La Dernière Nuit de Lise Broholm (2022) de Tea Lindeburg

Premier long métrage de Tea Lindeburg connue au Danemark pour être la créatrice de la série TV "Equinoxe" (2020). Pour son projet la réalisatrice-scénariste adapte le roman "A Night of Death de Marie Bregendahl" (1912) de Marie Bregendahl, auteure qui s'inspire justement de la mort de sa mère alors qu'elle n'avait que 12 ans et qui marque son style réaliste jusqu'au grotesque inspiré lui-même de la tradition orale. La réalisatrice définit son film comme "une histoire de passage à l'âge adulte, sur la foi, qui se déroule à une époque où se tourner vers Dieu était le seul vecteur d'espoir et où les visions et les rêves prophétiques étaient pris au sérieux." Le film est malheureusement passé inaperçu en salles en France... Fin du 19ème siècle, Lise aînée au sein d'une famille luthérienne rêve pourtant d'émancipation. Mais tandis que sa mère est sur le point d'accoucher son destin semble prêt à basculer en une seule nuit...

La Dernière Nuit de Lise Broholm (2022) de Tea Lindeburg

Lise est incarnée par Flora Ofelia Hofman Lindahl révélée dans la série TV "Cry Wolf" (2021). Elle est entourée aussi de deux jeunes actrices débutantes Palma Lindeburg Leth (fille de la réalisatrice ?!) et Anna-Olivia Oster Coakley. Le reste de la famille et des proches sont joués par Ida Caecilie Rasmussen surtout vue dans plusieurs séries TV et le film "Blurred Vision" (2019) de Ivan Elmer, Stine Fischer Christensen vu dans "After the Wedding" (2007) de Susanne Bier, "La Fille Invisible" (2011) de Christian Schowchow et "Valhalla" (2020) de Fenar Ahmad, Flora Augusta remarquée dans "A Taste of Hunger" (2021) de Christoffer Boe, Kirsten Olesen vue dans "Images d'une Libération" (1982) et "Médée" (1988) tous deux de de Lars Von Trier, "In your Hands" (2005) de Annette K. Olesen, puis enfin citons Thure Lindhardt vu dans "Parfum d'Absinthe" (2004) de Achim Von Borries, "Into the Wild" (2008) de Sean Penn, "Byzantium" (2014) de Neil Jordan ou "Fast and Furious 6" (2013) de Justin Lin... Si le livre est raconté d'un point de vue omniscient la réalisatrice-scénariste a préféré prendre le point de vue de la fille aînée ce qui est particulièrement judicieux car cela permet un portrait de jeune fille comme symbole de la condition de la femme, celle qui est prisonnière de son rôle et de son statut de femme au foyer, mère ou future mère, ménagère, cheffe de famille... Dans une société luthérienne (en résumé un protestantisme à l'exigence chrétienne plus "profonde" et plus exigente que le catholicisme), une mère de famille nombreuse s'apprête à accoucher assistée des femmes de la ferme, mère, grand-mère, soeur ou servante. En attendant, le père est au travail, et l'aînée Lise doit s'occuper de ses frères et soeurs alors que dans sa petite tête éprise de liberté elle est déjà partie après avoir préparée sa valise pour partir à l'école, le souhait de sa mère. D'emblée on est séduit par l'image, un grain presque vaporeux qui appuie la spiritualité omniprésente, puis qui dessine l'onirisme ambiant qui entoure Lise auréolé de couleurs chaudes.

La Dernière Nuit de Lise Broholm (2022) de Tea Lindeburg

Le bonheur s'apprête donc à envahir la maisonnée, même pour Lise qui espère une petite soeur avant de partir grandir à l'école. Les enfants s'amusent, avec les cousins ou les voisines, Lise les surveille plus ou moins rien de grave ne peut arriver, suffit d'attendre un peu que bébé arrive. Mais si on croit en Dieu, on croit aussi aux rêves et à leur signification. Une pointe de mysticisme chez Luther qui donne la conduite à suivre même pour un accouchement qui va mal se dérouler, le spectateur le sait, Lise va le savoir, le soupçonner, le présumer, le subodorer, présager et surtout le redouter et ce dès les premiers cris de douleur qu'elle n'aurait pas dû entendre. La vraie réussite du film est de suivre à partir de là Lise d'encore plus près, une Lise/Hofman Lindahl (qui paraît plus âgée, mais qui a bien l'âge de son personnage soit 17 ans) qui s'engonce dans la peur et la crainte, mais surtout qui joue magnifiquement les nuances entre la tristesse de perdre sa maman, de ne pas avoir une petite soeur, mais aussi malgré tout avec l'appréhension de plus pouvoir quitter la ferme, ne plus pouvoir partir étudier. Les enfants sont dans l'attente, ne sont pas mit dans les confidences, Lise doit tenter d'en savoir plus au risque d'être témoin de douleurs inimaginables, dont elle ne se doutait sans doute pas qu'une femme puisse les vivre. Alors que le drame se dessine fatalement, Lise jeune femme farouche qui pouvait enfin espérer l'émancipation, va se confronter à la perte d'une mère et qui va ramener forcément la femme à sa condition de femme, qu'importe la génération l'éternel roue du destin avec en filigrane une femme qui perd aussi sans doute la foi... Tea Lindeburg signe un drame maîtrisé, d'un réalisme dur teinté d'onirisme dont la beauté formelle n'a d'égale que l'intelligence du fond, une chronique pessimiste d'une jeune femme pleine d'espoir qui va devoir assumer un tout autre destin. 

Note :      

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14/20