Eyes Wide Shut (1999) de Stanley Kubrick

Par Seleniecinema @SelenieCinema

13ème long métrage de Stanley Kurbick, ultime et unique que le cinéaste ne verra pas sortir en salles, mourant peu de temps après avoir terminé le montage final. Après "Full Metal Jacket" (1987) le réalisateur envisage de tourner "Aryan Papers" mais l'histoire est trop similaire avec "La Liste de Schindler" (1993) de Steven Spielberg, respectant ce dernier Kubrick abandonne son projet, il se rabat alors sur deux autres projets, celui qui deviendra "A.I. Intelligence Artificielle" (2001) de Steven Spielberg justement choisi par Kubrick pour reprendre tourner son scénario, puis une adaptation du roman "La Nouvelle Rêvée" (1926) de Arthur Schnitzler qu'il avait lu début des années 70. Le réalisateur-scénariste co-écrit le scénario avec Frederic Raphael lequel a écrit entre autre les films "Darling" (1965) et "Loin de la Foule Déchaînée" (1967) tous deux de John Schlesinger. Le cinéaste avait en tête le couple Tom Cruise-Nicole Kidman pour son film afin d'ajouter un peu de sel dans le côté sulfureux connaissant entre autre les troubles intra-conjugaux qui commençaient alors à cause de l'appartenance de Tom Cruise à la secte de la Scientologie, et, sans doute aussi parce qu'un tel couple glamour en tête d'affiche ne pouvait qu'être bénéfique pour le projet. Le tournage dura près de deux années, outre le perfectionnisme du réalisateur, le clash avec son acteur Harvey Keitel a aussi retardé le tournage, qui quitte le projet avec perte et fracas après 6 mois de tournage parce que le réalisateur ne voulait pas lui donner le scénario en avance ! Keitel est remplacé au pied levé par l'acteur-réalisateur Sydney Pollack. Vu la durée du film (159 minutes) et le couple de stars le budget atteint 65 millions de dollars mais Stanley Kubrick a peut être eu raison puisqu'il aurait déclaré avant de mourir "It's my best film ever, Julian", s'adressant à son meilleur ami Julian Senior. Malheureusement il ne sera plus là pour voir le succès de son film, plutôt bien accueilli par la critique il gagnera encore en réputation avec les années, puis le public suit amassant plus de 162 millions de dollars au box-office Monde ce qui reste un joli succès puisque le film sera censuré dans de nombreux pays... William Harford, médecin new-yorkais mène une vie paisible et privilégiée avec sa femme Alice et leur fille. Mais derrière la façade le couple se détache doucement et il s'en rend compte brutalement quand son épouse lui avoue avoir voulu me tromper quelques mos auparavant. Touché et ébranlé par cette confidence William a besoin de prendre l'air et par en errance nocturne où ses doutes vont le mener à faire des rencontres de plus en plus troubles... 

Le couple Harford est donc incarné par Tom Cruise et Nicole Kidman, qui avaient déjà tourné dans "Jours de Tonnerre" (1990) de Tony Scott sur lequel ils se sont mis en couple, puis "Horizons Lointains" (1992) de Ron Howard. Ce troisième film ensemble, s'il est le dernier de Kubrick il sera aussi celui qui sonne le glas de leur relation se quittant peu de temps après la sortie du film, Tom Cruise enchaîne avec "Magnolia" (1999) de Paul Thomas Anderson et Nicole Kidman prend son envol avec "Moulin Rouge" (2001) de Baz Luhrmann. Leur fille de 10 ans est interprétée par la jeune Madison Eginton qui enchaîne avec le délirant "Psycho Beach Party" (2000) de Robert Lee King sur lequel elle retrouvera l'acteur Thomas Gibson vu auparavant dans "Le Temps de l'Innocence" (1993) de Martin Scorcese. Un ami de l'avocat est joué par le réalisateur Sydney Pollack qui remplace ainsi Harvey Keitel au pied levé, grand réalisateur ayant d'ailleurs fait tourner Tom Cruise dans "La Firme" (1993) mais aussi acteur de temps à autre chez les autres comme dans "The Player" (1992) de Robert Altman ou "Maris et Femmes" (1992) de Woody Allen, mais aussi parfois chez lui comme dans "L'Ombre d'un Soupçon" (1999). L'avocat va rencontrer de nombreux personnages, et aussi des femmes dont la jeune Leelee Sobieski remarquée tout juste dans "Deep Impact" (1998) de Mimi Leder et "La Fille d'un Soldat ne Pleure Jamais" (1998) de James Ivory, Vinessa Shaw révélée dans "Hocus Pocus" (1993) de Kenny Ortega, et Fay Masterson vue d'abord dans "L'Homme sans Visage" (1993) de et avec Mel Gibson et "Mort ou Vif" (1995) de Sam Raimi et plus récemment dans "Tyler Rake" (2020) de Sam Hargrave. Puis citons ensuite Todd Field vu dans "Twister" (1996) et "Hantise" (1999) tous deux de Jan de Bont, Rade Serbedzija encore peu connu à l'international mais vu ensuite "Snatch" (2000) de Guy Ritchie, "Au pays du Sang et du Miel" (2011) de Angelina Jolie et "Proud Mary" (2018) de Babak Najafi, Sky du Mont remarqué dans "Ces Garçons qui venaient du Brésil" (1978) de Franklin J. Schaffner et "Le Bateau" (1981) de Wolfgang Petersen, Angus MacInnes vu dans "La Guerre des Etoiles" (1977) de George Lucas, "Witness" (1985) de Peter Weir, et plus tard dans "Amen" (2002) de Costa Gravas ou "Capitaine Phillips" (2013) de Paul Greengrass, Alan Cumming vu dans "GoldenEye" (1995) de Martin Campbell et "Guns 1748" (1999) de Jake Scott, puis plus tard "The Anniversary Party" (2001) de et avec lui et Jennifer Jason Leigh ou plus récemment "Battle of the Sexes" (2017) de Jonathan Dayton et Valerie Faris, Togo Igawa vu notamment dans "Le Dernier Samouraï" (2003) de Edward Zwick sur lequel il retrouvera Tom Cruise, "47 Ronin" (2013) de Carl Erik Rinsch et "The Gentlemen" (2020) de Guy Ritchie. Puis enfin, n'oublions pas Leon Vitali qui retrouve Kubrick après "Barry Lyndon" (1975) où il était Lord Bullington, retrouvant donc aussi un certain Brian W. Cook, assistant-réalisateur de Kubrick sur ce même film et sur "Shining" (1980) puis sur "L'Année du Dragon" (1985) de Michael Cimino mais il réalisera surtout le film hommage "Appelez-Moi Kubrick" (2005)... 

