (1963) de Alfred Hitchcock, "De Sang Froid" (1967) de Richard Brooks ou "Johnny s'en va-t-en Guerre" (1971) de Dalton Trumbo, et qui retrouve aussi Stanley Kramer après "Un Monde Fou, Fou, Fou" (1963) ainsi que l'acteur King Donovan qui retrouve de son côté Tony Curtis après "Le Voleur de Tanger" (1951) de Rudolph Maté. Citons ensuite Claude Atkins vu dans "Tant qu'il aura des Hommes" (1953) de Fred Zinnemann et "Rio Bravo" (1959) de Howard Hawks, puis retrouve après "Ouragan sur le Caine" (1954) de Otto Preminger son partenaire Whit Bissell vu plus tard dans "Le Plus Sauvage d'entre Tous" (1963) de Martin Ritt, ces deux acteurs retrouveront respectivement Sidney Poitier dans "Porgy and Bess" (1959) de Otto Preminger et "Soleil Vert" (1973) de Richard Fleischer. Citons encore Cara Williams vue entre autre dans "Boomerang !" (1947) de Elia Kazan et "Les Ruelles du Malheur" (1949) de Nicholas Ray, qui joue la maman du jeune Kevin Coughlin qui retrouvera Sidney Poitier dans "La Bataille de la Vallée du Diable" (1966) de Ralph Nelson, Theodore Bikel vu dans "African Queen" (1951) de John Huston et retrouvant le réalisateur après "Orgueil et Passion" (1957), Lawrence Dobkin vu dans "Mort à l'Arrivée" (1950) de Rudolph Maté, "L'Affaire Cicéron" (1952) de J.L. Mankiewicz ou "La Mort aux Trousses" (1959) de Alfred Hitchcock, puis le fils de la légende Lon Chaney, Lon Chaney Jr. vu dans près de 200 rôles de "L'Oiseau de Paradis" (1932) de King Vidor à "Dracula contre Frankenstein" (1971) de Al Adamson en passant par "Le Train Sifflera Trois Fois" (1952) de Fred Zinnemann ou "La Peur au ventre" (1955) de Stuart Heisler, puis n'oublions pas Carl Switzer surtout connu comme l'un "Des Petites Canailles" (1922-1924- en France 1962-1984) série TV culte, et qui tournera 130 films entre 1935 et 1958, retrouvant ainsi Stanley Kramer après "Pour que vivent les Hommes" (1955) mais qui mourra malheureusement dans une rixe peu de temps après la sortie de "La Chaîne"... Fin des années 50, la lutte pour les Droits Civiques ont pris une importance capitale depuis l'affaire Rosa Parks en 1955. La portée politique du film est donc loin d'être négligeable, l'ambition du projet est d'autant plus forte. Lorsque le film débute on remarque plusieurs prisonniers, noirs et blancs, qui rappellent que la crime ou la délinquance n'a pas forcément de couleur ce qui se confirmera plus tard, un fugitif reste un fugitif.

La Chaîne (1958) de Stanley Kramer

Le film reprend donc plusieurs sous-genre, celui du fugitif, celui du pamphlet politico-social, et celui pour qui il est un précurseur, le buddy movie noir-blanc que les années 80 vont popularisés. Le plus intelligent est que le film évite tout manichéïsme avec deux fuyards qui restent coupables (pas le sempiternel "j'ai rien fait"), des policiers non caricaturaux qui font leur job mais qui occulte pas les points de vue différents, pas de racistes fous furieux mais plutôt le racisme de société, communautaire, culturel, celui qui est en filigrane, sans "savoir pourquoi", "parce que c'est comme ça"... etc... comme la rencontre avec la femme est en cela marquante, un racisme sans haine mais insidieuse sans compter sur la solitude qui mène à l'égoïsme qui donne de l'épaisseur à son personnage, et surtout cette fin aussi émouvante que judicieuse qui amène à autant d'indulgence pour les uns que pour les autres, car chacun fait son job, chacun assume ses choix, chacun doit payer. Outre la dimension anti-raciste du film symbolisé par les chaînes des menottes, le réalisateur n'oublie pas pour autant le côté aventure action de deux fuyards pourchassés. Stanley Kramer utilise de façon toujours judicieuse et pertinente les paysages comme le climat, les méandres de la faune et de la flore, mais aussi les conflits logiques entre les deux hommes, être liés à l'insu de leur plein gré est forcément un point de tension qui place le côté noir-blanc en marge, sans compter l'obligation d'une intimité qui n'est pas aisé. C'est cet équilibre constant qui font que ce film est un grand film, qui n'aborde pas que le racisme et qui reste d'une cohérence impressionnante. A voir et à conseiller.

Note :                 

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17/20