Le Lâche (1965) de Satyajit Ray

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Déjà un des plus grands réalisateurs indiens de sa génération notamment grâce à la reconnaissance avec un Lion d'Or à la Mostra de Venise avec le film "L'Invaincu" (1957), Satyajit Ray signe avec ce nouveau film le second opus de sa trilogie thématique qui s'interrogent sur la société indienne. Ce film se place donc entre les titres évocateurs "Le Saint" (1965) et "Le Héros" (1966). Pourtant ces trois films ne seront pas visible en France avant 1994... Amitabha, scénariste, part à la campagne pour faire des repérages mais tombe en panne de voiture. Au garage il fait la connaissance d'un cultivateur de thé qui lui propose de l'héberger. Arrivé dans sa luxueuse propriété Amitabha s'aperçoit que l'épouse est la femme qu'il a aimé quand il était étudiant. Karuna le reconnaît mais fait comme si cela n'aucune importance. Le scénariste est mal à l'aise, se rappelle qu'ils ont failli se marier, et tente d'avoir une explication car finalement, a-t-il fait le bon choix à l'époque ?!...

Au casting, le réalisateur a fait appel à trois acteurs connus et récurrents de ses films. D'abord Soumitra Chatterjee qui jouera dans pas moins d'une quinzaine de films du cinéaste de "Le Monde d'Apu" (1959) à "Les Branches de l'Arbre" (1990) en passant par "L'Expédition" (1962) et "La Forteresse d'Or" (1974), puis retrouve logiquement ses partenaires, en premier lieu sa partenaire Madhabi Mukherjee, l'actrice est encore très active puisqu'on peut citer des films pour d'autres réalisateur jusqu'à aujourd'hui avec notamment "Calcutta" (1971) de Mrinal Sen, "Chokh" (1983) de Utpalendu Chakrabarty et "Aabesh" (2022) de Sourav Paul Datta, mais surtout retrouve donc après "Charulata" (1964) Soumitra Chatterjee, puis retrouve aussi le réalisateur après "La Grande Ville" (1963) dans lequel jouait aussi son second partenaire Haradhan Bannerjee, qui retrouvera aussi l'acteur principal dans "Aparachita" (1969) de Salil Dutta et évidemment des films de Satyajit Ray avec "Le Dieu Eléphant" (1979) et "Les Branches de l'Arbre" (1990)... Le film est un moyen métrage de 1h10 qui présente dès le titre le fait que l'homme est un lâche, un homme qui n'aurait pas assumé son rôle d'amant, d'homme fort qui aurait dû prendre pour femme celle qu'il aimait à un moment charnière de leur vie. Les retrouvailles improbables entre deux premiers amours des années plus tard ouvrent la porte à de nouvelles interrogations, au réveil des souvenirs le tout entrecoupés d'aparté où monsieur tente d'obtenir des réponses face à madame qui semble finalement passée à autre chose.

Le plus intéressant réside dans la sempiternelle question d'une vie, le destin où la capacité à choisir constamment entre deux chemins, un choix constant à des instants fatidiques qui sont tout autant de remises en questions quand l'avenir nous paraît soudain peut-être bien plus fades que si nous avions fait un autre choix. Intéressant et universel, le sujet est merveilleusement transcrit et montré dans ce jeu du chat et de la souris qui s'instaure après les retrouvailles mais qui malheureusement est parasité par l'affirmation du cinéaste qui nous impose la lâcheté du scénariste. Lâche car il n'a pas supposément pris ses responsabilités auprès de sa fiancée quand il était à priori temps ?! Sur ce point, n'omettons donc pas de replacer le contexte d'un étudiant sans le sou dans un pays où le patriarcat, les traditions et les convenances ne sont pas une mince affaire. Etait-il si lâche ou juste lucide ?! Le réalisateur n'offre aucun bénéfice du doute à ce pauvre scénariste via des flash-backs très partiaux. Par contre on ne saura jamais si la femme est désormais heureuse ou non, comme on ne saura jamais si l'époux samaritain est aveugle ou juste digne. Servi par trois beaux acteurs, l'histoire est intéressante, le thème passionnant, mais le côté moral est un peu facile malgré que le film reste habilement dans le flou jusqu'à cet ultime scène qui met les points sur les i. A voir.

Note :      

14/20