Monsieur Verdoux (1947) de Charles Chaplin

Premier film d'après-guerre, Chaplin a déjà entamé sa mue artistique après son dernier Charlot avec "Les Temps Modernes" (1936) et son premier film sans Charlot et premier "vrai" film parlant avec "Le Dictateur" (1940). Mais juste après il entre dans la tourmente et une succession de scandale avec un procès en paternité qu'il va perdre (1942-1943), un mariage (1943) avec sa dernière épouse de 36 ans sa cadette mais avec qui il aura 8 enfants, sans compter des accusations de communisme (dès 1945 avec enquête officielle en 1947) que la "Peur Rouge" à la fin de la guerre va accentuer alors que le Maccarthysme prend de l'ampleur, le tout aggravé en sous-main par le FBI de Hoover qui veut sa perte. Néanmoins Chaplin commence à travailler sur son prochain projet dès 1942 qui est à l'origine, chose rare voire inédite pour Chaplin, celui d'un certain Orson Welles. En effet, le réalisateur-scénariste de "Citizen Kane" (1940) a écrit le scénario sur un tueur inspiré du tueur en série français Landru (Tout savoir ICI !) et propose le rôle à Chaplin mais ce dernier après avoir accepté changea d'avis arguant qu'il n'avait jamais été dirigé et qu'il n'avait pas l'intention de commencer. Il achète les droits à Welles pour un prix d'ami de 5000 dollars et modifia le script essentiellement en rendant Monsieur Verdoux plus sympathique en contextualisant l'histoire post-Krach de Walle Street de 1929, créditant Orson Welles que pour l'idée originale. Welles ne s'offusqua nullement, comprenant et affirmant que ce projet était un de ses travaux les moins importants. Finalement, après encore une lutte acharnée contre la censure du Code Hays sur les questions de morales le producteur-réalisateur-co-scénariste-acteur-compositeur sort sont film en 1947 en pleine tourmente médiatique. Et malgré une nomination à l'Oscars 1948 du meilleur scénario (?!) le film reçoit un accueil très fraîchement et devient le premier véritable échec au box-office pour Chaplin à l'exception notable de l'Europe et surtout de la France où il accumule tout de même plus de 2,6 millions d'entrées. Dans son livre "My Autobiography" (1964) Charles Chaplin déclare à la fois que tous "ces procès ont démoli sa créativité", puis malgré tout que "Monsieur Verdoux est le plus intelligent et le plus brillant des films que j'ai réalisés."... Depuis le Krach financier de 1929, Henri Verdoux a dû se réorienter "professionnellement" suite à son renvoi de son poste d'employé de banque. Pour subvenir à ses besoins, Verdoux est donc devenu bigame en séduisant de riches veuves malgré son amour sincère pour sa première épouse et son fils. Mais des victimes ont alerté la police qui semble de plus en plus proche de le démasquer... 

