Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick

Après avoir pris sa complète indépendance avec "Lolita" (1962) le réalisateur est devenu assez puissant pour choisir ses projets et être décideur de A à Z sur ses productions. Après quelques films noirs, un film de guerre, un peplum et un drame sulfureux Stanley Kubrick porte son dévolu sur un nouveau roman, "120 Minutes pour Sauver le Monde" (1958) de Peter Bryant alias Peter George. Un thriller sur le danger de la guerre nucléaire alors que le monde est en pleine Guerre Froide. Mais Kubrick a une autre idée, en faire une fable satirique à l'humour noir. Kubrick veut tout de même être assez précis pour que le film soit d'un réalisme qui fasse peur et pour cela le cinéaste lit une cinquantaine de livres sur le nucléaire et se documente auprès des instances militaires. Kubrick propose au romancier de co-signer le scénario avec également Terry Southern pour son premier scénario de cinéma qui signera ensuite des oeuvres majeurs comme "L'Obsédé" (1965) de William Wyler, "Le Kid de Cincinnati" (1965) de Norman Jewison, "Easy Rider" (1969) de et avec Dennis Hopper ou "L'Homme qui venait d'Ailleurs" (1976) de Nicolas Roeg. Dans une des premières versions, les événements était observé depuis l'espace par des extraterrestres, mais le plus amusants c'est qu'il était aussi prévu une scène finale où américains et russes se battaient à coup de tartes à la crème (d'où les plats dispersés sur la grande table de la War Zone) mais cette scène sera coupée car vraiment trop burlesque ; cette scène coupée sera diffusée une seule et unique fois en 1999 à Londres à la mort du réalisateur. Le film va devenir culte et sera classé par l'American Film Institute comme la 3ème meilleure comédie de tous les temps après "Certains l'Aiment Chaud" (1959) de Billy Wilder et "Tootsie" (1982) de Sydney Pollack. Précisons que le titre est souvant raccourci mais que le titre original est bien plus long : "Dr. Strangelove or How Learned tio Stop Worrying and Love the Bomb" qui signifie "Docteur Folamour ou Comment j'ai appris à ne plus m'en fair eet à aimer la Bombe" !... Convaincu que les Russes ont décidé d'empoisonner l'eau potable des Etats-Unis, lance une attaque nucléaire sur l"U.R.S.S. avec les bombardiers dont il a le commandement sur sa base. Tandis que son second tente de le raisonner le président des Etats-Unis convoque son état-major pour trouver une solution puis appel son homologue soviétique afin d'éviter une guerre nucléaire totale... 

Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick

Le part-en-guerre général Jack Ripper (clin d'oeil à un certain Jack l'Eventreur) est incarné par Sterling Hayden star depuis "Quand la Ville Dort" (19950) de John Huston et "Johnny Guitar" (1954) de Nicholas Ray il retrouve Kubrick après "L'Ultime Razzia" (1956), à l'instar de Peter Sellers, notamment star de la franchise "La Panthère Rose" (1963-1982), qui retrouve le réalisateur après "Lolita" (1962) qui incarne pas moins de 3 rôles distincts. Le général chef d'état-major est joué par George C. Scott vu dans "Autopsie d'un Meurtre" (1959) de Otto Preminger, "L'Arnaqueur" (1961) de Robert Rossen, et plus tard dans "Patton" (1970) de Franklin J. Schaffner ou "Les Flics ne Dorment pas la Nuit" (1972) de Richard Fleischer. Le commandant du B52 (rôle qui devait être le 4ème de Peter Sellers !) est interprété par Slim Pickens spécialiste du western avec sa douzaine de westerns en seulement 5 ans (1952-1956) sous la direction de William Witney et acteur fétiche de Sam Peckinpah avec "Major Dundee" (1965), "Un nommé Cable Hogue" (1970), "Guet-Apens" (1972) et "Pat Garrett et Billy le Kid" (1973) et retrouvera une satire sur la guerre avec "1941" (1979) de Steven Spielberg. Citons ensuite Keenan Wynn vu dans de nombreux chefs d'oeuvres de "Les Trois Mousquetaires" (1948) de George Sidney à "Il était une fois dans l'Ouest" (1968) de Sergio Leone en passant par "La Soif du Mal" (1958) de et avec Orson Welles et "Le Temps d'Aimer et le Temps de Mourir" (1964) de Douglas Sirk, Peter Bull vu dans "Agent Secret" (1936) de Alfred Hitchcock, "Oliver Twist" (1948) de David Lean et "Tom Jones" (1963) de Tony Richardson, Tracy Reed qui retrouvera Peter Sellers dans "Quand l'Inspecteur s'emmêle" (1964) de Blake Edwards et "Casino Royale" (1968) de John Huston, puis enfin n'oublions pas James Earl Jones future voix de Dark Vador dans la saga "Star Wars" (1977-2019) et encore récemment à l'affiche dans "Un Prince à New-York 2" (2020) de Graig Brewer... À noter que Peter Sellers, qui obtint l'Oscar pour sa performance et à ce jour seul acteur à avoir été primé pour 3 rôles en un film, toucha 1 million de dollars pour le film, soit plus de la moitié du budget ! Ce qui fera dire à Kubrick : "J'en ai eu 3 pour le prix de 6 !"... L'histoire surfe évidemment sur la Crise de Cuba alors encore dans toutes les têtes lors du tournage, et par là même Kubrick en profite pour instiller une peur du fascisme via un personnage haut en couleur. Guerre Froide et guerre de persuasion nucléaire il en faut effectivement peu pour imaginer qu'un jour un fou puisse appuyer sur le bouton et donc de nourrir toute une paranoïa ; c'est d'autant fou que 60 ans après notre actualité prouve que le film de Kubrick n'est pas si dingue que ça ! Un général se place en garde-fou (?!) et décide de prendre les choses en main et d'attaquer l'U.R.S.S. avant que ce ne soit elle qui prenne les devants au grand dam du gouvernement américain qui doit tout faire pour trouver une solution. Premier et unique bémol, pourquoi et comment le général arrive-t-il à croire à cet empoisonnement ?! Simple délire psychotique ?! Un général incarné par un Sterling Hayden absolument génial, sans doute dans son rôle le plus décalé de sa carrière. Premier à comprendre et à tenter de faire comprendre les choses au général, son second, un des seuls personnages principaux qui semble être sensés avec un flegme, une diplomatie et un calme olympien au vu de la situation. Incarné par Peter Sellers dans une sobriété qu'il met au service du Président également, ce dernier étant conseiller par lui-même en scientifique ès nucléaire en fauteuil roulant et qui est touché par le syndrôme de la main étrangère (apraxie diagonistique) qui nous dévoile au fur et à mesure tout le mystère qui entoure l'individu. À la tête du Pentagone n'oublions pas le général joué par l'incroyable George C. Scott dans une performance unique à l'instar de Hayden, dans un rôle de général "plus américain que moi tu meurs" absolument jouissif ! Et enfin n'oublions pas le commandant du bombardier, officier sur à bord et donc se permet de porter son chapeau stetson pour passer à l'attaque, ce que, on n'en doute pas, le général du Pentagone aurait aimé pouvoir faire.

Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick

Les personnages principaux ainsi croqués ne sont pas pour rien dans l'effet gag du film. Mais le film fait son effet aussi parce qu'il fait écho de façon hyper réaliste dans son propos aux événements récents des années 1953 à 1963. Outre Cuba, l'assassinat de JFK a eu sa petite conséquence, le major Kong dans le B52 déclare "Qu'est-ce qu'on pourrait pas se payer comme week-end à Dallas avec tous ces trucs-là !", alors que JFK a été assassiné à Dallas justement, la version US verra donc un changement pour Las Vegas alors qu'en V.F. la phrase n'a pas changé. Pour l'anecdote, alors que l'équipe technique filmait des plans aériens au Groenland ils ont filmé une base militaire américaine ce qui leur a valu d'être arraisonné et de devoir justifié leur présence dans une zone interdite ! Un réalisme technique et une authenticité qui fait froid dans le dos qui n'est compensé que par le délire assumé et l'originalité des personnages. Le film a soulevé de tels soucis que le gouvernement américain a réellement pris en compte des éléments pour améliorer leur système nucléaire ! La paranoïa que dénonce Kubrick a donc finalement ses limites ! Derrière la tragédie de holocauste planétaire il y a des personnages hauts en couleur, les deux généraux en va-t-en guerre dont la caricature fait sourire que par le jeu hilarant des acteurs, et le scientifique dont le nazisme se révèle à l'insu de son plein gré. Enième chef d'oeuvre de Stanley Kubrick et sa seule et unique comédie. De la copulation aérienne du début au téléphone rouge en passant par les absurdités du processus de le guerre nucléaire et la chevauchée fantastique ce film est aussi burlesque que la guerre est stupide. À noter que la cible nommée Laputa est une référence au roman "Le Voyage de Gulliver" (1721) de Jonathan Swift. Chef d'oeuvre ce film de Kubrick prouve déjà que le réalisateur à l'ambition d'explorer des genres nouveaux toujours avec la même méticulosité et l'acuité d'un génie. Un grand film visionnaire (?!) à voir, à revoir et à conseiller.

Note :   

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18/20