Le film est particulier et hors catégorie sur trois points, ce qui lui donne une aura singulière assez logiquement. D'abord parce que c'est en quelque sorte le film testament de Stanley Kubrick (voir premier paragraphe plus haut), ensuite parce qu'il a choisi un couple star à la carrière flamboyante mais en difficulté dans l'intimité ce qu'il savait et ce pourquoi il voulait absolument les deux, et non l'un sans l'autre, pour l'affiche sans aucun doute, mais aussi pour nourrir la tension qui nourrissait aussi leurs personnages. Un film qui va aussi être un grain de sable qui va sceller la fin de leur relation, les thématiques du film laissant en éveil leurs désaccords alors même que le couple auraient eu l'assistance d'une thérapeute du sexe durant le tournage (?!). Puis enfin il ne faut pas nier l'importance de la censure qui concerne la partie de l'orgie. La Warner modifia la scène pour échapper à une classification de film X, rajoutant des personnages pour "cacher" les scènes les plus sexuelles, utilisant des images de synthèses également. Une censure inédite puisque Kubrick s'est toujours battu pour avoir la totale liberté et le director's cut, il semble donc que la dimension sexuelle ait eu son importance, même pour Kubrick. Aux Etats-Unis il faudra attendre 2007 pour voir la version non censurée, tandis que dans la plupart des pays le film sera pourtant interdit au moins de 18 ans ce qui est hypocrite tant l'orgie est sans scènes réellement explicites, du moins en comparaison à bien d'autres films. Cette scène d'orgie font que désormais et trop souvent le film soit classé en genre "thriller érotique", terme souvent dénigrée et qui est fausse et inadéquate pour le film de Kubrick. En effet, un thriller érotique mêle logiquement sexe et crime au centre de l'intrigue ce qui n'est nullement le cas ici, il s'ait avant tout d'un homme sans doute frustré depuis longtemps, vivant dans les convenances de son statut social, et qui après une révélation intime de son épouse se trouve un peu perdu émotionnellement et qui décide de "prendre l'air", une déambulation nocturne qui va le mener à se confronter à des désirs plus ou moins inavouables, se confronter à la tentation et à ses fantasmes ; Kubrick précise "nos pulsions les plus intimes derrière les apparences"

Le film marque par son esthétisme, mêlant moderne et style baroque, un mix des codes dans les relations cérémoniales comme dans les décors entre la ville la plus cosmopolites du monde et le magnifique château (Mentmore Towers), une sorte d'anachronismes façon "Les Liaisons Dangereuse" 2.0 où un homme, normalement mâle alpha se retrouvent dépassé par son statut avec en filigrane une certaine idée de la soumission. Dans un environnement dit civilisé l'homme se perd pourtant vite comme dans un labyrinthe alors même qu'il se croyait intouchable. Le réveil est douloureux, les pulsions se mêlent aux angoisses et le réalisateur se sert du sexe que comme miroir de la déchéance de notre civilisation, un semblant de liberté qui se complait dans le simple plaisir de jouir, et pas que du sexe mais aussi du pouvoir. Au fond et aux sujets abordés s'accole évidemment la mise en scène toujours aussi séduisante, envoûtante et méticuleuse du plus grand réalisateur du Septième Art. Comme souvent, la musique accompagne de façon essentielle le film, le film est semé de séquences marquantes dont la musique scelle l'écrin. L'envoûtante "Suite pour Orchestre de Variété n°1" de Chostakovitch précède l'icônique scène d'amour devant la glace sur le son plus rock de "Baby Did a Bad bad Thing" de Chris Isaak, en passant évidemment par l'orgie où on peut entendre aussi bien un chant tamoul qu'une version instrumentale de "Strangers in the Night", sans compter cette musique étrange durant le rituel, qui est en fait une lithurgie orthodoxe jouée en sens inverse qui ensorcelle idéalement alors que le malaise est immense durant ce passage. Précisons que les masques durant l'orgie et le rituel proviennent en grande majorité de Venise, la plupart commandée par le réalisateur lui-même mais, d'après la costumière Marit Allen, Kubrick aurait demandé des retouches légères. Précisons tout de même qu'il faut absolument éviter la V.F, Tom Cruise avec la voix de Yvan Attal est juste insupportable. Un film fascinant, dont le glamour et le luxe cache en fait toute une société corrompue et décadente. Un ultime et 13ème film qui clôt ce qui reste sans doute la plus belle filmographie du cinéma, un énième chef d'oeuvre qu'il faut voir, revoir et à conseiller.

Note :                 

18/20