Emancipation (2022) de Antoine Fuqua

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Nouveau film de Antoine Fuqua, réalisateur capable du meilleur surtout avec Denzel Washington en tête d'affiche comme "Training Day" (2001) mais aussi "La Rage au Ventre" (2015), comme du pire avec "Les Larmes du Soleil" (2003) ou "Infinite" (2021). Ce projet est une histoire vraie inspirée d'abord par une célèbre photographie prise en 1863 et qui s'avère être le dos lacéré de Gordon ou Whipped Peter (Tout savoir ICI !), qui fut publié en pleine Guerre de Sécession et qui peut être considérée comme la première graine de conscience de la population américaine vis à vis de l'esclavage. Le scénario est signé de William N. Collage connu pour avoir écrit des films aussi divers que "Détour Mortel" (2003) de Rob Schmidt, "Exodus : Gods and Kings" (2014) de Ridley Scott ou "Assassin's Creed" (2016) de Justin Kurzel. Le scénario a été la source d'une enchère entre différents grands studios jusqu'à ce que ce soit finalement la plateforme Apple+ qui emporte le morceau pour pour obtenir les droits, soit pour la modique somme de 130 millions de dollars ! Ce à quoi il faudra ajouter un budget de production à 120 millions de dollars ! De surcroît, le film va connaître quelques désagrément, d'abord pour le tournage qui devait avoir lieu en Géorgie avant que la production annule suite à un vote litigieux du gouvernement ce à quoi le réalisateur-scénariste Antoine Fuqua et le producteur-acteur Will Smith ont déclaré : "Nous ne pouvons pas en toute conscience fournir un soutien économique à un gouvernement qui promulgue des lois électorales régressives conçues pour restreindre l'accès aux électeurs." Ensuite, le scandale des Oscars autour de la gifle que Will Smith a asséné au présentateur de la cérémonie Chris Rock a fortement perturbé la promo et donc le calendrier des sorties. Prévu initialement pour le printemps-été 2022 le film est annoncé pour 2023 avant de sortir un peu en catimini en cette fin 2022. Le film est interdit au moins de 16 ans...

