Fille du diable

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Pathé pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Fille du diable » de Henri Decoin.

« Il y a tellement de banquiers parmi les voleurs... Et tellement de voleurs parmi les banquiers ! »

Célèbre criminel en fuite, Saget est pris en voiture par Ludovic Mercier, un homme qui revient dans son village natal après 25 ans d’exil fructueux aux Etats-Unis. Mais Mercier est ivre et le véhicule dérape. Si l’automobiliste meurt dans l’accident, Saget survit et décide d’usurper l’identité du mort. Accueilli en fanfare par tous les villageois, il trompe ses compatriotes à l’exception de la mystérieuse Isabelle, surnommée « Fille du Diable » …

« C’est curieux comme tous les hommes se ressemblent quand ils ont peur »

Après une jeunesse résolument placée sous le signe de l’aventure durant laquelle il est successivement nageur olympique (Londres 1908 et Stockholm 1912) puis pionnier de l’aviation (à laquelle il s’initie durant la Grande guerre), Henri Decoin devient journaliste sportif puis romancier au cours des années 20 avant finalement de se consacrer finalement au cinéma au début des années 30. S’il montre d’entrée un goût pour les sujets dramatiques (« Le domino vert », « Abus de confiance »), c’est véritablement par le biais de la comédie et des sujets légers qu’il rencontre ses premiers succès (« Mademoiselle ma mère », « Battement de cœur »). Le début des années 40 marquera pour lui le début d’une certaine maturité puisque c’est à ce moment qu’il commencera à signer ses films les plus aboutis. Mais cette période sera aussipour le cinéaste celle d’une forme de compromission puisqu’il comptera en effet parmi la dizaine de réalisateurs qui accepteront de travailler pour la Continental Films, société de production à capitaux allemands chargée par Goebbels de produire des films apolitiques pour distraire le public de la France occupée. Il y réalisera trois films, dont « Les inconnus dans la maison », adaptation d’un roman de Simenon aux relents  antisémites assez évidents.

« Saget n’était pas un héros. Il avait juste l’audace imbécile de ceux qui n’ont rien à perdre »

Tourné en 1946, « Fille du diable » est ainsi le premier film tourné par le cinéaste au lendemain de la guerre, dans une France libérée et plus que jamais meurtrie, sur fond de division de la société et de campagnes d’épuration. On y suit la folle cavale de Saget, dangereux criminel devenu l’ennemi public numéro un. Et tandis que l’étau semble se refermer sur lui, le destin en décidera autrement. Victime d’un terrible accident de voiture, il endossera (malgré lui) l’identité du malheureux qui l’avait pris en stop, un entrepreneur de retour au pays après avoir fait fortune outre-Atlantique. « Fille du diable » est ainsi à la fois un drame social et une fable morale centrée sur le mensonge et la mystification. Un postulat par lequel le cinéaste tente d’explorer la complexité de l’âme humaine et l’ambigüité morale de la société en cherchant à démontrer l’existence d’une face sombre en chacun de nous. Et de fait, chacun de ses personnages n’est ainsi jamais vraiment celui qu’il prétend être aux yeux de la communauté. A l’image de ce vieux médecin, gentiment manipulateur, mais dont le chantage pécuniaire n’a pour seul but que de moderniser l’équipement de l’hôpital de province qu’il dirige. Ou de la jeune Isabelle, adolescente chétive et malade, dont la violence et l’admiration pour les criminels n’est au fond qu’un moyen d’extérioriser son rejet de la société patriarcale et son mépris pour la bourgeoisie qui écrase les classes populaires dont elle fait partie. Comme si, au fond, chacun avait de « bonnes raisons » de se compromettre dans une forme d’illégalité ou d’immoralité. De quoi ainsi exonérer (en partie du moins) Saget de ses méfaits, en révélant au final sa part d’humanité et de raison. A l’arrivée, s’il n’est pas formellement déplaisant, « Fille du diable » laisse tout de même un sentiment de malaise. Comme si, au fond, Decoin cherchait ici, par le biais d’une démonstration moralement douteuse, à se dédouaner de ses compromissions et de celles d’une certaine France trop peu regardante vis-à-vis de l’occupant. La présence en tête d’affiche de Pierre Fresnay, acteur largement compromis avec le régime de Vichy, ne fait d’ailleurs que renforcer cette sensation de gêne. « Fille du diable » n’est ainsi en rien un mauvais film. Mais son message sous-jacent demeure bien trop ambigu pour remporter notre franche adhésion.

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Le blu-ray : Le film est présenté en version restaurée en 4K sous la supervision de Pathé et proposé en version originale française (2.0) ainsi qu’en audiodescription. Des sous-titres français pour malentendants et anglais sont également proposés.

Côté bonus, le film est accompagné de « Entre l’Occupation et l’après-guerre » : entretiens avec Yves Desrichard et Didier Griselain (33 min.) ainsi que d’une Fin alternative (2 min.).

Édité par Pathé, « Fille du diable » est disponible en édition collector combo blu-ray + DVD (limitée à 3000 exemplaires) depuis le 30 mars 2022.

Le site Internet de Pathé est ici. Sa page Facebook est ici.