Grand Marin (2023) de Dinara Droukarova

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Premier long métrage de la russe Dinara Droukarova connue jusqu'ici comme actrice vue essentiellement en France comme dans "Depuis qu'Otar est parti..." (2003) de Pascal Bonitzer, "Gainsbourg Vie Héroïque" (2010) de Joann Sfar, "Trois Souvenirs de ma Jeunesse" (2015) de Arnaud Deplechin, et citons plus récemment dans le film russe "Compartiment n°6" (2021) de Juho Kuosmanen. Son projet est une adaptation libre du roman "Le Grand Marin" (2016) de Catherine Poulain : "Quand j'ai lu le livre qui est une histoire autobiographique sur ses années de pêche en Alaska j'ai tout de suite senti que derrière cette histoire personnelle, se tramait l'histoire universelle d'un êre qui cherche à s'échapper de sa vie d'avant pour aller vers l'inconnu. C'était pour moi, l'illustration parfaite de l'expression "larguer les amarres" et prendre le large. Partir en mer pour se confronter, connaitre ses limites, aller au plus loin de soi-même." Au départ, son film devait être produit par la productrice-actrice Julie Gayet mais cette dernière a dû mettre sa société en sommeil suite au Covid, le jeune cinéaste a donc trouvé une autre solution : "Ce sont mes nouvelles productrices, Marianne Slot et Carine Leblanc, qiu avaient des contacts en Islande et qui ont eu l'idée de "déplacer" le tournage là-bas. Les paysages islandais procurent un fort sentiment d'évasion - avec ses petits ports de pêche du bout du monde, la mer infinie - mais c'est plus que ça..." Dinara Droukarova co-signe son scénario avec Raphaëlle Deplechin (soeur de Arnaud) à qui ont doit les histoires de "Tournée" (2010) de et avec Mathieu Amalric, "Nos Batailles" (2018) de Guillaume Senez ou "Curiosa" (2019) de Lou Jeunet, avec Léa Fehner réalisatrice-scénariste du film "Les Ogres" (2016), puis avec Gilles Taurand, scénariste de André Téchiné à partir de "Hôtel des Amériques" (1981), et de "Les Adieux à la Reine" (2012) de Benoît Jacquot, "Réparer les Vivants" (2016) de Katell Quillévéré ou "L'Homme de la Cave" (2021) de Philippe Le Guay... 

Lili a tout quitté pour partir s'isoler au bout du monde bien décidée à devenir marin-pêcheur en Islande. Pas du milieu elle réussit pourtant à convaincre un capitaine de chalutier de lui donner sa chance. Seule femme de l'équipage du chalutier le Rebel, celle qui est surnommée le Moineau va montrer et prouver qu'elle n'est pas si fragile... Lili est évidemment incarnée par sa réalisatrice Dinara Droukarova. Comme souvent dans les gros équipages elle est entourée d'un équipage international, d'abord avec le capitaine est interprété par le belge Sam Louwyck vu entre autre dans "Les Ardennes" (2015) de Robin Pront, "Brimstone" (2016) de Martin Koolhoven, "Jumbo" (2020) de Zoé Wittock ou "Inexorable" (2021) de Fabrice du Welz. Citons ensuite l'islandais Björn Hlynur Haraldsson vu dans "Jar City" (2006) de Baltasar Kormakur et "Mariage à l'Islandaise" (2008) de Valdis Oskardottir, et plus récemment dans les séries TV dont "Fortitude" (2015-...) et "The Witcher" (2019), l'espagnol David Menendez vu récemment dans "As Bestas" (2022) de Rodrigo Sorogoyen, le jeune frenchy Dylan Robert (entre deux délits ou entre deux condamnations !) révélé dans "Shéhérazade" (2018) de Jean-Bernard Marlin et vu depuis dans "ADN" (2020) de Maïwenn et "Mastermah" (2022) de Didier D. Daarwin, le sri-lankais Anthonythasan Jusethasan révélé dans l'excellent "Dheepan" (2015) de Jacques Audiard, puis vu dans "Private War" (2019) de Matthew Heineman et "Dernier Amour" (2019) de Benoit Jacquot, puis enfin le franco-norvégien Magne-Havard Brekke vu dans "Overdrive" (2017) de Antonio Negret, "Nos Patriotes" (2017) de Gabriel Le Bomin, "La Prière" (2018) de Cédric Khan et "Amants" (2021) de Nicole Garcia... Le film débute avec une énigme : pourquoi et comment une femme changent-elle de vie radicalement, et surtout pourquoi et comment a-t-elle choisi la pêche et l'Islande pour son exil ?!?! Néanmoins, elle trouve un équipage sur le chalutier Le Rebel et nous voilà immergé avec elle dans le quotidien de marins-pêcheurs dans une style très naturaliste quand cela concerne le travail et le quotidien ; ainsi il y a le filet, le casier, les cordages, mais il y a aussi le bar, les mises au point, la promiscuité... Un monde que la réalisatrice-actrice a voulu mieux appréhender par soucis de crédibilité et a passé plusieurs stages comme elle l'explique : "C'est un monde très fermé, leur travail est un travail à risque, et très physique. Enfin, c'est un monde d'hommes ; les femmes y sont très rares. Un ami armateur m'a introduite auprès d'un capitaine d'un chalutier à Boulogne-sur-Mer pour faire une sortie en mer avec des pêcheurs français. J'ai passé cinq jours dans une tempête, avec le mal de, pensant que j'allais mourir... J'avais mes règles, je ne pouvais pas me laver... Rien dans cet univers n'est adapté aux femmes. Pendant trois jours entiers, je suis restée dans la cale, allongée, misérable... Et puis un jour, le capitaine est venu me chercher. Il m'a sortie sur le pont, m'a donné à manger du riz froid. Je lui a demandé pourquoi il n'était pas venu plus tôt. Il m'a répondu : "Tu voulais voir comment ça se passe, et ben voilà, t'as vu !"

On a l'agréable surprise de constater que Dinara Droukarova reprend au moins une séquence inspirée de son expérience mais surtout elle évite l'écueil habituel sur l'univers des marins-pêcheurs en ne montrant rien du machisme ou de la femme porte-malheur sur les mers, de la drague lourde. Mais par contre elle occulte tout ce qui a rapport avec l'intimité que la promiscuité doit rendre forcément compliquée ce qui paraît étonnant. Outre le travail parfaitement montré comme la vie à bord, la cinéaste contre-balance avec des plans contemplatifs de toute beauté de la mer avec une caméra qui suit la houle et le rythme des flots ; c'est magnifique, onirique, aérien. Mais au fil de ce récit très sec on continue à se demander quand est-ce que le film va vraiment nous raconter quelque chose. Le personnage principal reste une femme énigmatique dont on attend d'apprendre au moins une chose ou deux, ou un événement qui donnera du sens à son aventure, on pense alors au récent "La Passagère" (2022) de Héloïse Pelloquet. Mais on déchante, rien ne se passe, et on se dit que sur la vie de marins-pêcheurs il existe des documentaires. Quel dommage car sinon la cinéaste signe un film qui impose une atmosphère idéal, dont on apprécie une femme qui ne se victimise jamais, dure à la tâche mais le regard plein d'étoiles quand elle admire la mer. Note indulgente.

Note :                 

12/20