Monsieur Verdoux (1947) de Charles Chaplin

Le rôle titre est évidemment dévolu à Chaplin lui-même. Parmi ses épouses et conquêtes citons Mady Correll aperçue dans "Son Patron et son Matelot" (1941) de Richard Wallace ou "Les Plus Belles Années de notre Vie" (1946) de William Wyler, Martha Raye vue dans "La Belle de Mexico" (1938) de Theodore Reed, "Hellzapoppin" (1941) de H.C. Potter et en fin de carrière "Airport 80 Concorde" (1979) de David Lowell Rich, Isobel Elsom vue dans 130 films entre 1915 et 1964 dont une année 1947 faste avec le chef d'oeuvre "Une Aventure de Mme Muir" (1947) de J.L. Mankiewicz et "Le Procès Paradine" (9147) de Alfred Hitchcock, puis dans des rôles différents Marjorie Bennett aperçue dans plus de 200 rôles entre 1917 et 1973 dont des retrouvailles avec Chaplin pour le prochain "Les Feux de la Rampe" (1952), puis notamment "Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?" (1962) de Robert Aldrich ou "Mary Poppins" (1964) de Robert Stevenson, sans oublier Marilyn Nash jeune femme engagée dès 1943 à seulement 17 ans par Chaplin pour finalement un unique rôle avant de travailler essentiellement pour la télévision puis une courte carrière de Directrice de casting sur entre autre "Josey Wales Hors-la-Loi" (1976) de et avec Clint Eastwood. Citons ensuite Irving Bacon acteur récurrent de Frank Capra sur pas mons de 9 films de "Grande Dame d'un Jour" (1933) à "Si l'on mariait Papa" (1951) en passant par "Vous ne l'Emporterez pas avec Vous" (1938), Virginia Brissac aperçue dans "Vendredi 13" (1940) de Arthur Lubin ou "Treize à la Douzaine" (1950) de Walter Lang et qui retrouvera dans "La Fureur de Vivre" (1955) de Nicholas Ray sa partenaire Almira Sessions actrice aux plus de 200 rôles dont "Le Journal d'une Femme de Chambre" (1946) de Jean Renoir ou "Rosemary's Baby" (1968) de Roman Polanski, et qui retrouvera aussi dans "Le Rebelle" (1949) de King Vidor l'acteur Charles Evans qui retrouvera de son côté dans "Samson et Dalila" (1949) de Cecil B. De Mille l'acteur Fritz Leiber qui a connu son heure de gloire justement dans des peplums avec "Cléopâtre" (1917) et "La Reine de Saba" (1921) tous deux de J. Gordon Edwards, puis enfin William Frawley vu dans "Désir" (1936) de Frank Borzage, "La Folle Histoire de Roxie Hart" (1942) de William A. Wellman ou "Gentleman Jim" (1942) de Raoul Walsh... Si Chaplin signe là son film le plus sérieux jusqu'ici il ne peut s'empêcher d'y instiller quelques uns de ses principes récurrent comme la dimension sociale et l'humour. Ainsi, il réécrit le scénario de Orson Welles en situant l'histoire vers le début des années 1930 afin d'imposer la crise économique ce qui pousse à plus ou moins excuser ou du moins comprendre ce Verdoux qui a perdu son travail et qu'il doit subvenir aux besoins de sa famille surtout que de surcroît son épouse "officielle" est handicapée.

Monsieur Verdoux (1947) de Charles Chaplin

Sur ce point on sent que Chaplin n'a pas osé assumer un réel Film Noir et on peut cette fois-ci comprendre que la commission du Code Hays ait pu tiquer sur un homme qui a choisi le meurtre crapuleux comme alternative. Il pousse la chose jusqu'à ne jamais montrer les meurtres de façon frontale, et nous pousse à l'empathie quand il est avec son fils notamment. Chaplin vaut qu'on aime Monsieur Verdoux mais il est sans doute trop insistant, voir peu subtil ce à quoi il ne nous avait pas habitué. Par contre on aime le cynisme de Monsieur Verdoux, son air détaché, et à nous faire sourire avec délectation lorsqu'il n'arrive pas à séduire aussi facilement qu'il aimerait. Certains passages sont particulièrement réussis comme le comptage des billets, la rencontre avec la jeune femme désoeuvrée, le vin empoisonné ou la promenade en barque qui allie dérision satire ou ironie. Par contre la séquence de séduction un peu forcée lors de la visite sa demeure à vendre est justement trop "Charlot" ce qui est un peu trop en décalage, tandis que l'épilogue est amenée trop brusquement. D'ailleurs la fin est un peu bizarre, Verdoux ne semble plus avoir la même personnalité, le changement est léger mais la nuance demeure étrange. Pourtant Chaplin fait des efforts, l'idée du Krach de 1929 pas mauvaise mais trop facile tandis que l'humour noir manque un peu d'audace. Sur ce film on notera un merveilleux casting féminin avec des personnages très bien écrit qui volerait presque la vedette à la star. Mais le plus gros défaut est qu'on ne peut que s'imaginer ce qu'en aurait fait Orson Welles... 

Note :  

Monsieur Verdoux (1947) Charles ChaplinMonsieur Verdoux (1947) Charles ChaplinMonsieur Verdoux (1947) Charles Chaplin

15/20