Début 1863, Peter est esclave dans une plantation de Louisiane et subit une énième fois le lynchage par un contremaître. Cette fois il n'en peut plus et décide de fuir vers le Nord en pleine Guerre de Sécession. Poursuivi et chassé il doit ruser et se battre pour atteindre l'armée de l'Union ce qu'il réussit à faire en dix jours. Arrivé sur place, l'état de son dos complètement et profondément lacéré choque les soldats présents et le médecin qui décident de prendre une photographie de ce dos atrocement mutilé. L'motion est telle que la photographie est publiée... Peter ou Gordon est incarnée logiquement par la star Will Smith vu juste avant dans "Bad Boys for Life" (2020) de Adil El Arbi et Bilall Fallah et surtout dans "La Méthode Williams" (2021) de Reinaldo Marcus Green pour lequel il obtient l'Oscar du meilleur acteur malgré qu'il soit entaché du scandale. Citons ensuite Ben Foster vu entre autre dans "3h10 pour Yuma" (2007) de James Mangold, "Comancheria" (2016) de David Mackenzie, "Hostiles" (2017) de Scott Cooper ou "Galveston" (2018) de Mélanie Laurent, Jayson Warner Smith (rien à voir avec Will) vu entre autre dans "Barry Seal : American Traffic" (2017) de Doug Liman, "Billionnaire Boys Club" (2018) de James Cox ou "Là où Chantent les Ecrevisses" (2022) de Olivia Newman, Charmaine Bingwa remarquée dans "Black Box" (2020) de Emmanuel Osei-Kuffour, Gilbert Owuor vu dans "Mute" (2020) de Duncan Jones, Steven Ogg surtout vu dans des séries TV dont "The Walking Dead" (2016-2018) ou "Westworld" (2016-2018), David Denman qui retrouve Will Smith après le râté "After Earth" (2013) de M. Night Shyamalan et vu récemment dans "Brightburn" (2019) de David Yarovesky ou "Greenland" (2020) de Ric Roman Waugh, Ronnie Gene Blevons vu dans "Joe" (2013) de David Gordon Green, "Death Wish" (2018) de Eli Roth et "Conjuring 3 : Sous l'Emprise du Diable" (2021) de Michael Chaves, puis enfin Paul Ben-Victor vu récemment dans "The Banker" (2019) de George Nolfi et "The Irishman" (2019) de Martin Scorcese... Le film débute avec un encart "D'après une histoire vraie" qui en impose toujours, mais qui est aussi souvent un gage d'intérêt logique mais qui ne promet jamais quelques libertés ou mensonges. Le film offre avec un "joli" panorama sur une plantation avant de s'enfoncer jusqu'à ces adieux déchirants et terrifiants d'un mari et père avec sa famille. D'emblée on est saisi par le choix inédit pour ce genre de film d'un Noir et Blanc très légèrement désaturée au fil du récit assez saisissant qui impose un climax comme dans une sorte de cauchemar et donc comme un rêve qui s'éloigne par exemple d'un film comme "12 Years a Slave" (2014) de Steve McQueen. Un Noir et Blanc judicieux et immersif renvoyant directement à l'iconographie symbolisée de la photographie. Très vite pourtant non remarque que le film s'engonce dans un simple Survival, une chasse à l'homme dont la cible est un esclave en fuite. Déception donc puisqu'on se demande quand est-ce qu'on va traiter du sujet principal, à savoir les coulisses, les causes et conséquences d'une photographie aussi icônique que célèbre. Et non, alors que le film dure près de 2h15 on suit l'esclave/Smith pendant près de 1h30 à travers les marais de Lousiane, où l'acteur incarne un esclave fort, "meilleur forgeron" de sa plantation de surcroît (ah bon ?!), qui fronce les sourcils et qui ne baissent pas les yeux au regard de caïd, à tel point que quand il entre en conflit avec un maton tous les autres esclaves retiennent leur souffle alors que tout le monde se fout des autres malheureux.

Bref, l'héroïsation à outrance de ce Peter devient vite la caricature du super-héros alors même qu'on sait avant tout qu'il est un esclave parmi tant d'autres que seule une photo a permis de se distinguer pour la postérité. Cette dimension humaine, classique, terre à terre, est omise pour en faire un grand héros et qu'il faut donc lui inventer des faits et actes digne de ce statut qui, faut bien l'avouer, reste un peu léger avec une photographie comme seule preuve de son passif. Peter/Smith est donc malin, fort, ce qu'on croit sans mal au vu de son dos et de ces jours dans le marais mais qu'on trouve aussi ridicule quand on s'aperçoit qu'un simple bout de bois bloque la mâchoire d'un alligator. Idem pour le Peter soldat, si on sait qu'il a été courageux sur le front comme des milliers d'autres le film le montre en leader et héros à part entière, symptomatique finalement de tout le film, extrapoler au maximum sa vie, exacerbé son destin pour créer une historiographie voir une mythologie autour du modèle photographique. Ainsi le film devient un biopic à part entière dans le genre (avec mensonges et inventions notamment sur le destin de sa famille), mais occulte malheureusement le sujet principal, les coulisses, les causes et conséquences autour de la photographie qui sont expédiés et sous-exploités. Ce dos martyrisé, et qui renvoie aussi à celui de Denzel Washington lors d'une séance non moins éprouvante dans l'excellent "Glory" (1989) de Edward Zwick, et surtout la photographie qui va l'immortaliser se résume à 5mn en tout et pour tout. Dommage... En conclusion, malgré un NB sublime, une mise en scène inspirée, une photographie magnifique, un destin forcément émouvant au propos universel, on ne peut que s'agacer sur un récit où trop de choses sont inventées ou réécrites, un acteur qui cabotine beaucoup trop (comme souvent d'ailleurs) surtout avec personnage sur-vendu ce qui fait un peu esbroufe plutôt que de rester à hauteur d'homme, pour un film qui passe en réalité à côté de son sujet. Une des grandes déceptions de l'année.

Note :      

09/20